REPLAY | "L'Oisans, la montagne à l'état brut" dans Chroniques d'en Haut

Suivre la RN91 depuis Séchilienne jusqu’au Lautaret est un voyage au cœur du temps. Du temps géologique, et du temps des Hommes. Ici, tout raconte la montagne et l’histoire de ceux qui s’y accrochent. Depuis les vallées jusqu’aux sommets.

Peu de massifs dégagent une telle puissance en France. L’Oisans est un concentré de montagne, l’expression même de la violence créatrice qui a façonné les Alpes. Ici, la nature raconte la tectonique des plaques. Lorsqu’on lève les yeux, au-dessus de Bourg d’Oisans, on aperçoit les cicatrices laissées par la genèse des montagnes, ces plissements cataclysmiques qui ont, peu à peu, élevé les sommets.
Cette puissance ne nous lâche pas, depuis Séchilienne jusqu’au col du Lautaret, tout au long de cette route improbable qui s’attaque aux falaises, serpente au-dessus des gouffres, ou se fait timide dans les fonds de vallées, évitant un à un les blocs erratiques hauts comme des châteaux qui, un beau jour, se sont décrochés des pics pour s’écraser plus bas. Rares sont les routes plus impressionnantes que la fameuse RN 91.

On peut l’emprunter avec une certaine appréhension, en fermant les yeux sur la hauteur des montagnes qui tombent presque verticalement, attendant avec impatience le retour des horizons, là où le soleil revient, là où la vallée s’élargit… On peut aussi, au contraire, s’émerveiller de cette puissance de la nature qui n’a pas fait les choses à moitié, contempler cette force brute, imaginer les racines de la terre qui se sont dressées il y a quelques dizaines de millions d’années, et se sentir bien petit, humble, finalement à notre juste place dans ce paysage qui n’a rien cédé à l’homme.
 

La vallée de la Romanche : eau, art et industrie

Et pourtant, l’Oisans révèle ses secrets à qui veut bien les voir. Cette vallée est indissociable de l’histoire des hommes qui l’ont apprivoisée, et qui ont transformé sa puissance naturelle en puissance industrielle.

A Livet et Gavet, un homme a changé l’histoire des bourgs et villages de la Romanche : Charles Albert Keller. Ce riche industriel lorrain est venu s’installer ici justement en raison de la puissance de la nature, de la hauteur des chutes d’eau et de la force de la rivière. Il a bâti le long de la Romanche un empire industriel grâce à l’hydroélectricité, donnant ainsi du travail aux paysans qui ne pouvaient pas travailler les champs pendant l’hiver, ce qui a changé le destin de ces populations.

Nous étions à la fin du XIXème siècle, l’industrie était vécue comme un grand progrès, d’autant que le modèle de Keller était basé, comme à Clermont Ferrand chez Michelin, sur un paternalisme qui améliorait sensiblement le sort des ouvriers tout en augmentant leur dépendance à l’entreprise… Ainsi, dans cette vallée, des maisons, des écoles, des soins médicaux, des lieux culturels étaient destinés aux employés, qui vivaient grâce à cela dans de bonnes conditions. Mais ces avantages étaient perdus lorsqu’ils quittaient l’entreprise. D’où l’effet pervers du modèle paternaliste.

Néanmoins, Keller était considéré, à l’époque, comme un bienfaiteur dans la vallée de la Romanche. Homme cultivé et passionné par les arts, il a construit des centrales électriques dont l’aspect et les formes s’inspiraient des plus grands courants architecturaux, selon ses passions du moment. La centrale des Vernes, classée monument historique, en est le plus bel exemple, avec son escalier d’inspiration florentine, qui n’aurait, normalement, rien à faire dans un lieu pareil.

Mais son héritage le plus étrange est la fameux Pavillon Keller, sa maison de Maître, immense, surréaliste, bâtie au-dessus de la rivière, avec ses deux avancées suspendues sur pilotis. Personne n’est indifférent à cette architecture audacieuse, un peu inquiétante, sans référence, répondant à son souhait de pouvoir observer, depuis la terrasse, toutes ses usines dans la vallée.

Tout au long de la Romanche se succèdent donc les friches industrielles de cette époque, des centrales, aujourd’hui abandonnées au profit d’une nouvelle, plus puissante et enterrée, un peu plus haut dans la vallée. Cela concours, je l’admets volontiers, à donner une image peu amène à l’endroit.
Mais passé les premiers réflexes de rejet, s’intéresser à cette histoire éclaire différemment ce patrimoine hélas en perdition, tant il vrai qu’on préfère restaurer des châteaux que des usines. Pourtant, certaines d’entre elles sont de véritables bijoux, et racontent à elles seules, toute l’histoire des vallées alpines, qui ont connu avec l’avènement de l’industrie un changement aussi important que celui, quelques décennies plus tard, du développement du ski.

Voilà donc pour l’entrée en matière. La route file maintenant vers Bourg d’Oisans. Ici, le formidable étau des montagnes se desserre enfin. Après ce tourbillon de roches verticales et de pentes abruptes, le paysage s’assagit, c’est le calme plat. Et le recul permet enfin d’admirer, au loin,  les plus hauts sommets glaciaires.

