Témoignage. "Ce procès est pour nous une tribune", explique l'ancienne commissaire du Rhône

Marianne Charet-Lassagne était cheffe de la Sûreté départementale du Rhône lors de la mort en service du policier Franck Labois, fauché par un fourgon à Bron. Elle s’est rendue sur place le soir du drame. Aujourd’hui, elle revient avec émotion sur l’importance du procès dans la reconstruction des policiers.

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Franck Labois était policier affecté au Groupe d'appui opérationnel (GAO) à la Sûreté départementale du Rhône. A 45 ans, il a été fauché par un véhicule en fuite dans la nuit du 10 au 11 janvier 2020, à Bron. Le procès de son meurtrier présumé, Farès D., s’est ouvert à la Cour d’Assises du Rhône. L'audience sert de tribune pour ses collègues policiers, qui n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer depuis ce drame. Marianne Charet-Lassagne était cheffe de la Sûreté départementale du Rhône au moment des faits. Elle s’est confiée à notre journaliste sur place.

On se demande tous : et si on avait fait autrement ?

Marianne Charet-Lassagne,

cheffe de la Sûreté départementale du Rhône, au moment des faits

Que représente pour vous aujourd’hui, le procès du meurtrier présumé de votre collègue Franck Labois ?

Le choc est resté intact car notre institution a une énorme pudeur sur la souffrance qu’elle peut avoir. Face à cette scène d’horreur que tout le monde a vécu, les collègues ont pu exprimer un peu leur souffrance. Mais il reste une grosse chape de plomb pour continuer à rester professionnels. La police est très pudique sur ce qu’elle ressent. Donc le choc est intact jusqu’à aujourd’hui car la question de la responsabilité et de la culpabilité sont encore sans réponse donc cela continue de faire souffrir tout le monde. On se demande tous : «Et si on avait fait autrement ?».

Vous vous êtes rendue sur place le soir du drame. Vous parlez de «scène d’horreur», pourquoi employer un mot si fort ? Vous pouvez nous raconter ce que vous avez vécu ?

Evidement ce que j’ai vécu moi n’a rien à voir avec l'horreur vécue par ceux qui étaient déjà sur place. Tout cela a été dit au procès, voir un collègue, un frère d’arme, un ami se faire percuter par quelqu’un qu’on essaye d’interpeller. C’est une brutalité et une horreur incommensurables. Je ne veux pas revenir sur ce qui a déjà été dit par mes collègues, c’est vraiment terrible de voir son collègue entre la vie et la mort du fait du choix d’une personne qui a décidé de prendre la fuite et de ne pas se laisser interpeller.

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Marianne Charet-Lassagne, cheffe de la Sûreté départementale du Rhône en 2020, revient sur la nuit du 10 au 11 janvier 2020, lorsqu'elle s'est rendue sur les lieux après le drame. ©Sandie Goldstein / France Télévisions

Ce dont je voudrais témoigner aujourd’hui, c’est l’horreur que j’ai vu de voir ces professionnels aguerris et recrutés pour faire face à de telles situations en état de sidération complète. Ce qui m’a choqué, c’est eux. C’est leur état. Ils sont l’élite de l’intervention mais là, cette élite-là est recroquevillée sur elle-même, en état de choc. C’est une douleur sur laquelle on ne peut pas agir et ça c’est terrible.

Il y a eu un refus d’obtempérer mais votre choc s’explique car ce n’était encore jamais allé aussi loin ?

Là, on a un individu qui s’est d’abord arrêté. Il s’est arrêté car le dispositif a été réalisé au bon endroit, là où le risque était le moins important. L’unité du GAO réalise 150 interpellations par an, sans aucun blessé, ni du côté des personnes poursuivies ni de notre côté. Jamais un blessé, alors forcément un mort, c’est choquant car ça ne s’est jamais passé comme ça.

J’espère que ceux qui ont assisté à l’audience ont pu toucher du doigt qui était Franck et combien il nous manque aujourd’hui.

Marianne Charet-Lassagne

Certains policiers ont commencé à témoigner à la barre de qui était Franck Labois. C’est un moment important pour vous ?

Oui évidement, c’est aussi ce que nous attendons de ce procès : faire honneur et commémorer Franck. On a un devoir de mémoire. Ce procès est pour nous une tribune pour exprimer qui était Franck et ça a commencé à être fait de manière très sincère, très authentique. J’espère que ceux qui ont assisté à l’audience ont pu toucher du doigt qui était Franck et combien il nous manque aujourd’hui.

Lors de l’enquête, l’accusé a été placé sur écoute. Il a été relaté que Franck Dubois était un super-héro. Est-ce que c’était le cas ?

Pendant les écoutes, on a pu vouloir faire croire que, si Franck s’est fait percuté c’est qu’il le voulait, voir même qu’il pouvait avoir des tendances suicidaires. C’est inaudible pour nous, tellement c’est à dix mille lieux de ce qu’était Franck. C’était un homme ordinaire, ultra-professionnel, qui exerçait un métier extraordinaire. Il était réservé, discret et surtout il adorait la vie. C’est à des kilomètres de ce qui a été relaté pendant les écoutes téléphoniques et ça rajoute une souffrance.

Justement, qu’est-ce que vous pensez de l’attitude de l’accusé depuis le début de ce procès ?

A titre très personnel, et c’est vraiment un ressenti personnel, j’ai l’impression qu’il cherche à assumer le fait d’avoir été au volant de cette voiture mais qu’il décorrèle complètement le fait d’avoir percuté Franck et d’être responsable de sa mort. Et ça c’est très difficile à vivre, à entendre. On sent une certaine distance. Ses remords ont presque été cherchés par le président du tribunal. De mon point de vue, ses remords n’ont rien de sincère, rien d’authentique et ça démontre quelqu’un pour qui la vie humaine n’a aucun prix.

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