Une victime a décidé de parler à l'âge de 63 ans. Les faits remontent à 1967 et 1968 sur le diocèse de Lyon. Christian D. a été abusé sexuellement pendant près d'un an: "J'ai passé mai 68 sur les genoux de ce prêtre". Une Commission indépendante a recueilli près de 6.000 témoignages similaires.
"J’ai vécu une saison en enfer. Quand j’avais 11 puis 12 ans, durant l’année scolaire 1967-68, j’ai été sexuellement abusé pendant 9 mois par un prêtre du diocèse de Lyon. Excusez-moi en prononçant cette phrase d’être dominé par l’émotion, je ne savais que ce serait aussi difficile de témoigner, pourtant plus de 50 ans après les faits."
Ce témoignage glaçant a été recueilli, parmi d'autres, par la CIASE, la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l'Eglise, qui a entamé un tour de France pour se faire connaître et recueillir un maximum de témoignages.
"J’ai passé mai 68 sur les genoux de ce prêtre"
L'homme, âgé aujourd'hui de 63 ans, a été directeur de cabinet d'un Ministre et directeur d’une administration centrale.
Il raconte, lors de son audition par la commission: "J’ai passé mai 68 sur les genoux de ce prêtre".
Aujourd'hui il se dit encore traumatisé: "Dans mon psychisme, il y a cet homme et il y sera toujours. Je pense que le fait fondamental, c’est d’avoir été utilisé comme un objet."
Le prêtre mis à la retraite en 1986
Le prêtre est aujourd'hui décédé. Il a été en fonction dans un lycée professionnel catholique de 1960 à 1971, puis affecté dans une paroisse. Il a été ensuite mis à la retraite d’office à 57 ans en 1986, "ce qui est un signe très probable d’une mise à l’écart pour une cause qui pourrait être la pédophilie" selon la victime.
"La pédophilie a été tolérée"
Pour cette victime, "le célibat (des prêtres) entraîne la solitude. La pédophilie est condamnée par la loi, mais a été tolérée de facto pendant des siècles par l’Église." Il insiste que le fait que l'Eglise catholique insiste trop sur le pardon qu'il faudrait accorder aux prêtres pédophiles.
C'est à l'été 1967 qu'il rencontre le prêtre en question. Les abus sexuels, qu'il ne décrit pas directement, vont durer jusqu'en juin 1968: "J’avais 12 ans. J’ai indiqué à ma mère que je ne voulais plus voir ce prêtre sans lui en indiquer les raisons et elle ne m’a pas posé de questions. Le prêtre est ainsi sorti de ma vie quotidienne pour demeurer présent dans mon corps, ma vie psychique, affective, sexuelle, et particulièrement aujourd’hui."
Pour Mgr Barbarin, c'est "une injustice"
En 2010 intervient un échange entre la victime et le cardinal Barbarin, par courrier.
"Le terme qu’utilise Philippe Barbarin pour qualifier ce que j’ai subi est le terme d’injustice. J’ai subi "une injustice". J’ai eu beau chercher dans les dictionnaires, je vois assez bien à quoi correspond l’injustice mais je ne vois pas bien en quoi elle s’applique à un crime ou délit sexuel. Et quand on lit cette lettre qui a sans doute été relue par l’avocat du diocèse, on voit que c’est une lettre qui est dans le registre de la compassion qui surtout ne parle pas des faits, ni ne les qualifie pas, ni ne les reconnaît. Enfin c’est une lettre très habile qui vise à dire qu’il s’est peut-être passé des choses regrettables. Tout en sachant que les faits sont prescrits « grâce à Dieu ». Ce genre de lettre, c’est ce qu’il faut conseiller à l’Église catholique de cesser d’écrire. La fausse compassion, il n’y a rien de pire !"
Une commission indépendante
En 2018, les évêques ont annoncé la création d'une commission pour faire la lumière sur les abus sexuels sur mineurs dans l’Église catholique depuis 1950, pour comprendre les raisons qui ont favorisé la manière dont ont été traitées ces affaires et de faire des préconisations, notamment en évaluant les mesures prises depuis les années 2000.
Cette mission veut établir les faits, comprendre ce qui s’est passé et prévenir la répétition de tels drames. En revanche, elle n’a pas pour mission d’établir des responsabilités personnelles. Il s'agit surtout de libérer la parole, entendre les victimes, et recueillir les témoignages.
6.000 témoignages recueillis
A ce jour, 6.000 accusations ont été récoltées, et 150 auditions réalisées. Une soixantaine d'autres auditions sont en préparation d'ici la fin de l'année.
Les témoignages d'éventuelles victimes peuvent être envoyés par mail, courrier ou téléphone à la Ciase. Lors de son tour de France, la commission est accompagnée par la Fédération France Victimes jusqu'au 31 octobre. Après cette date les auditions et les recueils de témoignages continueront évidemment.
Le tour de France de la Commission passe par Lyon, mardi 22 septembre à l'école normale supérieure. Une participation virtuelle est également prévue.