Ce samedi 11 mai, plusieurs centaines de personnes sont attendues pour protester contre la construction de deux méga-bassines dans le Puy-de-Dôme. Ce projet de réserves d'eau, porté par des agriculteurs pour irriguer leurs cultures malgré les sécheresses à répétition, est dénoncé par les défenseurs de l'environnement.
Le projet n'a pas encore été déposé en préfecture que la contestation gronde déjà. Ce samedi 11 mai, une "Rand'eau festive et déterminée pour la défense de l'eau" est organisée dans le Puy-de-Dôme. Le rendez-vous est donné à 9h30, devant la gare de Chignat, à Vertaizon. Plusieurs centaines de manifestants venus de tout le pays sont attendus. Dans leur viseur : la construction de deux réserves d’eau artificielles, appelées “méga-bassines” par les opposants, dans la plaine de La Limagne.
“On ne compte pas attendre le premier coup de pelle pour se montrer. On souhaite faire entendre notre désaccord et amorcer des discussions autour des usages prioritaires de l'eau. La mobilisation se veut familiale et pacifiste”, détaille Adèle, membre du collectif citoyen Bassines non merci 63 qui co-organise l'événement avec les antennes locales de la Confédération paysanne, d’Extinction rébellion, des Soulèvements de la Terre et des Faucheurs volontaires.
Les caractéristiques du projet
Le projet en question est porté par 36 agriculteurs du bassin de Billom, réunis au sein de l’Association syndicale libre (ASL) des Turlurons qui a défendu ses ambitions dans un communiqué la semaine dernière.
Confrontés à la récurrence et à l’intensification d’épisodes de sécheresse et d’excès de précipitations, nous faisons face à une difficulté chronique d’accès à l’eau qui menace aujourd’hui la pérennité de l’activité agricole dans le territoire.
ASL des Turlurons
Ses membres étudient depuis 2016 la possibilité de stocker à l’air libre de l’eau pompée en hiver dans l’Allier, période où elle est la plus abondante, pour irriguer les cultures en été lorsqu’elle manque le plus.
Les deux retenues auraient une capacité cumulée de 2,3 millions de m3 pour une surface artificialisée de 32,2 hectares, soit environ 46 terrains de football ou 11 places de Jaude. Il pourrait s'agir des plus importantes de France. L’emplacement de la première a été trouvé sur une parcelle agricole à Bouzel, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Clermont-Ferrand. Pour la deuxième, le choix s’était porté sur un terrain à Saint-Georges-sur-Allier mais il a été rejeté après une analyse géologique. Les recherches pour trouver une nouvelle parcelle sont en cours.
La construction des retenues va entraîner un aménagement d’ampleur (création de digues, installation de pompes, imperméabilisation par des bâches…), critiqué par les associations environnementales. “L'accès au foncier agricole est difficile aujourd'hui dans notre pays. L’artificialisation de ces sols représente non seulement une perte de terres agricoles mais aussi de surface d’infiltration d’eau dans les sols et dans les nappes phréatiques, qui constituent des espaces de stockage naturel”, considère le collectif Bassines non merci 63.
“Accaparement” de la ressource en eau
Les deux pompages prévus dans l’Allier devraient permettre à chacun de remplir sa retenue respective en période hivernale, entre le 1er novembre et le 31 mars. Les opposants dénoncent un “accaparement" de l'eau responsable de la dégradation des sols et de l’assèchement des écosystèmes. “C’est loin d’être de l’eau de pluie qui tombe et s’accumule dans les méga-bassines. L’Allier couvre une partie des besoins en eau agricole mais elle assure également l’approvisionnement en eau potable de plus de 200 000 habitants du Puy-de-Dôme”, rappelle Bassines non merci 63.
De son côté, l’ASL des Turlurons met en avant un projet “responsable et encadré” permettant un “meilleur équilibre des usages”. “A l’année, les prélèvements envisagés représenteraient 0,12% du volume annuel moyen de l’Allier. L’objectif est de prélever de l'eau en hiver dans l'Allier pour limiter la pression sur la ressource en eau en été”, indique Alexandre Poncet, directeur de la communication chez Limagrain. La coopérative se défend d’être à l’origine de ce projet qu’elle “soutient” néanmoins. Les membres de l’ASL des Turlurons, dont la majorité d'entre eux sont adhérents de Limagrain, possèdent des exploitations de 80 hectares en moyenne sur lesquelles ils cultivent du blé, du maïs mais aussi de la pomme de terre, de l'asperge, de l'oignon, des plantes aromatiques et médicinales ou élèvent des vaches. Environ 80 % de leur production est transformée localement.
“La moitié ne sont pas irriguants et souhaitent sécuriser leur production. L’eau est une ressource rare et indispensable”, poursuit Alexandre Poncet. Dans son communiqué du 5 mai, l’ASL des Turlurons répond : “Loin de chercher à accaparer ou à privatiser un bien commun, notre projet s’inscrit dans la ligne de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, qui reconnaît le droit à l’eau pour tous et la nécessaire prise en compte du réchauffement climatique”. Son projet s’inscrit également dans la loi d’orientation agricole “qui souligne le caractère d'intérêt général majeur de l’agriculture”, ajoute-t-elle.
