De récentes analyses montrent que les poissons du Rhône sont saturés de «polluants éternels». Les PFAS étant toxiques et dangereux pour la santé, l’ARS recommande de ne pas les consommer.
Les analyses s’enchaînent, les résultats se suivent et les preuves d’une importante pollution aux perfluorés s’accumulent, dans le sud de Lyon. Les autorités annoncent cette fois-ci que les poissons du Rhône sont saturés de PFAS, ces «polluants éternels» dont on parle beaucoup dans la région depuis quelques mois (lire notre dossier).
Des PFAS sont présents dans toutes les espèces prélevées et dans l’ensemble des stations de pêche
DREAL Auvergne- Rhône Alpes
«Des PFAS sont présents dans toutes les espèces prélevées et dans l’ensemble des stations de pêche», explique la direction de l’environnement, la DREAL. Une pollution préoccupante, à tel point que l’ARS vient de publier une recommandation sanitaire. «Dans l’attente d’investigations plus complètes, les services de l’Etat recommandent de ne pas consommer les poissons pêchés dans le Rhône en aval de Pierre-Bénite et dans le Garon», écrivent les autorités.
Des taux élevés de PFOS, dangereux pour le système immunitaire
Car ce qui inquiète, ce sont les teneurs en PFOS. Jusqu’à 110 µg/kg, en aval immédiat de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite.
Cette molécule, moins connue que le PFOA, révélée par le scandale Téflon aux Etats-Unis, et popularisée par le film Dark Waters, fait partie des perfluorés ancienne génération et elle est dangereuse pour la santé. Le PFOS est notamment connu pour affaiblir le système immunitaire.
Depuis 2009, il est restreint par la réglementation internationale, sa présence dans le Rhône s’expliquerait donc par une utilisation ancienne de cette molécule et par une pollution «historique».
L’Europe réglementera bientôt les teneurs en PFAS dans les denrées alimentaires. Les taux dépendront des denrées animales et pour les poissons, selon les espèces, ils pourront varier de 2 µg/L à 45 µ/L. Les poissons au-dessus de ces valeurs pourraient alors être interdits à la vente à partir de janvier 2023.
Et si la pêche professionnelle n’est aujourd’hui plus pratiquée au sud de Pierre-Bénite, les nouvelles recommandations sanitaires pourraient impacter tous les amateurs qui consomment le fruit de leur pêche.
Le scandale des PCB, bis repetita
On parle d’un scandale de même ampleur, qui a les mêmes causes et les mêmes impacts sur la santé que les PCB, on n’a pas changé d’un iota, il faut sortir de ce schéma où des produits toxiques sont utilisés par l’industrie sans qu’il y ait de norme, on va revivre ce genre de scandale à l’infini
Jean-Pierre Faure, directeur de la fédération de Pêche 69
Et pourtant, à la Fédération de pêche du Rhône, qui a participé à l’étude avec la DREAL, le sentiment qui prime, c’est la résignation. «C’est une mauvaise nouvelle parmi tant d’autres, les gens sont à moitié résignés quant au sort du fleuve Rhône», raconte Jean-Pierre Faure, le directeur de la fédération.
«Toutes les espèces de fond étaient déjà interdites à la consommation à cause des PCB, cela parachève le tableau», ajoute-t-il. Dans les années 2000, le scandale des PCB avait effectivement fait beaucoup de bruit. Des analyses avaient révélé des teneurs 40 fois supérieures aux normes de l’OMS dans les poissons du Rhône et la consommation de ces espèces avait été interdite sur plus de 300 kilomètres.
Les autorités dédouanent Arkema
Ces prélèvements, menés avec la Fédération de pêche du Rhône, interviennent après les révélations d’Envoyé Spécial concernant la pollution de l’air, du sol et de l’eau du Rhône par la plateforme industrielle de Pierre-Bénite. Deux géants de la chimie, Arkema et Daikin, y sont installés et utilisent quotidiennement des perfluorés.
Si la DREAL a récemment confirmé que les industriels rejetaient ces molécules directement dans le Rhône, elle insiste cependant sur le fait que les composés retrouvés dans la chair des poissons ne sont pas «caractéristiques de ceux utilisés sur la plate-forme industrielle de Pierre-Bénite».
En plus de cela, «les concentrations totales en PFAS en aval immédiat de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite, en aval éloigné et sur le Garon sont du même ordre de grandeur, ainsi il n’apparaît pas de situation spécifique à Pierre-Bénite», écrit-elle sur son site internet.
«Nous avons la certitude que les origines de cette pollution ne sont pas uniquement industrielles. On le sait tous. On a dans notre vie courante beaucoup de produits, que ce soit des ustensiles de cuisine ou les vêtements, par exemple, qui contiennent des PFAS, et que forcément on retrouve dans le milieu naturel à un moment donné. C’est une pollution qui est assez diffuse, et qui existe», explique Jean-Phillipe Deneuvy, le directeur de la DREAL.
«Les concentrations en polluants en aval du barrage de Pierre Bénite sont très élevées, de 4 à 20 fois supérieures à celle de notre secteur témoin, le secteur du Grand Large», le contredit pourtant la Fédération de pêche du Rhône sur son site internet. «La contamination s’étend loin en aval : les teneurs à Condrieu sont du même ordre qu’à Pierre Bénite pour le silure et la perche», peut-on lire, avec un graphique comme preuve à l’appui (voir ci-dessous).
Des résultats à prendre avec des pincettes
Du côté des scientifiques, l’étude aussi fait grincer des dents. D’abord, parce que de tels prélèvements avaient déjà été organisés sur le Rhône… en 2011.
A l’époque, Marc Babut, chercheur à l’INRAE travaillait sur les PCB. Alerté par le récent scandale américain, il a aussi cherché la présence des PFAS. «A l‘époque, on a constaté qu’il y avait une anomalie forte sur le Rhône et elle s’explique par la présence d’un site industriel en particulier», explique-t-il sans nommer le géant Arkema.
Et s’il existait alors peu de données sur le danger et la toxicité de ces polluants, le scientifique assure avoir transmis tous ses rapports et toutes ses études aux autorités, «mais l’administration a la mémoire courte».
Aujourd’hui, il découvre donc les nouvelles analyses de la DREAL avec un sourire amer, dénonçant la méthode d’échantillonnage. «Ils ont utilisé des lots et broyé ensemble tous les poissons d’un même site et d'une même espèce», raconte Marc Babut. Si la méthode a l’avantage d’être moins couteuse, «à mon sens cela minimise la perception de la contamination», explique le scientifique qui préconise des analyses individuelles.
«C’est un problème qui est peut-être pire que les PCB», ajoute-t-i, «car ce sont des composés plus persistants et ce qu’on commence à comprendre de leur toxicité fait que c’est quand même un vrai sujet de préoccupation».
La DREAL a annoncé qu’elle allait continuer à faire des analyses sur les poissons du Rhône dans le cadre d'un plan exploratoire prévu par le futur règlement européen. La Fédération de pêche du Rhône, elle, étudie les recours judiciaires possibles face au «préjudice environnemental et halieutique de grande ampleur de cette affaire».