Crise du Covid-19, inflation, grève, le milieu de la restauration cumule des conditions difficiles ces dernières années. Résultat : la profession n'attire plus et les restaurateurs peinent à recruter des salariés. Ils sont donc obligés de s'adapter. Témoignages.
“Travailler en coupure, le soir, les week-ends, courir partout, porter des plateaux, débarrasser, travailler en cuisine avec des odeurs... On est dans un métier où l’on demande beaucoup aux gens”. Philipe Florentin est gérant de deux restaurants situés dans le 2ème arrondissement de Lyon, le café comptoir Abel et le bistrot Abel. Il en a conscience, être salarié dans le milieu de la restauration peut rapidement être désagréable, surtout aujourd’hui.
“Le Covid a profondément changé les mentalités. Les gens se sont désintéressés du travail au profit d’une vie plus tournée vers les loisirs, vers la famille, vers sa personne. L’argent est moins important. Aujourd’hui, les personnes veulent une autre vie. Ils en ont marre des métiers qui accaparent tout leur temps”, ajoute le responsable.
Ras-le-bol des coupures
Adeline en est l’exemple même. Confinée dans son appartement pendant la crise sanitaire, elle a pris un moment pour elle, ce qu’elle avait du mal à faire en 10 ans de métier dans la restauration. Enchainant le service du midi et celui du soir avec moins de trois heures entre les deux, elle “avait le temps de ne rien faire, si ce n’est, de [se] reposer pour le soir et terminer à minuit”, explique la jeune femme avant d’ajouter : “j’étais constamment en décalage avec tout le monde”.
Aujourd’hui, Adeline essaie de sortir de ce secteur. A cheval entre le service, qu’elle affectionne encore, et l’évènementiel, qu’elle envisage comme une option d’avenir, la jeune femme s'occupe du service aux personnes dans le cadre d’évènements privés, principalement le midi. Plus question pour elle de "travailler en coupure".
"On est obligé de sous-traiter"
Comme elle, ils sont des milliers à désavouer le travail en restauration, au grand dam des restaurateurs, qui peinent à recruter des salariés. Dans la région Auvergne Rhône-Alpes, 7000 offres d’emplois sont à pourvoir dans le secteur, soit une hausse de 15% en un an.
Benoit Toussaint est maitre-cuisinier responsable du restaurant Chez Paul’O, à Solaize, près de Lyon. Il explique :“plus personne ne veut bosser. Je passe habituellement par des boites de recrutement. Mais elles n’ont presque plus de candidats. Donc je dois m’adapter”, souligne le cuisinier qui mise beaucoup sur le bouche-à-oreille pour dénicher des nouvelles recrues.
Et quand il ne trouve pas, il va piocher dans les non expérimentés. "J’ai une personne qui ne sait absolument rien faire en cuisine et on va le former. C'est un juriste dont la compagne travaille dans la restauration. Il va venir compléter l’équipe cet été", souligne le cuisiner, conscient que l’exigence de qualité de son établissement devra être revue à la baisse.
Sans personnel, ou de moindre qualification, il se retrouve à devoir "sous-traiter quelques produits”. “On n'a pas assez de personnel en cuisine pour éplucher des haricots, faire des fonds de sauce. On passe par des fournisseurs de fruits et légumes qui se sont lancés dans le taillage des légumes et la pré-cuisson de certains produits de façon à nous faciliter la vie", explique le chef cuisinier.
Revoir les salaires à la hausse
Au contraire, les salaires, eux, doivent augmenter. “C’est un métier qui est très prenant et très physique. Le salaire que l’on propose n’est pas suffisant”, souligne Adeline comme étant l’un des arguments de sa reconversion professionnelle.
Pourtant, les salaires ont déjà augmenté de 16% en 2022, alors que le secteur fait face, comme beaucoup, à la flambée des prix de l'énergie. “Et il y a les grèves aussi !”, ajoute Benoit Toussaint. “Il y a de plus en plus de personnes en télétravail”, explique le restaurateur qui souffre d'une perte de 25% de son chiffre d’affaires en février et mars en raison des manifestations contre la réforme des retraites.
Mais malgré ça, il arrive à “recruter des petits jeunes d’une école d’hôtellerie en Bretagne, leur louer un meublé pour une rémunération de 2500 euros avec 2 jours et demi de congés par semaine. C'est le minimum que l'on propose."
Philippe Florentin, fait lui aussi attention à ce que ces salariés soient correctement rémunérés, car "ce sont les premiers que l'on doit séduire. Ils déterminent l'ambiance dans le restaurant, ce qui fait que les clients vont revenir ou non".
“On va devoir restreindre le nombre de couverts”
D’autres restaurateurs sont obligés de modifier leurs horaires d’ouverture. “Je rencontre beaucoup de professionnels qui se disent obligés de fermer deux jours par semaine”, souligne Philippe Florentin, qui pour le moment échappe à ce problème.
Chez Paul’O, c’est plus compliqué. “Cet été, on va avoir du mal, on va être obligé de restreindre le nombre de couverts”, affirme le responsable qui sert jusqu’à 130 couverts à l'intérieur et 200 à l’extérieur. “Mais comme c'est la période estivale, on va quand même essayer de maintenir le 7/7. En revanche, on envisage de fermer deux jours par semaine prochainement, en basse saison notamment", ajoute le restaurateur.