Un nouveau plan d'aide à l'agriculture biologique de 90 millions d'euros a été annoncé pour 2024 par le ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire. Qu'en pensent les exploitants agricoles, les premiers intéressés ?
L'annonce vient de tomber au moment du Salon de l'Agriculture. Le Gouvernement a annoncé un nouveau plan d'aide à l'agriculture biologique avec un dispositif d'aide de 90 millions d'euros en 2024. En janvier, le Premier ministre avait déjà évoqué un fonds d'urgence de 50 millions d'euros. Il a été rehaussé. Ce plan a pour objectif "d'apporter un soutien immédiat aux exploitations en agriculture biologique ayant subi des pertes économiques importantes". Cette aide de l'État sera mise en œuvre après validation par la Commission européenne.
"Douche froide"
Antoine Pariset, porte-parole de la Confédération Paysanne du Rhône, s'est installé comme maraîcher à Orliénas en 2016. Il produit des légumes, des légumineuses et des céréales sur neuf hectares en agriculture biologique. "On s'est installé en bio par conviction. Le marché était porteur, c'était l'avenir. On s'est installé en bio, confiants dans l'avenir en se disant que les ventes allaient continuer à progresser", explique le maraîcher. Il était alors convaincu que le marché était porteur. Aujourd'hui, il déchante.
Après plusieurs années de croissance, les ventes de produits bio ont commencé à reculer. Une tendance enregistrée depuis le Covid et qui semble s'être accentuée avec l'inflation et le recul du pouvoir d'achat des Français. Alors les agriculteurs bio sont parfois contraints de déclasser une partie de leur production pour pouvoir la vendre.
"Huit ans plus tard, on se rend compte que le bio a toujours l'intérêt du public. Mais le problème vient de la vente : les gens pensent que c'est trop cher, plus cher. Aujourd'hui, on doit expliquer que nos produits coûtent moins cher, car on dépend moins des intrants chimiques. Mais, malheureusement, on doit vendre nos produits en conventionnel pour arriver à écouler le volume que l'on produit".
Pour Antoine Pariset, il faut aussi aider l'agriculture bio à sortir du circuit court. "Le circuit court est une solution pour écouler ses produits. Si on veut que l'agriculture devienne massivement biologique, on ne peut pas rester dans les circuits courts. Mais pour l'instant, on est condamné à rester dans les circuits courts", déplore le paysan.
Un mouvement de "déconversion" est-il à craindre ? L'agriculteur a déjà observé la tendance. "Il y a huit ans, je ne m'attendais pas à ce que des collègues arrêtent leur certification bio ou arrête la transformation de leur ferme en bio. C'est la douche froide aujourd'hui."
Une aide dérisoire ?
L'annonce de cette aide d'urgence de l'État d'un montant de 90 millions d'euros est-elle un soulagement pour la filière ? "C'est un coup de pouce pour la trésorerie. Notre problème est systémique. On a besoin d'une aide pour les 30 ans à venir, pas pour trois mois", explique le porte-parole de la Confédération Paysanne du Rhône.
On aide ceux qui sont dans la difficulté, mais on encourage ceux qui vivent très bien (...) On veut que l'agriculture biologique soit encouragée encore plus fort que l'agriculture conventionnelle.
Antoine ParisetMaraîcher à Orliénas, porte parole Confédération Paysanne 69
Le paysan pointe du doigt des mesures jugées trop ponctuelles et dénonce une politique du "2 poids, 2 mesures". Ce plan d'urgence est insuffisant. Son syndicat demande un soutien à long terme de l'agriculture du vivant et notamment un rééquilibrage des aides. "On ne nous aide pas à développer l'agriculture biologique. C'est l'agriculture conventionnelle qui est le plus aidée et qui reçoit le plus de subventions alors que cela devrait être l'agriculture biologique (...) Une aide de trésorerie, la Confédération Paysanne dit oui. Mais elle veut une aide systémique pour l'agriculture biologique", explique le représentant. Pour Antoine Pariset, il faut aussi aider l'agriculture bio à sortir du circuit court.
