L’inflation n'épargne pas les étudiants. Pour les plus précaires, difficile de suivre ses études quand on vit à l'euro près. A Clermont-Ferrand, trois étudiantes nous racontent leurs difficultés.
En novembre dernier, le ministre des Solidarités Jean-Christophe Combe avait débloqué une enveloppe de 10 millions d’euros pour les associations de distribution d'aide alimentaire à destination des étudiants. Une somme qui devait permettre de financer 300 000 colis de courses alimentaires jusqu’à la fin de l’hiver. Insuffisant selon Lisa Thuaire, militante de l’UNEF Auvergne : "Le gouvernement ne répond pas à la difficulté des étudiants précaires dans un moment où ils en ont le plus besoin".
Quel est l’impact de l’inflation sur le quotidien des étudiants précaires ? Nous avons rencontré trois étudiantes clermontoises qui racontent leur quotidien fait de "débrouilles".
Uriah, 21 ans : « Mon père a dû renoncer à prendre sa retraite pour pouvoir encore m’aider »
Avant l'inflation, Uriah, étudiante en licence d’anglais, non-boursière, ne pouvait compter que sur le soutien financier de ses parents. Mais, depuis l'explosion des prix, ces derniers n'arrivent plus à suivre. Le mois dernier, Uriah est tombée sur ses factures d'énergie : « Les prix ont bondi d’un seul coup. Ma facture d'électricité a augmenté de 80 euros ». Pour cette jeune fille de 21 ans, cette augmentation était celle de trop. Alors pour payer ses factures, Uriah a décidé de travailler en tant que serveuse : « Je perçois 500 euros chaque mois pour mon loyer de 450 euros en colocation, confie-t-elle. A la fin du mois, il ne me reste pas grand-chose ». Ce qui n’est pas sans conséquence sur le bon déroulement de son cursus : « Je rentre, je suis fatiguée. Je finis tard les soirs, j’ai donc moins de temps pour réviser. Mes études en pâtissent. Je suis moins dedans », déplore-t-elle.
Voyant sa situation se dégrader petit à petit, elle a décidé, il y a un an, de pousser les portes de l’UNEF pour demander conseil. On lui a suggéré d’aller voir l’assistante sociale du CROUS. Elle estime que sans ce soutien, sa situation serait beaucoup plus catastrophique aujourd’hui : « Je n'avais pas le droit aux repas à un euro. J’ai expliqué mon cas à une assistante sociale et j'ai pu débloquer la situation. Un jour où j'étais vraiment dans la galère pour payer mon loyer, elle m’a donné une aide d’urgence. Sans ça, ça aurait été très difficile pour moi ».
Puisqu’en effet, en tant qu'étudiante non-boursière, Uriah n’était pas éligible aux repas à un euro proposés par le CROUS aux étudiants boursiers. Maintenant, Uriah mange tous les jours au restaurant universitaire. Son seul vrai repas de la journée :
« Je ne mange pas les soirs... sauf quelques fois, quand mon patron m’offre des petits tupperwares de nourriture. Ça m’aide beaucoup et ça me permet de souffler un peu »
Uriah
Face aux prix qui explosent, Uriah s’est même résignée à ne plus arpenter les rayons des supermarchés : « Ce repas à un euro, ça me fait 30 euros par mois, même moins, pour quasiment manger tous les jours. Si je faisais les courses pour le mois avec 30 euros, ce serait impossible. Je veux pouvoir manger autre chose que des pâtes ».
Sa situation impacte même, malgré elle, son entourage : « Mes parents m’aident, pour l’instant, mais ils ne vont pas pouvoir le faire éternellement. Mon père devait partir en retraite l'année dernière, mais là avec le coût de la vie et les prix qui augmentent, il a été obligé de continuer à travailler pour pouvoir encore m'aider ».
Adja, 21 ans : « Je pense plus au paiement de mon loyer qu’aux cours »
En ce moment, Adja cherche un boulot. « En tant que caissière ou aide-ménagère peu importe tant que ça m’aide à payer le loyer », précise-t-elle. Arrivée en France il y a 3 mois, cette étudiante sénégalaise a grandement besoin d’un complément de revenus pour au moins « faire ses courses tranquillement » .
Pour comprendre ses difficultés à garder ses finances à l’équilibre, la jeune étudiante en droit dévoile ses comptes : « Je reçois 350 euros de la part de mes parents restés au pays. Je paye un loyer de 312 euros ». Le calcul est simple, il lui reste une trentaine d’euros pour le reste de ses dépenses mensuelles. Avant son arrivée en France, ses parents lui ont donné 500 euros. De nature prévoyante, Adja en a profité pour faire le stock de denrées alimentaires avec les quelques 200 euros qui lui restaient après avoir payé son loyer. Essentiellement de la nourriture et surtout « beaucoup de pâtes », sourit-elle. Elle précise : « Je vis grâce à ces réserves que j’essaie, pour l’instant, de ne pas toucher. On sait jamais, j’en aurai peut-être besoin plus tard. Je fais avec les moyens du bord. Je rends visite à de la famille pendant les week-ends ou les vacances, quand je peux, ils me font les courses pour le mois ou me donnent un peu d’argent. ».
