C'est l'un des plus gros dossiers de l'histoire des prud'hommes: 1.200 salariés, anciens et actuels, de Berliet, RVI, Iveco et Renault Trucks en région lyonnaise espèrent qu'un préjudice d'anxiété, lié à la présence d'amiante sur leurs lieux de travail, leur sera reconnu ce jeudi 8 avril.
Les 1.200 plaignants concernés ont travaillé entre 1964 et 1996 pour RVI, Iveco et Renault Trucks, sur le site de Vénissieux. La grande majorité sont des retraités ayant travaillé dans l'usine de ces constructeurs à Vénissieux - assemblant bus, cars et camions - entre 1964 et 1996, période pour laquelle le site a été classé "amianté" en 2016.
"Une infime partie des dizaines de milliers de personnes qui ont travaillé dans l'usine sur la période: elle a compté jusqu'à 12.000 salariés venant de huit départements", souligne Jean-Paul Carret, président de l'association Prévenir et Réparer (aide aux victimes d'accidents collectifs).
Une longue procédure judiciaire
Fin Avril 2015 : Le tribunal administratif de Lyon ouvre la voie au classement de l'usine de Renault Trucks à Vénissieux en site amiante. L'affaire avait été présentée devant le Tribunal administratif en mars. Il donne raison en grande partie à ceux qui demandaient le classement de deux établissements de Renault-Trucks ou ex-RVI comme établissements concernés par l’amiante. Selon des documents fournis par le service des ressources humaines de RVI versés au dossier, près de 15 % des salariés ont travaillé directement au contact de l'amiante dans la période allant de 1971 à 1996.
20 juin 2016 : alors que ce classement en site amiante du site de Vénissieux est sur le point d'être officialisé, l'association APER organise des réunions d’information dans les locaux du Comité d’entreprise à Vénissieux, pour informer les personnes potentiellement concernées par ce classement amiante
30 mai 2017 : Première audience de conciliation avec Renault Trucks (groupe Volvo), qui exploite les lieux aujourd'hui. Environ 150 personnes s'étaient rassemblées devant le tribunal de Lyon pendant cette première audience de conciliation pour soutenir une cinquantaine de leurs collègues et anciens collègues. Sans succès, ce qui mènera au procès en 2019
21 novembre 2017 : 126 personnes étaient convoquées devant le tribunal des prud'hommes de Lyon pour une première audience. Il s'agit seulement d'une toute petite partie des personnes concernées. D'autres dossiers devraient suivre.
12 mars 2019 : le conseil des Prud'hommes de Lyon tient une première audience, et renvoie sa décision au mois d'octobre. Mais voilà, les conseillers prud'homaux ne parviennent pas à trancher le litige, les 1.200 dossiers sont remis entre les mains d'un magistrat professionnel pour une audience dite "en départage". C'est cette audience, prévue dans un premier temps en mai 2020, qui s'est tenue ce 24 novembre au matin.
24 novembre 2020 : une magistrate professionnelle, dite juge départiteur, se penche alors sur les demandes de 1183 plaignants : des demandes de réparation, au titre du préjudice d'anxiété, pour avoir travaillé pendant des années sur des sites amiantés. Décision doit être rendue le 8 avril 2021.
27 avril 2021 : Une décision sera rendue pour 200 plaignants supplémentaires. En plus des 1.200 dossiers examinés ce 24 novembre 2020, une deuxième vague de 200 plaignants a en effet été portée devant les Prud'hommes de Lyon, lors d'une audience qui s'est tenue le 13 octobre 2020.
Les plaignants espèrent jusqu'à 18 millions d'euros de préjudice
Lors de la journée de jeudi 8 avril 2021, les plaignants espèrent une reconnaissance de leur préjudice - la "hantise" de tomber malade, certains ayant développé des cancers parfois mortels ces dernières années - chiffré à 15.000 euros chacun par leur avocat, soit 18 millions en tout.
Pour Me Cédric de Romanet, la jurisprudence est constante: "à partir du moment où les salariés prouvent qu'ils ont travaillé sur un site classé amiante, ils ont le droit de bénéficier du préjudice d'anxiété". Si certains devaient être déboutés, ils comptent déjà faire appel.
À l'audience, la partie adverse avait plaidé que seuls deux secteurs de ce site industriel d'environ 79 hectares étaient exposés à l'amiante: pour elle, tous les employés ne sont pas concernés. Rappelant qu'avant 1997, ce matériau n'était pas interdit, elle avait estimé que l'employeur ne pouvait pas avoir connaissance du risque encouru.
L'amiante, j'ai trempé dedans toute ma carrière, il y en avait partout
"Il faut que le lieu de travail soit sain et que nos enfants ne connaissent pas cela", déclarait il y a deux ans à l'AFP une retraitée ayant travaillé 42 ans pour l'entreprise. "L'amiante, j'ai trempé dedans toute ma carrière, il y en avait partout", confiait un autre. "Quand je vois les scaphandres à bouteille d'oxygène et les doubles sas obligatoires aujourd'hui pour désamianter, ça me fout la trouille..."