La région Auvergne-Rhône-Alpes a connu une sécheresse exceptionnelle en 2018, faisant de cette année la deuxième plus chaude depuis 1900. Mais il y a eu 2003, 2009, 2011 et 2017. Une situation à répétition qui fragilise toujours plus des exploitations à la santé économique chancelante.
"Chez les agriculteurs autour de chez moi, le sentiment quant aux sécheresses successives, c'est au mieux l'inquiétude, au pire la résignation". Michaël Gonin, installé en élevage laitier avec son frère à Amplepuis (Rhône), n'est pourtant pas le genre à baisser les bras. Avec sa centaine de vaches montbéliardes élevées en zone de montagne, il est habitué à travailler dur et à encaisser les coups : en plus des animaux, il cultive du maïs pour les bêtes, entretient des pâturages, ramasse du foin, le sèche, le stocke...De nombreux épisodes de sécheresse
Mais quand on lui parle sécheresse l'homme est... intarissable. Il faut dire qu'il en a déjà vu pas mal : 2003, l'année de son installation. Puis 2009, 2011, 2017 et 2018. Des sécheresse plus ou moins fortes, entrecoupées -bien sûr- d'épisodes de gel, de grêle, de tous ces événements climatiques qui font une partie de l'incertitude du métier.Alors, pour faire face, il a choisi : contre toute logique, en 2009, il investi environ 8000 € dans une étude préliminaire en vue de construire une retenue collinaire, une sorte de petit étang artificiel. "Pas pour irriguer, juste pour arroser un peu et limiter la casse." Mais il tempère immédiatement : "beaucoup d'agriculteurs autour de moi ne font même pas la démarche, vu que l'étude a toute les chances de ne déboucher sur rien, tant les contraintes administratives sont énormes".
3 ans et demi de bataille administrative pour une retenue d'eau
Et de fait, la retenue nécessitera 3 ans et demi de démarches et 6 mois de travaux, pour un coût de 150 000€. Mais aujourd'hui il ne regrette pas : début avril, il a déjà utilisé son système d'arrosage pour ses prairies. Il faut dire que 2019 démarre mal côté précipitations. En moyenne en février 2019, le déficit était de 30 % dans la région, et de 40% sur les stations météo d'Aubenas, Montélimar, Vichy, le Puy-en-Velay et Clermont-Ferrand.Au niveau de la région, le constat est peu ou prou le même : les températures sont en hausse, et l'eau, de plus en plus régulièrement, vient à manquer.
Une hausse généralisée des températures moyennes
Ainsi entre 1959 et 2016, on observe une hausse des températures moyennes de 1,9° à Vichy, à 2,5° à Bourg-Saint-Maurice (source Observatoire régional des effets du changement climatique) comme on peut le découvrir sur la carte suivante.Du côté des précipitations, si les scientifiques ne parviennent pas à dégager de tendance, il parle de grande "variabilité". Et 2018 en est, en l'occurrence, une excellent illustration. Après un printemps pluvieux, la région a connu une sécheresse de mi-juin à fin octobre. Au cours de ce dernier mois, 6 départements étaient en restriction d'usage de l'eau, 5 en alerte.
Plus chaud, moins d'eau
En cumul sur l’année 2018, la pluviométrie était déficitaire dans le Cantal (-18 %), l’Allier (-13 %, avec 7 mois consécutifs de déficit hydrique) et l’Isère (-10 %). Elle était excédentaire en Ardèche (+30 %), dans la Drôme (+27 %) et la Haute-Loire (+18 %). A cela se sont donc ajoutées des températures moyennes supérieures de 1,5° par rapport à la normale (source Agreste décembre 2018).Résultat : les agriculteurs ont trinqué. Les productions de noix de Grenoble et de châtaigne ont baissé. Mais dans une région orientée pour moitié vers l'élevage, la production fourragère, destinée à l'alimentation du bétail, est un indicateur de choix. Et en la matière, le choc est rude : -17,1% en 2018 soit un déficit de production de 1,6 millions de tonnes de fourrage.