Une solution court-termiste
Le coût total du projet est estimé entre 18 et 25 millions d'euros, dont environ 70% pourraient être financés par des subventions publiques. “C’est incohérent d’investir de telles sommes dans des solutions à court-terme contre le réchauffement climatique qui ne garantissent pas la sécurisation des exploitations concernées”, argumente Bassines non merci 63. Selon le collectif, l’étude des débits de l’Allier “montre que ces projets sont impertinents” dans un contexte où les remplissages peuvent être limités par des sécheresses hivernales.
Un dilemme va rapidement se poser : accepter de ne pas remplir totalement un ouvrage qui aura coûté plus d’une dizaine de millions d’euros d’argent public ou prélever malgré les sécheresses un milieu naturel déjà contraint.
Collectif Bassines non merci 63
“En 2024, la réserve de Bouzel aurait été remplie à 100% au 26 janvier. Aujourd’hui, c’est la bonne solution pour faire face au réchauffement climatique. Des recherches sont menées sur l’adaptation des pratiques agricoles en Limagne. Il faut laisser du temps à la science. L’agriculture ne peut pas se transformer du jour au lendemain”, estime Alexandre Poncet de Limagrain.
Quand les porteurs de projet assure que les hautes eaux hivernales “non utilisées retournent à la mer”, les associations environnementales appellent à ne pas les considérer comme “un surplus qui se perdrait dans les océans” mais comme “une ressource majeure pour la bonne santé des milieux aquatiques : nappes alluviales, zones humides…”
Deux visions de l'agriculture
Pour les opposants, les projets de méga-bassines comme celui-ci, ou celui de Sainte-Soline fortement médiatisé, sont le résultat d’un système agricole trop gourmand en eau. “On n’est pas contre le fait de cultiver du maïs, c’est une culture importante en France. Mais on sait aussi que c’est une plante qui consomme beaucoup d’eau. On soutient une agriculture paysanne et locale qui est intrinsèquement plus diversifiée, moins gourmande en eau et plus respectueuse des milieux naturels”, expose Bassines non merci 63.
L’ASL des Turlurons, composée principalement de céréaliers, entend “apporter une réponse responsable, locale et concrète" pour sécuriser la production agricole et alimentaire de Limagne, notamment en diversifiant les cultures. “Ce projet doit contribuer à redynamiser les cultures historiques et emblématiques du territoire, comme l’ail rose de Billom, et à en développer de nouvelles, comme les plantes aromatiques et médicinales et les légumes de plein champ.” Les Turlurons espèrent aussi que ce projet puisse favoriser le tissu d'exploitations familiales sur le territoire et encourager l'installation de nouveaux agriculteurs.
Un moratoire sur les projets de bassines
Les annonces de construction de ces réserves d'eau semblent se multiplier sur le territoire. Aucun décompte officiel ne permet de connaître leur nombre réel. Le mouvement les Soulèvement de la terre tient une carte participative et militante des bassines et méga-bassines. Deux régions sont principalement concernées : le Poitou-Charentes et les Alpes.
Les gens sont de plus en plus informés sur la question. Ils n'ont pas forcément toutes les connaissances techniques mais s'y intéressent lorsque cela peut potentiellement arriver sur leur territoire.
AdèleMembre du collectif Bassines non merci 63
Des mouvements citoyens apparaissent à chaque endroit où ces projets émergent. Les antennes locales de Bassines non merci se connectent entre elles pour porter des revendications nationales. Elles réclament notamment un moratoire sur les projets de méga-bassines. "Il faut ouvrir un débat public à ce sujet, que tous les citoyens puissent comprendre les enjeux et participer à une vraie discussion sur la gestion de l'eau", invite la militante. Bassine non merci 63 a reçu le soutien de plusieurs scientifiques, personnalités politiques et activistes tels que la députée du Puy-de-Dôme Marianne Maximi (LFI), la secrétaire nationale EELV Marine Tondelier ou encore Thomas Brail, l'homme perché dans un arbre contre l'A69 près de Toulouse.
Mesures de la préfecture avant la manifestation. Le nombre de participants à la mobilisation de ce samedi 11 mai est estimé entre 2 000 et 3 000. La préfecture du Puy-de-Dôme a décrété plusieurs mesures d'interdictions temporaires.
- Jusqu'au dimanche 12 mai à 12 heures, le port ou transport d'armes est interdit à l'est du département, l'utilisation d'artifices ou de transport de produits inflammables ou explosifs également.
- De vendredi soir 20 heures à dimanche 12 heures, la circulation sera interdites sur certaines routes, voies et chemins des communes concernées par la manifestation : Chignat, Bouzel et Billom.
- Samedi de 8 heures à 22 heures, tout rassemblement sera interdit sur le territoire de Clermont-Ferrand et sur la partie nord-est du département délimitée par les autoroutes A71 et A89, où se trouvent notamment l'essentiel des installations de Limagrain.
"Compte-tenu de la possible présence de mouvances radicales contestataires susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public et des dégradations", le préfet du Puy-de-Dôme, Joël Mathurin, a décidé de renforcer les moyens du groupement de gendarmerie départementale pour assurer le maintien de l’ordre public. "Nous n'avons pas été renseignés sur la venue de groupe radicaux mais nous nous préparons à faire face à toute eventualité", a-t-il précisé.