S’approvisionner directement chez les producteurs : en Auvergne, c’est une habitude séculaire. Une pratique qui a plus que jamais le vent en poupe et qui s’organise. Car aujourd’hui, nombreux sont les consommateurs qui privilégient les circuits courts.
Au menu ce soir, des saucisses de Mazaye, une ratatouille cuisinée avec des légumes de Sayat et en dessert, un yaourt de chèvre aromatisé, élaboré à Saint-Georges-sur-Allier, dans le Puy-de-Dôme. Pour Isabelle Paige, maman de deux jeunes enfants, manger local est devenu une habitude, un mode de vie.
« Depuis quelques années, je fais mes courses sur le site internet du Locavore et je récupère mon panier le mercredi en sortant du boulot, sur un parking à Ceyrat. C’est pratique, mais c’est surtout une philosophie de vie. C’est important pour moi de soutenir les agriculteurs du coin en achetant leur production à un prix correct. En plus, il y a moins de transport et on mange des produits de qualité et de saison, donc c’est parfait ! »
Comme Isabelle, de plus en plus de consommateurs se tournent vers le local. « C’est une pratique qui a toujours existé dans le Puy-de-Dôme, où beaucoup de gens ont l’habitude d’aller acheter leur viande ou leur fromage directement à la ferme, explique Martine Falgoux, animatrice du réseau Bienvenue à la Ferme au sein de la chambre d’agriculture. Mais aujourd’hui le phénomène se développe et 1/3 des installations se destinent à la vente en circuit court ».
"Marre de la malbouffe"
Ce choix, Sylvain Desgeorges, éleveur de chèvres à Saint-Georges-sur-Allier l’a fait il y a 7 ans pour écouler son lait, ses yaourts et ses fromages. « Je ne passe que par les circuits courts, que ce soit les marchés, les boutiques de producteurs ou les plateformes de vente sur internet. Cela me permet d’avoir un contact direct avec les consommateurs et surtout un retour sur mes produits. C’est aussi moi qui fixe mes prix, ce qui me garantit un salaire correct. Depuis 2 ans, on sent que les consommateurs sont de plus en plus nombreux à se tourner vers ce type de commerce. On touche une clientèle de 25 à 75 ans, qui en a vraiment marre de la malbouffe ».
Responsable du la plateforme de distribution Locavore depuis 4 ans, Aleric Vevollet confirme la tendance : « Au début, ma clientèle était essentiellement constituée de familles avec de jeunes enfants. Mais depuis quelques temps, ça s’élargit et je vois arriver d’autres profils, notamment des jeunes. Des gens soucieux de leur santé mais qui veulent aussi soutenir l’économie ».
Consom’acteurs
Pour répondre à cette demande, les magasins de producteurs et les plateformes de vente sur internet se multiplient, emboîtant le pas aux AMAP, les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne qui ont été les premières à s’engager pour les circuits cours. Des associations créées dans les années 1970 afin de regrouper des consommateurs conscients et désireux de s’impliquer dans l’économie solidaire et de les mettre en relation avec des producteurs locaux.
« Dans une AMAP, nous demandons à nos adhérents, que nous appelons des consom’acteurs, de s’engager auprès des producteurs par une sorte de contrat moral », explique Jérôme Griveaud, président de l’AMAP bio de Chamalières, qui réunit une quinzaine de producteurs et 120 adhérents. Des adhérents qui s’engagent à récupérer un panier chaque semaine, afin de garantir aux producteurs de pouvoir écouler sa production. « Au départ, le contenu des paniers était imposé, poursuit Jérôme Griveaud. Mais on a dû s’adapter à la demande, et aujourd’hui nos adhérents peuvent choisir ce qu’ils commandent ».
Et le choix est vaste : fruits et légumes, produits laitiers, pâtes, farines, poissons, miel, confitures et même savons... Aujourd’hui on trouve quasiment de tout en local. « Certains de nos adhérents arrivent même à ne plus mettre les pieds en supermarché, en complétant leur panier dans les coopératives ou les magasins bio ».
Bénévole, c’est par conviction que Jérôme Griveaud s’est investi dans les circuits-courts. « J’ai toujours eu la fibre écologique. L’écologie a un poids politique, comme on l’a vu aux dernières élections européennes. A l’AMAP, on voit de plus en plus de jeunes s’inscrire, et notamment des étudiants, ce qui est positif car il faut que les choses changent, que les mentalités évoluent… et ça passera par les jeunes ».
Un engouement militant mais qui peut aussi avoir un poids commercial. « On se fait de plus en plus démarcher par les supermarchés, car ils ont bien compris que l’étiquette du local est un atout. Mais ce qu’ils veulent c’est de la quantité afin de pouvoir tirer les prix vers le bas », témoigne Sylvain Desgeorges.
Du local, même à la cantine
Aujourd’hui, la mode du local et des circuits courts s’invite partout et même dans les assiettes des plus jeunes ou des seniors, grâce à la plateforme Agrilocal. Une plateforme créée dans le Puy-de-Dôme en 2012 et qui aujourd’hui existe dans 37 départements. Son principe ? Permettre aux producteurs locaux de répondre à des appels d’offre lancés par des collectivités locales, que ce soit les écoles, les maisons de retraite ou les hopitaux. « L’idée de départ était bien sûr de faire vivre les agriculteurs, explique Nicolas Portas, chef du service agriculture et forêt au Conseil départemental à l’origine de la plateforme, mais aussi de réduire les transports. Mais cette démarche permet aussi de faire de la pédagogie auprès des plus jeunes, en leur apprenant par exemple à manger des produits de saison ».
Une démarche raisonnée et qui ne coûte pas plus cher. « Sur certains produits, les prix sont aussi compétitifs que ceux des produits industriels, constate Nicolas Portas. Pour ceux qui sont plus chers, on commande différemment. Prenez la viande, par exemple, une viande de qualité rendra moins d’eau donc on en commandera moins. Idem pour une salade : si elle vient de loin, elle risque d’être abimée et au final on doit en acheter plus car on va en jeter la moitié ».
Pas assez de production
Car consommer local, c’est avant tout consommer de manière raisonnée. Une démarche qui permet aussi de lutter contre le gaspillage alimentaire et de réduite les emballages, mais qui a aussi ses limites, comme le souligne Lucie Vorilhon, gérante de l’épicerie clermontoise de producteurs locaux Les Marchés de Max et Lucie. « L’idée d’une ville autonome au niveau alimentaire est un idéal qu’on atteindra jamais, car il n’y a pas suffisamment de production, notamment en maraîchage, et particulièrement cette année avec la sécheresse. Il faudrait revoir la politique agricole car il y a malheureusement trop de décalage entre le politique et le terrain, on est encore trop dans l’idée et pas assez dans l’action ».