Prendre le taureau par les cornes
À une centaine de kilomètres d'Orliénas, le désamour des consommateurs pour le bio, Carl Cheminal l'a aussi constaté. "Les produits bio sont assignés à des produits très chers", déplore cet éleveur laitier installé à Bussy-Albieux, dans le Forez. Il a installé son exploitation en 2008 en agriculture conventionnelle. Il s'est converti en bio, huit ans plus tard, en 2016. Son exploitation compte aujourd'hui une centaine de vaches laitières.
L'éleveur n'a pas attendu de pouvoir bénéficier d'aides d'urgences pour chercher des solutions à cette mévente. Il y a deux ans, il a dû prendre le taureau par les cornes : il s'est séparé de ses salariés pour réduire ses charges. Un écrémage qui a abouti à une baisse de charges de près de 40 000 euros par an. Mais, son temps de travail, en revanche, a largement augmenté. Malgré cette mesure drastique, sa ferme perd, chaque année, entre 50 et 60 000 euros. La consommation du lait bio diminue.
Pour Carl Cheminal, cette aide d'urgence lâchée par le gouvernement ne réglera pas les problèmes de fond. À commencer par les charges fixes qui étranglent les agriculteurs. Comme Antoine Pariset, il pointe aussi du doigt les marges appliquées par les distributeurs.
Les aides d'urgence, il ne condamne pas non plus la mesure, mais il les juge bien insuffisantes pour la filière. "Les aides d'urgence, ça aidera sûrement des producteurs, mais ça ne réglera pas les problèmes. Rien n'est réellement mis en place", déplore Carl Cheminal. Ce dernier dénonce un paradoxe et un gaspillage.
On a déboursé des millions pour aider à la conversion d'agriculteurs vers le modèle de l'agriculture biologique et aujourd'hui, rien n'est mis en place pour qu'ils puissent rester dans ce mode de production. Certains se déconvertissent pour repartir dans le conventionnel. Je ne les blâme pas ! Mais c'est de l'argent public qui part en fumée. Si on avait réellement appliqué la loi Egalim on ne serait pas dans un tel marasme !
Carl CheminalEleveur laitier à Bussy-Albieux
Ce dernier ne veut pas changer de mode de production : "avec mon associé, en aucun cas, nous ne souhaitons faire marche arrière, c'est impensable. On cherchera des solutions", affirme l'éleveur avec fermeté. Le producteur ne fait pas de vente directe "on sera peut-être obligé de sortir de cette filière longue, mais c'est un autre projet et ça demande d'autres ressources", explique-t-il.
En 2024, plus que des aides ponctuelles et des effets d'annonce, les agriculteurs bio attendent des mesures à la hauteur de la crise, pour pouvoir vivre de leur métier. Ils attendent surtout une véritable vision de l'agriculture biologique.
Qui pourra prétendre à cette aide ?
Des critères d'éligibilité ont été définis par le ministère de l'Agriculture. L'exploitation devra être totalement en agriculture biologique ou en conversion. La totalité de la production agricole primaire devra être certifiée. L'exploitation pourra être spécialisée à plus de 85% en agriculture bio, être certifié et avoir un chiffre d'affaires issu du bio représentant plus de 85% du chiffre d'affaires total (pour l'exercice indemnisé).
La baisse du chiffre d'affaires ou de l'excédent brut d'exploitation enregistrée par l'exploitant doit représenter au moins 20% par rapport à la moyenne des exercices comptables compris entre juin 2018 et mai 2020. L'aide ne pourra compenser plus de la moitié des pertes. L'aide sera plafonnée à 30 000 euros (40 000 pour les jeunes agriculteurs et nouveaux installés). Pour un montant minimum de 1000 euros. Les agriculteurs bio pourront déposer leurs demandes dès que l'Europe aura donné son feu vert, pour un versement d'ici fin juin.
La filière bio avait déjà bénéficié en 2023 d'un soutien d'urgence de plus de 104 millions d'euros, a rappelé le Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire dans un communiqué du 28 février dernier.