Deux sièges gagnés pour le Rassemblement national, un pour l'union de la gauche, quatre de perdus pour le camp présidentiel… Voici ce qu'il faut retenir du second tour des élections législatives dans les Alpes du Nord. Analyse et décryptage avec le politologue Florent Gougou.
Malgré sa confortable avance au premier tour, le Rassemblement national (RN) n'a pas transformé l'essai dans les départements alpins ce dimanche 7 juillet. Le second tour des élections législatives a vu se dessiner un paysage politique scindé en trois grands blocs en Isère, Savoie et Haute-Savoie, à l'image des résultats nationaux.
"Les résultats dans les Alpes sont très révélateurs de l'éclatement de l'Assemblée nationale. Sur les 20 sièges, il y en a sept pour la gauche, cinq pour les macronistes, cinq pour Les Républicains et trois pour le RN. Cela montre bien l'éclatement du paysage politique avec chacun qui s'est renforcé dans ses fiefs", analyse Florent Gougou, politologue.
Si tous les députés sortants, Les Républicains (LR) ou Ensemble, ont été réélus en Pays de Savoie, plusieurs circonscriptions iséroises ont basculé à la faveur du Nouveau Front populaire (NFP) ou du RN. A quoi ressemblent les nouveaux équilibres dans les Alpes du Nord ? Quels sont les enseignements de ce scrutin ? Voici ce qu'il faut en retenir.
Le RN s'étend en Nord-Isère...
Seul territoire des Alpes où le parti de Jordan Bardella gagne de nouveaux sièges, le Nord-Isère a élu ce dimanche deux nouveaux députés RN. Dans la 8e circonscription, celle du pays viennois, Hanane Mansouri, issue de l'alliance entre Eric Ciotti et le RN, a été élue avec 54,1 % des voix face à sa rivale du NFP. À 23 ans, elle devient l'une des plus jeunes députés de cette nouvelle législature.
Dans la 10e circonscription, celle de Bourgoin-Jallieu (Sud), La Verpillière, l'Isle-d'Abeau, La Tour-du-Pin et Pont-de-Beauvoisin, le candidat RN Thierry Perez a lui été élu avec 55,4 % des suffrages devant la candidate du NFP, malgré le désistement de la députée sortante Renaissance.
"Dans le Nord-Isère, sans surprise, avec les dynamiques de long-terme qui existent dans ces territoires, il y a eu des victoires du RN, celles qui paraissaient les plus évidentes à l'issue du premier tour, (...) avec des poussées très importantes par rapport à la présidentielle de 2022, qui confirment que chacun s'est renforcé dans ses nouveaux fiefs", explique Florent Gougou.
Le seul député sortant RN du département, Alexis Jolly, a conforté sa réélection dans la 6e circonscription avec 62,2 % des voix face son opposante du NFP. Le candidat d'extrême droite gagne plus de 15 400 voix par rapport à sa première élection aux législatives de 2022.
"C'est la plus forte dynamique d'un candidat RN par rapport à 2022 et cela dit combien le RN, quand il s'installe dans une circonscription, peut avoir une dynamique électorale qui lui est très favorable et se constituer d'authentiques bastions dans lesquels, même dans un moment de marée basse, les sièges seraient difficiles à reprendre", commente le politologue.
Face à cette vague RN en Nord-Isère, seul le député sortant de la 7e circonscription Yannick Neuder (LR hors alliance) est parvenu à sauver son siège, bien que distancé par son concurrent d'extrême droite au premier tour. Le président des Républicains 38 a été réélu notamment grâce à un report de voix après le désistement de la candidate NFP au second tour.
"Il bénéficie de la très forte dynamique de front républicain et de barrage au RN avec laquelle il a pu capturer à plein, ajoute Florent Gougou. D'autant que LR, paradoxalement, même s'il est classé à droite, n'est pas dans ces luttes d'affrontement pour la conquête du pouvoir entre LFI, les macronistes et le RN, de sorte qu'on a l'impression que ces candidats sont les plus petits repoussoirs possibles pour les électeurs."
... et la gauche se renforce dans le Sud
Si tous les députés sortants du camp présidentiel avaient été battus dès le premier tour dans le Nord du département, il a fallu attendre le 7 juin dans la moitié Sud. Dans la 1re circonscription, qui s'étend de l'Est de Grenoble jusqu'à Biviers, le député sortant Olivier Véran (Renaissance) n'a pas pu rattraper son retard sur Hugo Prévost (LFI-NFP), élu avec 42,3 % des suffrages et près de 1 300 voix d'avance.
