Témoignages. "Je suis une miraculée, j’étais au 4e étage", incendie de Vaulx-en-Velin : un hommage et des plaies ouvertes

Publié le Écrit par Vincent Diguat

Après l’incendie du 16 décembre 2022 au 12 chemin des barques, où 10 personnes sont mortes, la municipalité de Vaulx-en-Velin a organisé une cérémonie pour remercier celles et ceux qui ont aidé les familles endeuillées ou sinistrées. Trois mois après les faits, les esprits restent marqués par la violence du drame.

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Personne n’est invité à monter sur la grande scène du centre culturel. Tout le monde au même niveau. Pompiers, élus, secouristes, habitants, associations ou encore commerçants, tous réunis à même hauteur sur le parterre de l’immense salle communale. Ils ont en commun d’avoir affronté un drame atroce, inoubliable. Le 16 décembre 2022, un incendie faisait 10 victimes dans l’immeuble du 12 chemin des barques à Vaulx- en-Velin.  Trois mois presque jour pour jour après la tragédie, l’engagement et la bravoure de ces femmes et hommes ordinaires qui ont vécu une tragédie hors norme est honorée. Hélène Geoffroy, la maire de Vaulx-en-Velin, a remis une médaille et une lettre de remerciements à ceux qui, de près ou de loin, ont assisté les victimes : 

“C’est montrer combien la solidarité est essentielle dans une ville populaire comme la nôtre… C’est dur pour les familles des disparus, pour les familles des sinistrés dont certaines ne sont pas encore relogées. Nous les accompagnons et c’est dur pour tous les habitants en réalité qui connaissaient les familles victimes et qui, aussi, ont eu des frayeurs. C’est toute une ville qui doit surmonter ce traumatisme”.

Dans l’assistance : des membres de la Croix Rouge, des policiers émus aux larmes, des pompiers bien sûr et encore beaucoup d’autres institutions ou associations sollicitées le jour du drame. Un peu à l’écart et avant que la cérémonie commence, des habitants échangent, restent dans l’ombre des projecteurs du centre Charlie Chaplin. Témoins impuissants, victimes collatérales des flammes ou secouristes malgré eux, ils sont venus se recueillir, se souvenir et dire merci. 

Tahar, 23 ans : “Le temps, ça guérit et il faut patienter” 

Tahar habite au 13 chemin des barques. Il veut bien témoigner de ce qu’il a vécu ce jour-là, mais ne veut pas se montrer en photo ou face à une caméra :  

“Ça reste choquant, il y a des nuits où j’ai parfois encore du mal à dormir... Je ne demande pas d’aide, je préfère dépasser ça tout seul et c’est pour ça que je ne veux pas être filmé”.  

Ce sont ses sœurs, alertées par des cris, qui le réveillent le 16 décembre. L’immeuble voisin et ses occupants sont prisonniers des flammes. Aussitôt, il rejoint le gardien des 3 copropriétés pour l’aider à ouvrir les portes des bâtiments et faciliter le passage des pompiers. Il retrouve ensuite d’autres habitants pour permettre l’évacuation de jeunes enfants : 

“Lorsque malheureusement, les voisins jetaient leurs enfants des balcons, on était en bas avec d’autres personnes du quartier pour essayer de rattraper comme on pouvait les jeunes enfants”.

Du haut de ses 23 ans, Tahar a bravé l’enfer et se confronte aujourd’hui aux jours d’après :  

Après l’incendie, c’était encore le choc, je ne pouvais pas supporter d’être chez moi, c’était pour moi un danger. J’étais souvent dehors... Aujourd'hui, je baisse la tête quand je passe devant l’immeuble, j’essaie de ne pas regarder et je rentre chez moi directement... Le temps ça guérit et faut patienter

Tahar, voisin et secouriste malgré lui

Tahar reste en contact avec les habitants sinistrés et tente de les aider comme il peut : “En fait, moi, c'est ça mon médicament : aider les autres” 

Emmanuel Clavaud, directeur du Service Départemental-Métropolitain d'Incendie et de Secours :  “Cette opération a marqué nos vies”.

Tahar veut préserver son anonymat. Emmanuel Clavaud directeur du SDMIS (Service départemental-métropolitain d'incendie et de secours) veut préserver ses hommes. Trop tôt pour qu’ils se replongent dans un récit éprouvant. C'est en interne, avec l’appui de psychologues, que certains pompiers évoquent l’évènement et extériorisent leurs émotions. C’est donc lui qui, au nom des sauveteurs, témoigne des stigmates de ce vendredi noir :  

“Cette opération a marqué nos vies et en tant que chef de corps, je m’adresse en leurs noms. Ce soir, nous partageons un moment de recueillement avec les familles, avec l’ensemble des intervenants. C’est un moment fort et je respecte une forme de pudeur de l’ensemble de mes équipes” 

Le 16 décembre, le plan Orsec “secours à nombreuses victimes” est déclenché par la préfecture. 250 sapeurs-pompiers sont engagés pour mettre en sécurité les habitants du chemin des barques. Engagés physiquement, mais aussi émotionnellement. Le dispositif est conséquent et malgré tous les efforts des pompiers, 10 personnes vont périr des flammes.  

“L’ensemble des personnels qui a participé n’oubliera pas ce feu et porte en lui ses souvenirs, mais cela ne nous empêche pas de recommencer. Nous sommes des soldats de la vie… Ce soir, nous sommes tous émus de pouvoir repartager ce moment et nous avons beaucoup de respect pour ces familles qui ont vécu de très près cette opération, qui sont marquées, touchées, qui ont perdu des membres de leur communauté et ce soir, nous avons surtout beaucoup de compassion pour ces familles. Pour être sapeur-pompier, il faut aimer les autres, être attentif aux autres” 

Trois jours après l’incendie, la maire de Vaulx-en-Velin rencontre les pompiers. Elle n’en revient pas : certains sont en pleurs, attristés de n’avoir pu secourir tout le monde. 

Anissa rescapée : “Si on ne dit pas merci, on manque à notre devoir” 

La gratitude d'Anissa envers les secouristes est incommensurable. Cette rescapée, résidente de l’immeuble qui a brulé, a été, avec sa famille, extraite de son appartement : 

“Je suis une miraculée. J’étais au 4e étage. C’est un étage meurtrier. On a pu échapper aux flammes grâce aux pompiers. Quand on les a vus arriver, on n'en croyait pas nos yeux. On s’est dit comment ils ont fait pour arriver jusqu'à nous ? On pensait véritablement que notre sort était scellé et de les avoir vus arriver pour nous sauver et nous évacuer, on a bien conscience du danger qu’ils ont pris. On sait très bien qu’ils sont aux premières lignes”.

Impossible donc pour elle de ne pas répondre à l'invitation de la municipalité. Cette cérémonie, c'est un juste retour des choses :  

"On est là pour dire merci, se souvenir. Si on ne dit pas merci, on manque à notre devoir” 

Le fils d’Anissa a perdu un camarade dans l’incendie. Consciente d’avoir évité le pire, elle rend également hommage à ceux qu’elle appelle les “braves”. Elle a vu un jeune homme escalader les balcons, d’autres ont organisé des cagnottes, des collectes. 

Au fronton de la mairie de Vaulx-en-Velin, au triptyque “Liberté, égalité, fraternité” s’ajoute depuis les années 30 une autre notion : le mot Solidarité complète la devise républicaine. Une valeur plus que jamais mise en exergue par la tragédie. 

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