Tricoter, assembler des puzzles, jouer à la belote, aller au loto le dimanche, si vous pensez que ce ne sont des activités réservées au troisième âge, détrompez-vous ! Les moins de trente ans se passionnent pour ces activités, qui cartonnent même sur les réseaux sociaux.
Une maille à l'endroit, une maille à l'envers, Lucie a appris à tricoter avec sa maman et sa grand-mère. Dans le train ou en voiture, la jeune femme âgée de 27 ans, n'hésite pas à sortir ses pelotes de laine et ses aiguilles dans les transports en commun. "De temps en temps, j'ai des contrôleurs qui me font des remarques amusées et souvent, on me demande si j'avance bien", raconte la jeune femme.
Soirées tricots
Chez elle, c'est en regardant une série ou en écoutant des podcasts qu'elle monte ses mailles, une activité qu'elle fait même en couple "Mon conjoint tricote aussi, il a appris tout seul et il réussit très bien les gants, souligne Lucie. On n'a pas la télévision, alors je m'installe à côté de lui pendant qu'il joue de la musique et on papote."
Deux fois par semaine, la jeune femme participe à des ateliers collectifs de tricot et de crochet, à la boutique "Le Lyon qui tricote", dans le 2e arrondissement. "Ça me permet d'apprendre de nouvelles techniques. Là, je fais un pull, c'est la première fois que j'ose faire un aussi gros ouvrage." Avec un petit plus très motivant : ce sera un cadeau fait-main pour son compagnon.
Du salon de mamie aux vidéos Tik Tok
Autour de la table, on trouve surtout des têtes blanches et des cinquantenaires qui s'échangent les conseils sur le choix des laines ou sur la bonne technique. Il y a aussi Clémence, 24 ans. Elle vient juste de commencer le crochet et a un projet : faire un sac en grosse laine verte. "C'est un exercice qui détend, explique-t-elle, concentrée sur son ouvrage. Je ne suis pas manuelle, mais j'ai vu des vidéos sur TikTok et j'ai trouvé ça super sympa."
Sur les réseaux sociaux, les chantres du DIY (Do It Yourself, à traduire en "Faites le vous-même"), n'hésitent pas à afficher leur création. Le jeune Edoucrochet est même une star sur TikTok, grâce à ses vidéos de peluches faites mains. Des fabrications mises en musique et des vidéos explicatives, de moins de 60 secondes, voilà la recette du succès de cet artiste qui cumule près de 863 000 abonnés.
"Ils assument"
"Je pense qu'il y a toujours eu des jeunes qui ont tricoté ou qui ont fait du crochet, mais aujourd'hui, ils se montrent plus et assument", analyse Agnès Dominique. Elle tient la boutique où Lucie et Clémence viennent prendre des cours. Le magasin connaît même des effets de mode : "J'ai eu plein de jeunes avec la tendance des tops en crochet".
Les vêtements aux crochets, tendance des années 1970, ont fait leur grand retour dans les rayons des magasins en 2021. Des hauts en crochet, des pulls chauds, mais aussi… des bikinis en laine.
Se vider la tête
Pour s'occuper les mains, mais aussi l'esprit, de son côté, Violaine a développé une vraie passion pour les puzzles. "Avec mon amoureux, on se fait des soirées puzzle et on papote sur la vie. Un 500 pièces, je peux le faire sur un week-end, c'est très satisfaisant." Sur la table de leur salon, bien souvent, un puzzle en cours est installé. "Quand on a fini, on le laisse un peu sur la table pour en profiter."
"Le matin, quand je prends un café, je travaille sur mon puzzle. Ça m'évite de zoner sur Instagram."
Violaine, 27 ans
Le jeune libraire d'Annonay a même trouvé une solution : acheter et revendre ses puzzles sur Vinted, un site en ligne permettant l'achat et la vente d'objets. "Pour se motiver, il faut que l'image soit belle", conseille Violaine. Oubliées les photos de chatons, de chevaux ou de chalets sous la neige, les puzzles se sont modernisés. Elle a même participé à un financement participatif pour l'édition de puzzles inspirés par la mythologie, lancés par un youtubeur spécialisé en histoire, Nota Bene.
"On passe pour des vielles"
Après la "slow life" (la vie au ralenti), la "mamie life" serait-elle en train de devenir la tendance chez les moins de 30 ans ? Julie assume de faire des activités qu'on n'associe pas toujours à la jeunesse. Habitante à Montrottier, petit village des Monts du Lyonnais, elle retrouve des copines pour faire des lotos. "On ne vient pas pour gagner, mais comme on est tout le temps ensemble, c'est une façon de s'occuper. Le dimanche, tout est fermé".
"Comme les petites mamies, on a nos habitudes. Au loto, il faut toujours un 90 sur nos cartons."
Julie, 27 ans
Les jeunes femmes ont aussi une autre habitude détonante. Se retrouver des samedis après-midi pour jouer à la coinche, une version stratégique de la belote. Un jeu appris en famille, qui les rassemble. "Depuis un an, on accueille chacune à notre tour les parties. On se retrouve à 14 heures et on finit à 18 ou 19 heures. Ça fait rire nos copains, on passe pour des vieilles", plaisante Julie. Car si beaucoup jouent en famille à ses jeux, se retrouver spécialement pour jouer est plutôt une habitude du club du troisième âge local.
Un club pour les jeunes bridgeurs
Autre jeu de cartes à l'image un peu désuète, le bridge a aussi ses fans chez les moins de 30 ans. À Lyon, le club "Quai Lyonnais des Jeunes Bridgeurs" leur est réservé. "Depuis deux ou trois ans, on voit de plus en plus de jeunes, constate Lionnel Ponson, responsable des cadets dans le secteur de Lyon. On a 97 jeunes inscrits, qui ont moins de 18 ans."
Certains participent même à des tournois comme Paolo, qui revient d'une compétition à Biarritz. "C'est un sport qui entraîne la mémoire et qui permet de se détendre", défend le lycéen de terminale. "Je n'en parle pas trop autour de moi, c'est encore vu comme un sport de vieux", reconnaît cependant le jeune homme, qui est bien décidé à continuer et exceller dans ce sport.
La satisfaction du fait main
Au-delà des effets de modes, le fait maison séduit les passionnés d'exercices manuels. Après la coutellerie, le travail du cuir, Tanguy a jeté son dévolu sur le tricot. "Il y a quatre ou cinq mois, j'ai eu froid chez moi et j'ai eu envie de me faire un plaid en laine." Autodidacte, il n'a pas réussi à mener son projet jusqu'au bout, et s'est rabattu sur quelque chose plus simple : une écharpe.
"Tu fais tes mailles à l'envers, puis à l'endroit. Tu vois les lignes avancer et c'est tout doux." Le médiateur culturel âgé de 26 ans tire une grande satisfaction de l'avancement de son écharpe et n'hésite pas à en parler autour de lui. "C'est très agréable et reposant de tricoter, ça occupe les mains et on peut faire autre chose. C'est un peu comme le "hand spinner", s'amuse le jeune homme installé à Grenoble faisant référence à cette toupie qu'on fait tourner entre deux doigts.
Un retour au geste, à la lenteur et aux échanges autour d'un jeu ou d'une activité. Les 25/30 ans recherchent des alternatives à une vie de plus en plus digitalisée. Des loisirs qui occupent les mains, autrement qu'avec un téléphone. Même si les photos publiées sur les réseaux ne sont jamais loin. Les savoirs-faire qui ont su traverser les époques, se marient aujourd'hui avec le faire-savoir.