Témoignage. « Je tiens car j’ai fait le choix de ce métier », aides-soignants dans un hôpital, ils racontent leur quotidien

Publié le Mis à jour le Écrit par Catherine Lopes

Emploi du temps chargé, patients lourds à traiter, bâtiment vieillissant…deux aides-soignants de l’hôpital d’Issoire, dans le Puy-de-Dôme, nous décrivent leur quotidien. Malgré les difficultés, ils nous racontent pourquoi ils sont attachés à leur métier.

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Cela fait 20 ans cette année que Ghislain Tardivel a enfilé sa blouse d’aide-soignant à l’hôpital d’Issoire, dans le Puy-de-Dôme. Il est par ailleurs secrétaire adjoint CGT. Agé de 48 ans, il travaille dans le service de médecine gériatrique. Il dénonce de mauvaises conditions de travail : « Depuis 2002, elles se sont nettement dégradées. Cela s’est fait d’année en année. Cela se manifeste se traduit par une forte charge de travail, un manque de matériel. On est obligés de se partager certains matériels entre plusieurs services. Le mobilier, lits, tables de nuit sont vieillots. Ce sont des conditions inacceptables pour travailler ».

Un emploi du temps chargé

L’aide-soignant décrit une journée-type de travail : « La journée de travail dure 12 heures en médecine gériatrique. On commence à 7 heures par les transmissions. On enchaîne avec les soins aux patients, les toilettes. On a dix minutes pour boire un café et on enchaîne avec les repas. On a une pause vers 13 heures. On continue par les tours de soins de l’après-midi jusqu’à 19 heures. A 18 heures, on sert les repas ».

"Parler à un patient est aussi un soin"

Malgré cet emploi du temps chargé, il prend du temps pour dialoguer avec les malades : « On prend le temps de parler avec nos patients, même si après on est obligés de courir pour faire d’autres soins. Parler à un patient est aussi un soin ». Il ajoute : « Avec ce qu’on nous a appris en formation, il faudrait consacrer une demi-heure à la toilette par patient. Mais dans la réalité on n’a le temps de lui accorder que 15 à 20 minutes ». Pour Ghislain, l’épidémie de COVID est un véritable catalyseur. Il indique : « Le COVID est un effet révélateur de nos conditions de travail qui se sont dégradées pendant plusieurs années. La pression est plus forte. On a moins de vie sociale à l’extérieur. Le fait de boire un coup avec les collègues nous faisait du bien. Là, on ne le fait quasiment plus. Le travail est très dur ».

"On va attendre que les travaux soient là réellement pour se réjouir"

Avec ses collègues, il n’est pas satisfait de son environnement de travail : « Les aides-soignants ressentent beaucoup de fatigue, d’épuisement physique et psychologique. Malgré les annonces de l’ARS et de la direction au sujet de travaux pour un montant de 44 millions d’euros, ce qui nous satisfait, on va attendre que les travaux soient là réellement pour se réjouir. Les travaux étaient vraiment nécessaires. Sur les soins médicaux techniques importants, le bâtiment est très délabré. C’est le bâtiment historique de l’hôpital. Le bâtiment de la médecine gériatrique est un préfabriqué où il n’y a pas d’isolation avec le mur extérieur : l’air passe à travers les fenêtres. On aimerait des chambres seules avec douches car on n’a pas de douches dans les chambres actuellement ».

De nombreux départs d'infirmières

Malgré les difficultés du quotidien, l’aide-soignant s’accroche : « Je tiens car j’ai fait le choix de ce métier. Je viens de la restauration. Je voulais prendre soin des autres. Je continue à essayer de faire mon métier du mieux que je peux ». Dans son service, de nombreuses infirmières ont fait le choix de quitter l’hôpital : « On a eu beaucoup de départs d’infirmières, c’est pour cela que mon service est passé en 12 heures. On a perdu quasiment la moitié des infirmières : elles sont parties faire d’autres activités ou ont choisi le secteur libéral car elles ne voyaient pas les choses avancer. Les aides-soignants sont plus contraints à leur lieu de travail car on est plus restreints dans nos choix d’établissements. Un aide-soignant pourra trouver du travail dans un EHPAD mais connaîtra les mêmes conditions de travail qu’à l’hôpital ».

Un salaire de 1 800 euros net

Ghislain évoque sa rémunération : « Avec le Ségur de la santé, je suis passé en catégorie B. J’ai eu 84 euros brut par mois. Mais ma carrière est reculée. J’ai reculé d’échelon et j’ai perdu toute mon ancienneté. Il faut que je refasse 4 ans et 9 mois pour repasser à l’échelon où j’étais. Je gagne 1 800 euros net par mois avec les primes. Le salaire est un chose et les conditions de travail sont aussi importantes ».

