Témoignage. "La France doit reconnaître sa responsabilité" : victime d'un trafic d'enfants au Sri Lanka, elle réclame justice

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Champika Macherel a été victime d'un trafic d'enfants au Sri Lanka. Cette juriste chambérienne se bat pour que la France reconnaisse sa responsabilité dans ces adoptions illégales, survenues dans les années 1980.
Autrice de "A deux maux", Champika Macherel a été victime d'un trafic d'enfants au Sri Lanka. Cette juriste chambérienne se bat pour que la France reconnaisse sa responsabilité dans ces adoptions illégales, survenues dans les années 1980. ©France 3 Alpes / Aurélie Massait
Publié le Écrit par Cécile Mathy et Aurélie Massait

Champika Macherel a été victime d'un trafic d'enfants au Sri Lanka. Elle a découvert que son adoption, par une famille grenobloise, dans les années 1980, était illégale. Cette juriste chambérienne se bat pour que la France reconnaisse sa responsabilité.

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Champika Macherel est née en 1985, au Sri Lanka. Pendant longtemps, ce sont les seules informations dont elle a disposé sur son identité. Adoptée par une famille grenobloise, alors qu'elle n'avait que quelques semaines, elle a décidé, trente ans plus tard, de partir en quête de sa famille biologique.

"En 2016, j'ai commencé à avoir la nécessité vitale de rechercher mes origines, je voulais retrouver ma mère et j'ai commencé à ouvrir mon dossier d'adoption. Cela a été long et laborieux parce qu'il y a beaucoup de documents, des documents qui ne sont pas écrits en français mais en cinghalais et donc il a fallu décrypter toutes les pages. Je me suis aperçue qu'il y avait beaucoup d'incohérences mais, à ce moment-là, ça ne m'a pas forcément mis le doute", confie-t-elle. 

Mais plus elle creuse, plus ces incohérences lui sautent aux yeux, comme ces trois dates de naissance différentes. Elle projette, alors, de partir au Sri Lanka pour faire la lumière sur ses origines. Le voyage est prévu pour 2018. Entre-temps, une émission télévisée néerlandaise, Zembla, révèle, dans un documentaire, que plus de 11 000 enfants sri lankais, adoptés en Europe, ont été victimes de trafic d'adoption, dont environ 1500 vivent en France (voir plus bas). Derrière ce trafic d'enfants, se trouve une organisation néerlandaise, baptisée Flash, qui servait d'intermédiaire.

Le "baby business" et les "baby farms"

Champika Macherel part finalement au Sri Lanka pour lever les doutes sur son identité. Elle est suivie par une équipe d'Envoyé Spécial, qui filme son entretien avec les agents de la maternité où elle est née (voir ci-dessus).

Elle présente son dossier, et notamment son certificat de naissance. C'est un faux. Elle est sous le choc.

"Je n'ai même pas compris le mot 'fake' (faux, en anglais, ndlr). On m'a dit qu'il y avait beaucoup d'adoptés qui venaient et à qui on annonçait le même constat. Mais, à ce moment-là, je ne réalise pas. Quand bien même j'ai vu le documentaire de Flash, quand bien même je me suis un peu renseignée, je ne comprends pas ce qu'il se passe", raconte-t-elle. 

"Les Sri Lankais l'ont appelé le 'baby business'. Il y avait plein d'intermédiaires qui se sont constitués pour pouvoir amener des enfants qui n'étaient pas destinés forcément à l'adoption, et les mettre sur ce marché de l'adoption vers l'Europe", explique-t-elle. Les enfants sont volés, ou achetés à des mères vulnérables, pour l'équivalent de quelques dizaines d'euros. Les nouveaux-nés et, parfois, leurs mères biologiques, sont regroupés dans des 'baby farms', des fermes à bébés. 

Les parents adoptifs passent, eux, par l'organisation Flash et une intermédiaire sur place. Près de quatre décennies plus tard, Champika Macherel n'arrive pas à comprendre comment personne, à l'époque, ne s'est rendu compte de rien, que ce soient les Etats ou les familles adoptantes. Le Sri Lanka a reconnu l'existence de pratiques illicites en 2017, mais la France est, jusqu'ici, restée muette.

"A deux Maux", un livre pour renouer le dialogue

La colère, la pudeur et la peur de blesser ses propres parents adoptifs ont conduit Champika Macherel à poser ces questions à Véronique Piaser-Moyen. Celle-ci a adopté une petite fille au Sri Lanka, puis, au sein d'une association iséroise, a fait le lien avec d'autres couples de Grenoble ou de Chambéry, désirant effectuer la même démarche. Ensemble, elles ont écrit "A deux maux" (aux éditions Atramenta), en 2022.

Le livre est la retranscription de leur dialogue, de leurs colères singulières et de leurs combats communs, entre doutes, incompréhensions, excuses et tentatives de pardon. 

"J'ai besoin de comprendre, de vous pardonner", dit-elle aux parents adoptifs. Pardonner de ne pas avoir vu les énormités des incohérences, pardonner d'avoir été les partenaires silencieux et ignorants de ce trafic d'enfants.

"Beaucoup d'adoptés se retrouvent totalement isolés parce que l'entourage ne comprend pas du tout leur démarche. C'est une espèce de double peine qui vient s'abattre sur eux. Ça m'a valu une séparation et un burn-out", confie Champika Macherel.