Bourg d’Oisans, ville paisible au cœur du massif, irriguée par ses grands cols, peut s’étendre sur toute sa longueur dans sa large vallée, formée par un ancien lac glaciaire comblé par les alluvions descendant des montagnes et l’érosion des verrous qui retenaient l’eau. Elle a fait du cyclisme sa grande fierté. Il faut dire qu’on est sous l’Alpe d’Huez, l’une des plus célèbres étapes du Tour de France. Sur la Route du Lautaret, pas loin du Glandon, du Galibier, autant de noms qui font frissonner les mollets rasés des cyclistes chevronnés.

Cet espace amène, ensoleillé et propice aux cultures n’est que le calme avant la tempête. Car quelques kilomètres après Bourg d’Oisans, le tourbillon reprend. Les gorges de l’Infernet - dont la toponymie ne laisse pas de doute sur l’effroi qu’elles devaient inspirer aux voyageurs d’autrefois - marquent la fin de la parenthèse enchantée. La vallée devient à nouveau si étroite que la route cherche à s’accrocher comme elle le peut aux falaises, parfois si austères qu’aucun chemin ne peut passer sans d’audacieux tunnels creusés à même la roche.

Nous sommes maintenant au cœur des massifs glaciaires du Mont de Lans, à proximité de la reine de l’Oisans, la Meije, et ses 3 983 m.
 

Sur la route des sommets

Malgré la rudesse des lieux, nombreux sont les villages accrochés aux pentes, cherchant une place au soleil sur les adrets par ici, exploitant une pente moins raide propice au fauchage par-là, et arborant fièrement une chapelle pour défier les vents mauvais du destin. Plus la montagne est difficile, plus les hommes semblent l’aimer, s’y accrocher, et les villages de l’Oisans témoignent à la fois de ce courage et de cette persévérance.

Voici maintenant le barrage du Chambon et son lac un peu sinistre lorsqu’il est à moitié vide en hiver, puis, à nouveau, la verticalité la plus brutale qui reprend, dans le défilé de « Maupas » - comme un mauvais passage, encore une toponymie évocatrice – entouré d’un côté par d’immenses parois d’où descendent des cascades insolentes, et de l’autre par les langues des glaciers qui surplombent les couloirs d’avalanche, rappelant ainsi qu’en montagne, tout ce qui est en haut est amené, un jour ou l’autre, à tomber en bas.

Les Alpes semblent être encore en pleine création ici, en mouvement permanent,  tant l’endroit n’est pas propice à la présence humaine, et encore moins à la flânerie, pas même en voiture, comme en témoignent les nombreux feux rouges qui se déclenchent automatiquement lorsqu’une avalanche coupe la route… Mais quelle fascinante puissance. Aucun autre endroit des Alpes françaises n’évoque à ce point la beauté brutale de la montagne, et son implacable indifférence aux besoins des hommes, qui ne veulent que passer, pour aller ailleurs.
 

A La Grave, on prend la montagne comme elle est… En Oisans tout se mérite…

Enfin, la route arrive à La Grave. L’étau se desserre à nouveau, laissant admirer la face nord d’une des plus belles montagnes qui soit : la Meije. La vie reprend enfin. Un village à l’ambiance chaleureuse incomparable, où le ski que l’on pratique ressemble tellement à l’Oisans : brut, sauvage et sans concession.
Car La Grave est l’une des rares « stations » au monde à disposer d’un téléphérique donnant accès à un domaine sauvage, non entretenu ni sécurisé. Cette remontée mécanique mythique, connue jusqu’aux Etats-Unis par les free rider, est un ascenseur qui mène en haute montagne, un espace de liberté rare dans nos sociétés où tout est de plus en plus encadré.

La Grave tient à son concept, et le défend contre vents et marées face aux tentations de la réglementation… Et si le miracle perdure, c’est que la station fait appel à la responsabilité des skieurs. Et ça marche. A la Grave, on prend la montagne comme elle est. Y’a des jours où c’est bon, d’autres où ça ne l’est pas. Y’a des jours avec, et des jours sans.

Il reste encore quelques kilomètres avant le Col du Lautaret. Cette fois, nous sommes aux portes de la haute montagne. En face, les glaciers des Ecrins. Et sur les adrets, toujours ces villages, ramassés autour d’une des rares sources, dominant en balcon le paysage sublime des sommets acérés. Mais l’herbe si précieuse a permis aux paysans de vivre ici, dans ces alpages. Le ciel devient plus vaste, la lumière plus vive. On arrive.

La route, ma route, s’arrête ici. Le col du Galibier est fermé en hiver, et pour aller plus haut, il faut chausser les skis. Le ciel, si précieux après cette traversée des enfers, m’attire encore. Aller plus loin, c’est pénétrer un univers encore plus sauvage, plus inhospitalier : l’univers de la haute montagne, mais sans téléphérique, ni route. Il faut y aller avec la force de la volonté. En Oisans, tout se mérite, et c’est aussi pour cela que ce massif a quelque chose d’unique.


>> "L'Oisans, la montagne à l'état brut" un magazine présenté par Laurent Guillaume et réalisé par Marc de Langenhagen, diffusé le dimanche 25 avril à 12H50 dans "Chroniques d'en Haut" sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes puis disponible en REPLAY sur france.tv
 

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