"On a une direction qui nous écoute mais qui ne nous entend pas"

Le quadragénaire s’adresse alors à sa direction : « A la direction, je demanderais de prendre soin des soignants en priorité. Je sais que ce n’est pas facile car il y a des budgets. Cela serait de l’écoute surtout. On n’a pas forcément besoin de grand-chose. On a une direction qui nous écoute mais qui ne nous entend pas. Elle nous dit qu’elle prend note des conditions de travail difficiles mais on n’a pas l’impression qu’il y a des actes derrière pour résoudre ces problèmes. De meilleures conditions de travail passeraient par des effectifs adéquats, adaptés à la charge de travail réelle. On n’a pas affaire à des numéros dans les lits mais à des personnes. On veut prendre soin d’eux. On veut prendre le temps de s’asseoir pour discuter car il y a beaucoup de patients seuls ». Ghislain est marqué physiquement et psychologiquement par ses missions à l’hôpital : « Notre charge de travail devient très lourde car les patients sont de plus en plus dépendants. Je ressens des douleurs au niveau des épaules, je fais des tendinites, qui deviennent des douleurs chroniques. C’est très handicapant pour le quotidien. Quand je rentre chez moi, je me demande si je n’ai pas oublié quelque chose, je me repasse le fil de la journée ».

 "La charge de travail est énorme"

Isabelle* est une collègue de Ghislain, elle travaille aussi dans le service de médecine gériatrique. Agée de 44 ans, elle est aide-soignante à l’hôpital d’Issoire depuis juillet 2021. Elle a d’abord été agent des services hospitaliers (ASH) en EHPAD pendant 20 ans. Elle aussi rencontre des difficultés au quotidien : « Dans mon service, en cours séjour gériatrique, je me suis bien habituée, sauf que la charge de travail est énorme. On nous apprend des choses à l’école mais on ne peut pas les mettre en pratique à cause du manque d’effectifs. C’est cela qui est stressant. On ne peut pas faire ce qu’on nous apprend. On ne peut pas passer une demi-heure sur chaque toilette par exemple. On est obligés d’enchaîner ». Elle ajoute : « A cause du manque d’effectifs on doit travailler 12 heures au lieu de 7 heures 30. Quand je rentre chez moi, je suis vraiment fatiguée, c’est usant. Je pars de chez moi à 6h15 et je reviens le soir à 19h30. Je ne peux pas dire que je suis épuisée comme d’autres collègues mais je ressens que c’est lourd ».

"On rentre à la maison et on ramène tout avec nous"

Isabelle a du mal à oublier son travail quand elle retourne chez elle : « Quand on travaille à l’hôpital, on rentre à la maison et on ramène tout avec nous. On apprend à essayer de faire la coupure mais il y a des fois où on ne peut pas. Ce qui est le plus préjudiciable c’est le manque de temps. De plus, même quand on est en repos, on n’est jamais tranquille car on nous rappelle, quand il manque du monde. Par exemple, je travaillais le 29, 30, 31 décembre. Le premier de l’An, il manquait quelqu’un et il a fallu que je revienne travailler. On est en plan blanc donc on n’a pas bien le choix ».

Aux côtés des patients

Isabelle poursuit : « Les patients sont reconnaissants. Ils voient bien qu’on essaie de faire de notre possible mais ils aimeraient qu’on reste un peu plus de temps à discuter avec eux. Aide-soignant ça porte bien son nom : on est là pour de l’aide, pour de l’écoute. De plus, avec la pandémie, les patients n’ont pas beaucoup de visites et ils ont besoin de parler ». Malgré toutes ces difficultés, l’aide-soignante aime faire son métier : « C’est une super profession, que j’adore faire, mais on ne peut pas le faire comme on aimerait. Ce qui me plaît le plus est de prendre soin des patients. On est dans l’écoute, on est là pour bichonner les patients. C’est cela qui m’a amené à reprendre mes études ».

"J’aime mon métier"

Elle aussi se plaint de son environnement de travail : « Il nous faudrait des locaux décents car là, on a des petites salles de bain, sans douche. On n’a qu’une douche pour tout le service. Leur état est vétuste, il fait froid et on est obligés de mettre des petits radiateurs pour certaines personnes. De plus, on demanderait un peu plus de personnel ». Isabelle conclut : « J’aime mon métier donc je ne le trouve pas dur. Ce sont les conditions qui sont difficiles. Au bout d’un moment, je pense qu’on doit être fatigué, surtout psychologiquement. Avant que je reprenne mes études, mes collègues m’ont dit de ne pas faire ce métier car j’allais me casser le dos selon elles. On a un lève-malade pour 25 patients. Je me vois faire ce métier jusqu’à la retraite mais je me demande si mon corps va suivre. Je me suis mise à faire du sport pour me muscler le dos ». L’aide-soignante nous explique qu'elle gagne 1794 euros brut par mois, avec 21 d’ancienneté dans la fonction publique.

De son côté, la direction de l’hôpital d’Issoire n’a pas souhaité nous répondre. En novembre 2021, elle a annoncé un plan d’investissements de 62 millions d’euros pour moderniser l’hôpital, dont 18 pour la construction de l’EHPAD.

*le prénom a été changé

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