Entre le lac de Serre-Ponçon dans les Hautes Alpes et Digne les Bains dans les Alpes de Haute Provence, Laurent nous invite à une balade sensible, ouverte à toutes les émotions, pour regarder les paysages naturels ou ceux créés par l’Homme, avec un supplément d’âme...
Les lacs de barrage sont nombreux en France, mais rares sont ceux qui ont la grâce et la beauté de celui de Serre-Ponçon dans les Hautes Alpes. Il faut dire que ses dimensions impressionnent.
Longtemps plus grand lac artificiel d’Europe, récemment détrôné par un homologue Portugais, il rassemble un milliard deux cent millions de mètres cubes d’eau, retenus sur la Durance et l’Ubaye. Son barrage, d’un type nouveau à l’époque, est une digue de pierre aux dimensions titanesques : 120m de hauteur, l’équivalent en volume de plus d’une quinzaine de pyramide de Chéops, les pharaons n’ont qu’à bien se tenir…
Né au début des années 60, le lac de Serre-Ponçon a bouleversé la vie de cette région. Et le destin des habitants de Savines et Ubaye en premier lieu, les deux villages noyés sous les eaux. Le premier, plus important, a été reconstruit sur les rives de ce qui est devenu l’un des plus beau lacs de France, en première ligne, au-dessus de l’ancien fond de vallée balayé par les crues de la Durance.
Serre-Ponçon, genèse d'un paradis
Si l’émotion des anciens habitants de Savines a été vive, rares sont ceux qui ne reconnaissent pas l’incroyable bénéfice que le barrage aura apporté à leur région. Le lac est devenu au fil des ans la principale attraction touristique estivale des Hautes Alpes, grâce aux sports nautiques, à la baignade, et aux paysages sublimés par la couleur turquoise de ses eaux.
Un lac qui semblerait avoir toujours été là si l’on ne pouvait y trouver, lorsque le niveau est au plus bas, les traces de la vie qui, auparavant, bruissait dans la vallée. Le viaduc de Chanteloube, immergé en été, mais fièrement dressé entre les deux rives en hiver, est l’impressionnant témoin qui nous rappelle que Serre-Ponçon n’est pas un lac naturel.
Il semble tellement vivant, ce lac, même à la fin de l’hiver, lorsque ses eaux turbinées pour produire de l’électricité se retirent comme à marée basse, prêtes à absorber celles de la fonte des neiges qui le rempliront à nouveau.
Marcher sur ses rivages déserts, contempler les dessins laissés sur la terre par les vagues qui, sans le vouloir, dessinent des courbes de niveau surréalistes est un régal pour les yeux, et pour les photographes.
Bertrand Bodin est un amoureux du lac en toutes saisons, mais c’est lorsqu’il est au plus bas qu’il en prend la dimension. Son travail raconte les déchirements entre l’avant et l’après, cet estran montagnard qui ne subit qu’une seule marée par an, basse en hiver, haute en été.
Sur cette bande de terre dénudée, ses photos montrent l’hésitation entre le monde d’avant, avec ses rochers mis à nu qui témoignent de la genèse de cette vallée, ses routes qui se perdent dans les bas-fonds, et qui menaient autrefois quelque part, et le monde d’aujourd’hui, d’où émergent des iles miraculeuses sur lesquelles les arbres font figure de naufragés, ainsi qu’une chapelle sauvée des eaux par la passion des habitants qui se sont battus pour qu’on ne la démolisse pas.
La chapelle Saint Michel, modeste, sur son piton, est une miraculée de Serre-Ponçon. Le hasard -ou le Bon Dieu, c’est selon- aura voulu qu’elle dépasse d’un petit mètre la cote maximale du barrage. Et on avait voulu la détruire, par précaution, pensant que son frêle îlot ne survivrait pas à l’érosion des vagues…
Et pourtant, elle est toujours là. Cette modeste chapelle, qui serait passée totalement inaperçue avant, sur une épaule sans relief, au bout d’un champ de blé, trône aujourd’hui en majesté au milieu d’une baie, et c’est même devenu le « monument » le plus photographié des Hautes Alpes, symbole du département. Un des miracles de Serre-Ponçon.
Et le plus fou… C’est que, à l’époque de la construction du barrage, personne n’avait vraiment imaginé le bénéfice touristique et paysager qu’allait apporter cet immense lac au Gapençais. Non : on parlait plutôt kilowatts, on pensait à dompter les rivières et leurs crues dévastatrices, et on travaillait sur un réservoir d’eau capable, avec son homologue plus jeune de Sainte Croix en Verdon, d’irriguer la brûlante Provence, assoiffée chaque été. Ce qui fût la raison d’être et indéniablement la réussite de Serre-Ponçon. Mais s’imaginer que ce lac allait devenir la perle des Hautes Alpes : ça n’était pas une préoccupation.
Le charme exceptionnel de Serre-Ponçon aura fait le reste. Savines-le-lac, nouvelle bourgade d’abord destinée à accueillir les habitants du village noyé, est devenue une petite station « balnéaire » agréable, en pleine montagne. Autour du lac, Campings, bungalow et centre nautiques se sont installés sur les rives, de Chanteloube à la baie Saint Michel, mais sans jamais céder à l’excessive urbanisation de ces pentes souvent raides, devenues des rivages enchantés.
On dit que Serre-Ponçon est le mariage parfait de la mer et de la montagne. Pour l’avoir vu à « marée basse », je dirai plutôt de l’océan et de la montagne.
Il est vrai qu’autour de ce joyau où l’on ne s’étonnerait même pas de sentir l’iode ou de trouver des huitres, les hauts sommets se dressent fièrement, mais avec suffisamment de recul pour qu’on ne se sente pas écrasés par leur présence.
Le Morgon, sans doute la plus belle montagne qui domine le lac, veille sur lui comme un Sphinx, et la comparaison est réelle : la physionomie de cette montagne ressemble réellement à un sphinx dressé à l’aplomb de Savines. Et ce sphinx contemple le grand œuvre des Hommes, qui n’a certes pas 40 siècles, mais seulement 60 ans, et qui a offert aux Alpes du Sud un de ses plus beaux trésors, en changeant à jamais le destin des habitants.
>> "Serre-Ponçon, l'art grandeur nature" un magazine de 26 minutes présenté par Laurent Guillaume, réalisé par Xavier Blanot et diffusé le dimanche 23 octobre à 12H50 dans "Chroniques d'en Haut" sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, puis disponible en REPLAY sur france.tv