"Quand mes parents sont partis adopter un petit garçon, ils sont revenus avec deux bébés. Moi, j'étais celle, en plus, dans le couffin. Ça interroge aussi comme façon de procéder", indique-t-elle. D'autant que les deux enfants, qui n'ont officiellement que dix jours d'écart, ont été considérés comme "une fratrie" par l'administration, à leur arrivée en France.

"Quand tu dis : mes parents, ils auraient dû voir. Non, Champika, ce n'est pas notre métier de vérifier ! Nous, on faisait confiance à une administration", lui répond, par exemple, Véronique Piaser-Moyen.

La France face à son passé

Ensemble, les deux femmes et le mari de Véronique Piaser-Moyen, ont porté plainte contre X devant le tribunal judiciaire de Paris. 

"J'estime que l'Etat français a manqué à sa responsabilité quand on regarde, ne seraient-ce que les documents consulaires, c'est-à-dire les passeports, les visas, etc. C'est pour moi les compétences de l'ambassade de France de vérifier l'authenticité de l'adoption de l'enfant", dit celle qui est juriste spécialisée dans l'aide aux personnes migrantes. Champika Macherel connaît donc particulièrement bien les ressorts des démarches à effectuer pour confirmer ou infirmer l'identité d'une personne étrangère.

"Quand on voit sur les différents documents, qu'il y a trois dates de naissance, deux lieux de naissance différents, des documents où la mère doit apporter son consentement et que les documents ne sont pas signés, à ce moment-là, je pense que l'ambassade de France peut annuler un visa et aller faire vérifier si l'enfant présenté est bien l'enfant décrit", s'indigne-t-elle.

Le chemin est long et laborieux, c'est lent, c'est toujours difficile pour un pays de reconnaître et de pardonner. Mais je pense que c'est possible. 

Champika Macherel

Adoptée illégalement en 1985

Après avoir entendu son témoignage et ceux d'autres familles, deux députés socialistes ont déposé une proposition de résolution "visant à reconnaître l’existence d’adoptions internationales illégales en France depuis 1950, invitant à identifier les responsabilités publiques et privées qui ont rendu ces pratiques illicites possibles", le 22 décembre 2022.

"Plusieurs pays européens ont récemment pris conscience de cette situation et se sont engagés dans une démarche de transparence pour faire la lumière sur ces pratiques illégales", détaille le texte. C'est le cas de la Suisse, des Pays-bas ou de la Suède, notamment. 

"Il est donc indispensable que la France se montre à son tour à la hauteur du drame qui s’est noué autour de ces adoptions illégales. Afin de permettre à ces enfants adoptés, aujourd’hui devenus adultes, de connaître la vérité sur leurs origines. Afin, également, d’apporter des réponses aux familles françaises concernées qui pensaient avoir adopté en toute légalité", poursuivent les deux députés.

Le combat pour la recherche des origines au niveau international

"Je n'existe pas dans l'état civil sri lankais", continue Champika Macherel, elle-même mère de deux enfants. 

"C'est très complexe d'être adopté, ça crée des manques qui sont importants et quand, en plus, on vient découvrir qu'il y a un trafic avec des adoptions illégales, personne ne peut imaginer à quel point tout s'écroule. (...) La colère, la tristesse, le désespoir. (...) J'ai l'impression qu'on a mis tout à la fois dans le même panier et qu'on nous l'envoie en pleine face. C'est d'une violence...", écrit-elle dans "A deux Maux".

Champika Macherel a retrouvé sa mère biologique, de manière un peu fortuite, grâce à l'aide de Sri Lankais rencontrés dans un train. Une association s'est créée, sur place, pour mettre en lien les enfants adoptés et leurs génitrices, grâce à des tests ADN.

"Ma mère sri lankaise a pu m'apporter des réponses. Je pense aussi que la blessure est énorme parce que ces mères ont été manipulées dans un état de vulnérabilité important à ce moment-là pour elles, dans la pauvreté et elles n'ont pas pu avoir de soutien psychologique comme on peut en avoir en France. Donc il y a une forme d'amnésie qui s'est installée aussi", explique la trentenaire. Sa mère biologique ne se souvient pas, par exemple, de la date de sa naissance.  

On ne peut pas se retrouver seuls sur les routes d'un pays qu'on ne connaît plus parce qu'on nous a déplacés très tôt dans notre vie, pour aller retrouver nos origines

Champika Macherel

Adoptée illégalement en 1985

Les trous dans son identité ne sont plus béants, ce sont désormais des failles, des lignes de fuite en filigrane de sa double culture. La juriste se bat, donc, pour que d'autres familles ne vivent pas le même cauchemar à l'avenir. 

"Le chemin est long et laborieux, c'est lent, c'est toujours difficile pour un pays de reconnaître et de pardonner. Mais je pense que c'est possible". 

"La démarche de réparation est indispensable au niveau de l'Etat. Après, il faut aller plus loin, c'est-à-dire que l'Etat, dans sa responsabilité, doit absolument encadrer l'adoption internationale mais également accompagner de façon protectrice la recherche aux origines. Cela veut dire avoir une relation inter-étatique".

"On ne peut pas se retrouver seuls sur les routes d'un pays qu'on ne connaît plus parce qu'on nous a déplacés très tôt dans notre vie, pour aller retrouver nos origines. C'est un droit fondamental. Il y a eu la convention de La Haye (29 mai 1993, ndlr) mais elle n'est pas un garde-fou suffisant pour contrer des adoptions illégales", conclut Champika Macherel.

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