"De mi-juin à fin octobre, un grand nombre d'animaux ont été nourris avec des stocks de fourrage qui aurait dû être mangés en hiver". Robin Freycenon, chef du service des études économiques à la chambre d'agriculture d'Auvergne-Rhône-Alpes, explique que les conséquences en ont été la hausse importante du prix des aliments et la vente de bétail, faute de pouvoir le nourrir.
Un bilan négatif sur tous les postes
Et pour lui, c'est une mauvaise affaire sur toute la ligne pour les paysans : les vaches ont été moins bien nourries et ont donc produit moins de lait (ou de viande) comme nous l'avons constaté chez Christian Agay, producteur laitier à Prochonnet (Puy-de-Dôme). Côté eau, les puits d'exploitation à sec étant à sec, les exploitants ont eu recours au réseau potable, un surcoût qui a plombé les comptes. Une facture également alourdie par la spéculation sur le prix des aliments (fourrage et aliments fabriqués). Pour renflouer leur trésorerie, de nombreux exploitants ont dû vendre des bêtes, provoquant une chute des prix.
Le plan d'aide exceptionnel de la Région
Un tableau très noir dont la Région a pris conscience : en novembre, elle annonçait un plan d'aide de plus de 15 millions d'euros pour soutenir les "12 à 16 000 exploitations d'élevage d'herbivores touchés par la sécheresse". Une aide promise de 300 à 2000€ qui a fait mouche : au 15 mars 2019, date limite de dépôt des dossier, 14 372 dossiers avaient été déposés, faisant apparaître la nécessité de débloquer une enveloppe supplémentaire.5 départements sont particulièrement touchés par les demandes d'aides (Allier, Cantal, Loire, Haute-Loire et Puy-de-Dôme). Ils cumulent à eux seuls plus de 70% des dossiers, comme le montre le graphique suivant :
Des exploitations de plus en plus fragiles
Pour l'association Solidarité paysans, qui vient en aide aux agriculteurs en difficulté, un tiers des exploitations régionales est en situation de fragilité. Parmi les 525 dossiers suivis en 2018 sur l'ensemble de 12 départements, les causes sont multiples : surinvestissements, phénomène climatique, séparations, décès, etc.
Le tableau dressé par Georges Volta, co-président, est clair. L'année 2018 a été très difficile notamment à cause de la sécheresse. Il redoute ses conséquences pour 2019 : incapacité de certains d'acheter des aliments, et vente forcée du bétail.
Les solutions : "L'INRA, ou les Suisses"
Alors quelles solutions envisager ? Mikaël, l'éleveur d'Amplepuis, "mise sur la recherche" : l'Institut national de recherche agronomique, l'INRA ou "les Suisses, ils travaillent beaucoup la-dessus". Mais il admet que le changement climatique est tellement rapide qu'il a peur que "ça aille trop vite, même pour eux".Du côté de la région, on finance depuis 2016 des projets d'irrigation et des retenues d'eau à hauteur de 2 millions d'euros pas an. Mais avec 140 projets aidés, l'affaire ressemble... à une goutte d'eau. D'autant qu'une retenue ne peut garder que l'eau qu'elle reçoit. Et quand elle ne reçoit rien...
Des colloques ... mais pas encore de piste majeure
A la FDSEA du Rhône, le syndicat agricole majoritaire, on sort de deux jours de colloques sur les conséquences du réchauffement climatique. "Des pistes existent, mais c'est trop tôt pour des conclusions définitives" explique Pascal Girin, le président de la section rhodanienne.Au moins, le sujet est sur toutes les lèvres. Toutes ? "Les non-agriculteurs ne se rendent pas compte du danger" confie le patron de la FDSEA 69. Et l'Etat ? d'après lui Didier Guillaume, l'actuel ministre originaire de la Drôme, à l'air de s'y intéresser. Mais ce n'est "qu'un ministre qui n'a pas beaucoup de marge".