Canicule, sécheresse et incendies de forêts… L'été 2022 a battu des records en France. La région Auvergne-Rhône-Alpes a été particulièrement impactée par cet été de feu, avec de nombreux éboulements dans les Alpes, des rivières à sec et des pénuries d'eau potable. A l'heure du bilan, l'émission "Enquêtes de région" fait le tour de nos montagnes, qui n'en finissent pas de fondre, de nos vignes qui surchauffent et de nos forêts qui dépérissent.
Sur la terrasse du Montenvers, juste au-dessus de la Mer de glace, en Haute-Savoie, le géomorphologue Ludovic Ravanel se désole. "Nous sommes ici sur le plus grand glacier français, long de 12 kilomètres. On a du mal à s'en rendre compte, mais, sous nos pieds, la glace fait 40 mètres d'épaisseur. Chaque été depuis les années 80, on en perd 4 mètres. Mais cette année, c'est 7,5 mètres qui ont déjà fondu. On en a plus pour très longtemps".
La montagne paie un lourd tribut au réchauffement climatique
Un constat confirmé par Pierre Rizzardo, enseignant à l'Ecole nationale de ski et d'escalade (ENSA): "L'effet du réchauffement climatique global est plus violent dans les Alpes que dans le reste de l'Europe occidentale. Nous, les guides de haute montagne, nous en sommes les témoins privilégiés, au premier rang des évolutions qui vont de plus en plus vite".
L'accélération du dérèglement climatique en montagne a été particulièrement visible l'été dernier. Cela a commencé dans les Alpes italiennes le 3 juillet, avec l'effondrement de la Marmolada, qui a fait 11 morts: le sérac du glacier s'est détaché d'un seul coup sous l'effet de la chaleur, 10°C relevés à 3309m d'altitude. Un mois plus tard, côté français, c'est le couloir du Goûter qui a été comme dynamité sous l'effet des chutes de pierre, condamnant pour plusieurs jours l'accès aux refuges et au Mont Blanc. Le 12 août, c'est la face nord de la Tour ronde qui s'effondre, puis le 31 août, l'Arête des Cosmiques, juste sous l'Aiguille du midi.
Il suffit de survoler le Mont Blanc pour s'en convaincre. Le toit de l'Europe est parsemé de crevasses, comme autant de plaies sur l'immensité blanche. Ailleurs, c'est la pierre qui affleure là où la neige était éternelle, avec des moraines qui forment de longues langues grises. L'hiver dernier, le long de l'Arête des Bosses, on a même découvert une crevasse inconnue, longue de 150m et large de16m. Une fracture du manteau neigeux, qui s'est formée en un seul hiver. Vertigineux.
La montagne, qu'on croyait immuable, est en train de changer à toute allure. Sur les 100 plus belles courses sur le massif du Mont Blanc, décrites par le grand alpiniste Gaston Rebuffat, un tiers n'est déjà plus praticable en été.
Des menaces pèsent sur notre vignoble
"C'est comme si, dans votre chambre, on vous mettait d'abord le chauffage, puis un grand coup de froid et, après, on vous inonde. Vous allez passer de très mauvaises nuits". Raphaël Pommier, vigneron à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) file la métaphore pour parler de ses vignes et du dérèglement climatique. "Une année, il va y avoir un excès de pluie, une année un excès de chaleur, une autre un excès de sécheresse. Ce sont ces extrêmes qui sont difficiles à vivre. Le végétal souffre et c'est tout le monde agricole qui se retrouve en situation de stress".
Raphaël Pommier exploite le Domaine de Cousignac et ses 50 hectares de vignes bio dans l'appellation Côtes du Rhône. Il y cultive près de 12 cépages différents (syrah, grenache, carignan, viognier, roussane...), pour s'adapter au mieux à la qualité de ses sols. Mais l'adaptation est de plus en plus difficile. "L'été 2022 a été compliqué: le manque d'eau et la sécheresse ont provoqué un blocage de maturité. Le millésime sera complexe, il va falloir faire des sélections et être subtil au moment de l'assemblage".
Et quand on lui rappelle que, selon une étude américaine parue en 2020, la moitié des vignobles mondiaux pourraient disparaître en cas de réchauffement de 2°C, Raphaël Pommier se montre optimiste. "La viticulture a de l'avenir dans le département, car les terres s'échelonnent de 70m d'altitude dans la vallée du Rhône jusqu'à 1300m sur le plateau. Il y a de quoi faire, quitte à exploiter des micro-parcelles".
"La solution passera par l'agronomie", affirme sa collègue Hélène Thibon, vigneronne à Saint-Marcel-d'Ardèche. Elle n'en revient toujours pas de cet été 2022, marqué par une chaleur et un manque d'humidité quasi similaires aux conditions du Sahara. Surtout, elle est la première depuis trois générations à vendanger aussi tôt. "Nous avons commencé le 2 août et fini le 29. Même la reboule, le repas de fin de vendanges, n'a pas eu lieu en septembre. C'est du jamais vu!".
L'année des records
2022 restera d'ailleurs sûrement dans l’histoire comme l’année de la prise de conscience du dérèglement climatique. Les Français ont eu chaud, avec trois épisodes de canicule qui se sont succédés de juin à août et des températures supérieures de 2,3°C aux normales saisonnières. Ils ont manqué de pluie aussi: des rivières se sont retrouvées à sec, tout comme certains captages d'eau potable. Une sécheresse qui a obligé 95 départements sur 100 à prononcer des restrictions d'eau et d'irrigation. Ce qui a surtout marqué les esprits, ce sont les feux de forêt. Au total, plus de 62.000 hectares sont parties en fumées, le pire bilan depuis 16 ans (depuis que les mesures sont standardisées). Et toutes les régions ont été touchées, la Nouvelle Aquitaine et PACA, mais aussi la Bretagne.
En Auvergne-Rhône-Alpes, 3842 hectares ont brûlé, soit 10 fois plus que l'an passé. Ce fut le cas dans le Vercors, mais aussi en Ardèche. Notre région a également été confrontée à des pénuries d'eau potable, comme au Teil où une source naturelle souterraine s'est tarie, ou en Haute-Savoie, où des camions citernes ont dû ravitailler les habitants de Rumilly ou du Sappey. Nos forêts, enfin, ont dépéri. L'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) à Clermont-Ferrand mesure l'étendue des dégâts et essaie de comprendre pourquoi les arbres meurent.
Les records de température n'ont pas été battus dans nos départements (ils datent de 2003 pour les départements de l'est et de 2019 pour le Puy-de-Dôme ou l'Allier) mais c'est l'accélération du rythme des coups de chaud qui inquiète. En tirerons-nous les leçons ? C'est l'une des questions que pose "Enquêtes de région".
Revoir l'émission en intégralité
>> Enquêtes de région : " Le dérèglement climatique en Auvergne-Rhône-Alpes", une émission présentée par Julien Le Coq, diffusée le mercredi 28 septembre 2022 sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, disponible en replay dans cet article et sur france.tv