Un quotidien fait de “débrouille” qu’Adja décide de garder par “fierté” : « On est une grande famille. Mes parents vivent au Sénégal et doivent s’occuper aussi de mes petits frères et sœurs. Je ne veux pas être un autre poids pour eux. Alors c’est pour cela que je leur dis de m’envoyer seulement de quoi payer le loyer ». Cette crainte de devoir être un poids pour les autres est un trait de caractère qui l'empêche de pouvoir demander de l’aide : « Je suis dans la galère, c’est vrai, mais je n’aime pas aller vers les gens pour demander de l’aide. C’est bizarre mais c’est comme ça. C’est culturel, je crois. Je fais avec ce que j’ai et puis on verra ».
Le loyer. Ce mot la hante. Le stress et l'inquiétude de ne pas pouvoir payer à temps influencent même sa concentration pendant les cours : « À chaque fois, à l’approche de l’échéance pour payer le loyer, je suis sous pression. Je suis souvent stressée parce que je ne veux pas qu’on me foute dehors. Des fois, quand je suis en cours, le prof parle mais moi je suis ailleurs. Je pense plus au paiement de mon loyer qu’aux cours ».
Sara, 27 ans : « À un moment, le dilemme pour moi était de choisir entre le travail et les études »
« Je suis débrouillarde même si c’est compliqué ». Sara, étudiante, au parcours scolaire en dents de scie, ne peut compter que sur son salaire de 332 euros net par mois en tant qu’aide à domicile pour payer ses factures. Étudiante non-boursière, avec un loyer de 180 euros (APL déduit), le solde pour vivre est maigre : environ 150 euros.
Pour faire ses courses, payer son titre de transport sans compter d’autres frais comme la santé, une centaine d’euros ne suffit plus selon elle. Surtout dans ce contexte d’inflation : « Avant, avec 20 euros tu faisais des courses pour une semaine. Maintenant avec 20 euros, je n'en fais même pas pour trois jours ». Sara a peur de tomber dans la précarité, elle qui a toujours réussi à y échapper. Désormais, chaque augmentation pique au portefeuille de la jeune étudiante. Il y a des hausses de prix qui, au premier abord, peuvent paraître insignifiantes mais qui pour la jeune femme ont leur importance : « Même pour laver ses vêtements, c’est devenu plus cher. La laverie coûtait avant 2,70 euros et là elle est à 3 euros minimum. Et c’est par kilo, donc ça peut vite monter à 4 ou 5 euros ». Elle change donc ses habitudes de consommation pour ne pas trop impacter son budget : « Je privilégie du poisson surgelé et je mange moins de viande que d’habitude ». Voyant le prix sur son ticket de caisse gonfler à vue d'œil, Sara a, elle aussi, voulu bénéficier de l’aide au repas à un euro proposée par le CROUS. Ce qu’elle obtient après moult négociations auprès de ce dernier.
Sara relativise quant à son sort : « Je n’ai pas encore poussé la porte des associations pour prendre un panier repas ou quelques denrées. Il y en a qui en ont plus besoin que moi ». Elle s’estime chanceuse d’avoir trouvé un travail qui lui permette d’étudier et de ne rater quelques cours. Un travail trouvé après un long chemin de croix : « J’ai dû faire plein de candidatures avant de trouver la bonne. Beaucoup d’employeurs n'acceptaient pas que je travaille seulement le week-end. Je perdais espoir, au point où, à un moment, le dilemme pour moi était de choisir entre le travail et les études ».
Pour cette étudiante qui finit tous les soirs à 18 heures, trouver un travail en semaine même en fin de journée serait inenvisageable : « On enchaîne des cours de 7 ou 8 heures d'affilée parfois. Je passe une heure dans les transports en commun pour rentrer chez moi : je finis à 18 heures, j’arrive chez moi seulement à 19 heures . La seule chose dont tu as envie en rentrant des cours, c’est de dormir. Sachant que le lendemain, je dois me lever à 6 heures pour arriver à temps le matin en cours ».
Dans son entourage, Sara en connaît beaucoup qui ont dû abandonner faute de moyens pour suivre leurs études : « Une étudiante qui vit dans la même résidence que moi a dû arrêter ses études parce qu’elle n’arrivait plus à payer son loyer malgré l’aide de ses parents. Du coup, maintenant, elle a un job alimentaire pour payer ses factures et enchaine les stages pour ne pas lâcher ».
Elle souhaite, désormais, que les choses changent : « Il faut que la bourse soit élargie à d’autres étudiants, ceux qui n’ont pas forcément l’aide de leurs parents pour diverses raisons ».
« La fac doit redevenir un lieu de vie et non de survie »
« Dans le rouge. Nos étudiants sont dans le rouge », alerte Lisa Thuaire, représentante de l’UNEF Auvergne. Malgré les annonces du gouvernement comme la hausse de 4% des bourses sur critères sociaux ou la prolongation pour un an des repas à un euro au Crous, ces mesures sont loin de répondre aux besoins des étudiants, selon la militante.
Elle insiste sur le fait que l’état des finances des étudiants joue un rôle dans le suivi de leurs études mais aussi sur leur santé mentale : « Les étudiants précaires abandonnent de manière évidente. Cela a un impact sur leur santé mentale : quand on ne peut pas payer son loyer, qu’on est endettés, qu’on enchaîne les petits boulots, qu’on rate ses partiels... à la fin, on a des étudiants qui dépriment. Il faut que la fac redevienne un lieu de vie et non de survie ».
Selon une enquête sur le coût de la vie, réalisée par l'Union nationale des étudiants de France (Unef), publiée en août 2022, "le coût de la vie étudiante a augmenté encore de 6,47%" durant l'année passée.