"Dans le Sud de l'Isère, avec cette victoire, on a la disparition totale de la majorité présidentielle", constate M. Gougou. "Il n'y a plus de représentant du camp présidentiel en Isère et au fond, cette dynamique très forte de la gauche qu'on observe dans les grands centres urbains, on voit qu'elle existe à Grenoble", dont les voix ont été déterminantes dans la victoire d'Hugo Prévost.
Cette dynamique de la gauche apparaît clairement aussi dans la 3e circonscription, qui englobe l'Ouest de Grenoble et le canton de Fontaine-Vercors, où la députée sortante Elisa Martin (LFI-NFP) a été largement réélue. L'ex-première adjointe au maire de Grenoble s'impose avec 69,6 % des suffrages et gagne près de 9 500 voix supplémentaires par rapport aux élections législatives de 2022.
Ce territoire devient ainsi la circonscription "la plus à gauche du département", note Florent Gougou. Les députés sortants Jérémie Iordanoff (Les écologistes-NFP), Cyrielle Chatelain (Les écologistes-NFP) et Marie-Noëlle Battistel (PS-NFP) ont également conservé leur siège, gagnant entre 13 000 et 18 000 voix par rapport à 2022, sur fond de hausse de la participation.
La gauche s'adjuge même un nouveau siège avec la 9e circonscription de l'Isère, celle du pays voironnais jusqu'au Sud-Grésivaudan, avec la victoire de Sandrine Nosbé (LFI-NFP) qui remporte 52,6 % des voix face à sa concurrente du RN. Elle bénéficie d'un important report de voix entre les deux tours après le désistement de la députée sortante (Ensemble) Elodie Jacquier-Laforge.
"En Isère, c'est peut-être là qu'on voit le plus que le camp présidentiel s'est rétracté sur les milieux les plus favorisés. Dans ce département, cela ne tient pas parce qu'il n'y a pas de circonscription dans laquelle on n'aurait que des milieux favorisés", conclut le politologue.
Les sortants conservent leur siège en Pays de Savoie
A l'inverse de l'Isère et de son paysage politique chamboulé, les dix circonscriptions de la Savoie et de la Haute-Savoie ont réélu leur député sortant. Ainsi, la Haute-Savoie reconduit ses quatre sortants du camp présidentiel et deux LR, tous opposés à des candidats du Rassemblement national au second tour.
"Tous les sortants ont été confirmés, parfois même avec des scores très importants face au RN qui ressemblent à ceux qu'avait réalisé Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle de 2022 face à Marine Le Pen", remarque Florent Gougou.
Les sortantes LR Christelle Petex (3e circonscription) et Virginie Duby-Muller (4e) ont été réélues confortablement avec des scores respectifs de 56,2 % et 68,9 %. Et malgré le coup dur pour le camp présidentiel au niveau national, les sortants haut-savoyards sauvent leur siège.
Véronique Riotton (1re), Antoine Armand (2e), Anne-Cécile Violland (5e) et Xavier Roseren (6e) engrangent même des voix supplémentaires par rapport aux précédentes législatives. "Dès 2019 et encore plus en 2022, on a observé un recul du camp présidentiel dans les milieux populaires et les grandes agglomérations urbaines, mais une résistance dans les milieux favorisés. Cette résistance, on la voit très bien en Haute-Savoie", ajoute-t-il.
En Savoie, la sortante Marina Ferrari (MoDem), ex-secrétaire d'Etat au Numérique, a été réélue dans la première circonscription, celle d'Aix-les-Bains et de l'avant-pays savoyard. Bien que distancée par la candidate du RN au premier tour, elle bénéficie du retrait de la candidate NFP et l'emporte avec 58,1 % des voix.
Jean-François Coulomme, député sortant (LFI-NFP) de la 4e circonscription, l'emporte également avec une confortable avance (59,1 %) sur son adversaire du RN après le désistement de la candidate macroniste.
Les sortants Les Républicains Emilie Bonnivard (3e circonscription) et Vincent Rolland (4e) ont également été réélus ce dimanche dans des duels face au RN, mais avec des scores moins importants qu'en 2022, où ils faisaient face à des candidats Nupes au second tour.
"En Savoie, là encore, tous les sortants ont été reconduits avec, pour LR, un score un peu moins élevé qu'il n'avait pu l'être en 2022 mais dans des duels qui étaient différents. Surtout, ce score est meilleur face au RN que ne l'avait fait Emmanuel Macron en 2022", analyse le politologue.