Sur les murs de l'espace d'art contemporain de Bourg-en-Bresse, Nicolas Daubanes redonne vie à un bâtiment oublié de l'histoire, le camp de Thol. L'artiste réactive les mémoires effacées de la guerre d'Algérie.
Un cutter, de la limaille de fer et une photographie d'une façade prise au camp de Thol à Neuville-sur-Ain. Sur l’un des murs d'H2M, l'espace d'art contemporain de Bourg-en-Bresse, l’artiste sculpte tout un pan de l’histoire méconnue, celle de la Guerre d’Algérie au cœur du département de l'Ain.
"Il y a quelque chose qui m’a particulièrement frappé et ce n’est pas étonnant. On ne parle pas de la période guerre d’Algérie, et encore moins à Lyon", explique-t-il avant d'ajouter : "Si on ne parle pas des multiples condamnations, dont celles à mort, des Français qui ont soutenus des groupuscules algériens ou qui se sont opposés à la guerre, et bien la dernière chose dont on va parler, c’est le camp de Thol".
Représenter le bâtiment de "ceux qui organisent l'enfermement"
Tout naturellement Nicolas Daubanes s'intéresse à ce lieu si particulier pour construire son œuvre. De 1958 à 1961, les bâtiments du Centre d'assignation à résidence surveillée ont retenu des centaines d'Algériens, sympathisants ou militants du Front de Libération Nationale (FLN). "Vous savez, ces fameux camps dans lesquels on plaçait des Algériens en isolement car on ne savait que faire d'eux sur le territoire", souligne l'artiste.
Entouré de grillages et de barbelés, cerné de miradors, gardé par des CRS et des gardiens recrutés localement, le site était l'un des quatre lieux de privation de liberté dans le cadre de la guerre d'Algérie.
"Habituellement, on a tendance à représenter les bâtiments qui enferment. Mais là, j'avais envie de désigner le bâtiment de ceux qui organisaient l'enfermement des autres. C'est une manière de pointer du doigt et de montrer une architecture autoritaire."
Nicolas Daubanes
Depuis 15 ans, le plasticien s'intéresse au milieu carcéral, qu'il dépeint à travers son art.
Questionner le public par l'art
Après de longues recherches, Nicolas Daubanes prend connaissance de l'histoire du camp de Thol. Il ne se voit pas la passer sous silence à son tour. "Je ne vois pas comment je peux ne pas faire autrement que de parler du camp". Il en fait alors l'un des sujets d'une première résidence d'artiste dans un village de l'Ain.
On a des murs, des gens sont conviés à regarder ces murs, et nous y posons certaines choses. Nous avons une responsabilité en tant qu'artiste. Et quelle est-elle ? Questionner le public. L'art doit être apprécié comme un moyen de pédagogie auprès du grand public. Qu'est-ce que c'est ? Pourquoi c'est présenté ici ? L'œuvre vient tout d'un coup raconter quelque chose et dire ce qu'il s'est passé quelque part ailleurs.
Nicolas Daubanes
Le matériel utilisé n'est pas laissé au hasard. "Représenter un lieu d’enfermement en limaille de fer, c’est représenter le lieu dans sa fragilité la plus extrême". Après de nombreuses années à passer le balai dans les usines de découpe d'acier, Nicolas a l'idée de récupérer les déchets pour en faire une œuvre. "C'est ce qui représente le mieux, à mon sens, la question de l’évasion, comme lorsque le détenu tente de s’évader de sa prison et qu'il produit des grains d’acier à coups de limes", confie-t-il.
Faire sienne cette histoire
Des heures de travail pour cette œuvre, Nicolas ne les compte plus. Fils d'ouvrier, il n'a pas oublié ses racines. "J'ai toujours vu mes parents travailler dans la longueur et la lenteur. Un escalier, ça ne se fait pas en quelques heures !", confie le plasticien dont le père était menuisier.
"J'ai ce goût du travail plutôt long. Ça me permet d’adopter mon travail et aussi de ne pas avoir des gestes trop rapides pour comprendre ce que je fais", ajoute-il. Petit à petit, avec douceur, les contours de l'œuvre se dessinent, pour que tous puissent s'approprier à leur rythme cette histoire oubliée.
Exposition à retrouver du 19 novembre au 19 février à l'Espace H2M de Bourg-en-Bresse (Rhône Alpes).