"L'état de nos rivières n’est pas gai", Nouria Newman, championne du monde de kayak, essaye de sensibiliser le public à la protection de ces écosystèmes

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Nouria Newman est double championne du monde de kayak extrême. ©France 3 Auvergne-Rhône-Alpes

Nouria Newman est double championne du monde de kayak extrême. Cette sportive, originaire du petit hameau du Villaret-du-Nial près du lac de Tignes qui a navigué sur les rivières du monde entier, n’hésite pas à tirer la sonnette d’alarme pour sauvegarder les cours d’eau en danger. Ramassage, vidéos pour dénoncer certains abus, actions auprès des équipementiers du secteur, elle essaye à son échelle de sensibiliser le public à la protection de ces écosystèmes.

Le parking est presque vide. Il y a juste deux, trois voitures éparpillées. Sortant de l’Isère qui coule à côté, une frêle jeune fille le traverse avec un kayak rouge profilé sur l’épaule. Ses pieds laissent des empreintes humides sur le bitume. Elle avance lentement dans sa combinaison noire puis s’arrête à proximité de trois gros conteneurs qui servent de poubelles.  Elle pose son embarcation sur le sol et en sort un énorme bidon de plastique éventré, un reste de poteau électrique, des bouteilles, des bouts de métal. En quelques minutes, une dizaine d’objets sales se retrouvent par terre. La jeune sportive s’active et dépose méthodiquement les déchets dans les bacs cylindriques en bois.
Difficile d’imaginer qu’il était possible de transporter autant de déchets dans un si petit kayak de compétition.

"Il n’y a plus une sortie où l’on ne ramasse pas un ou deux déchets", affirme-t-elle. "En descendant, ce n’est pas toujours facile de s’arrêter, mais au moment du débarquement il suffit de faire quelques pas pour apercevoir quelque chose. Une fois, on a compté : il y avait plus de 60 bouteilles au même endroit. Les jeunes dans les clubs sont sensibles à la dégradation de l’état des cours d’eau, ils récupèrent et jettent ces plastiques naturellement sans se poser de question. C’est triste, mais c’est devenu monnaie courante. On est 2022 et il y a encore énormément de gens qui continuent de jeter tous leurs déchets de manière irresponsable".

Nouria Newman a beau avoir un palmarès impressionnant, elle ne déroge pas à la règle. Au contraire, elle passe sa vie dans les cours d’eau et s’arrêter pour attraper des sacs plastiques ou un bout de verre est devenu pour elle un réflexe. Alors que les rivières de montagne, les lacs sont considérés comme des oasis de pureté et de fraîcheur, cette spécialiste des sports en eaux vives ne peut que regretter leur état de plus en plus déplorable. "Là, on a l’impression que l’eau est belle, propre, mais franchement si tu la bois, c’est sûr que tu es malade. En France, on a encore vraiment peu de cas de leptospirose. Mais à l’étranger, cela arrive. J’ai attrapé cette maladie l’an dernier en Équateur. Là, j’ai navigué en Inde. Dans certains endroits, quand tu sors de l’eau après avoir pagayé, il faut se doucher. La moindre plaie peut s’infecter rapidement. C’est préoccupant."

Moins de précipitations, de glaciers moins importants = moins de débit

À 32 ans, Nouria Newman a navigué dans le monde entier. Originaire du Villaret-du-Nial, un petit hameau à 1 700 mètres d’altitude, au-dessus du lac du Chevril, près de l’ancien village Tignes, la jeune fille qui a fait les beaux jours de l’équipe de France en slalom brille aujourd’hui dans une autre discipline : le kayak extrême. Elle a même deux titres de championne du monde à son actif. Elle descend rapides et cascades avec une rapidité, une détermination et une maîtrise rares. Dans le milieu de l’eau vive, sa notoriété est considérable. Elle a fait partie de nombreuses expéditions et a réalisé plusieurs premières. Ses vidéos où elle se jette dans des rapides bouillonnants et saute dans des chutes de plusieurs dizaines de mètres lui ont attiré le respect des spécialistes.

"J’ai commencé ce sport très jeune vers 7 ans", raconte-t-elle. "J’ai débuté avec les disciplines classiques, le slalom notamment, et ensuite j’ai dérivé sur le kayak extrême, en compétition et hors des circuits traditionnels, à travers des expéditions. Maintenant, c’est devenu mon métier. J’adore glisser sur l’eau. C’est vrai qu’il y a quelque chose d’assez unique de pouvoir descendre comme cela des rivières un peu partout dans le monde, d’aller dans des sites et des canyons difficiles d’accès sans kayak et où presque personne ne s’aventure. Je mesure tous les jours la chance que j’ai la chance de visiter ces endroits et d’avoir des sensations fortes en descendant ces rapides impressionnants. L’eau vive, c’est assez complexe : ce que l’on voit devant nous est toujours en train de changer, ce que l’on ressent sous le bateau aussi. C’est en perpétuel mouvement et il faut réagir vite. Cela nous force à être dans l’instant présent, concentrée et réactive. Si tu vas te balancer comme cela dans les rapides et tu n’es à pas 100 % là, en général, tu fais une petite visite aux poissons."

Le dérèglement climatique se fait ressentir

La jeune fille qui a parcouru la planète garde néanmoins un certain attachement pour les rivières françaises, belles et fragiles. "En France, on a pas mal de belles rivières, les gorges du Verdon par exemple sont un des plus beaux canyons d’Europe", détaille-t-elle.

"Après pour les amateurs de sensations, même si certains cours d’eau sont moins télégéniques que les gros rapides américains, au niveau technique et kayak pur, on a des rivières qui ne paient pas de mine et qui sont vraiment très bien. Je passe pas mal de temps en montagne, mais plus souvent au fond des vallées. Pourtant, ce qui se passe en haut sur les montagnes nous affecte également sur les cours d’eau. De nombreux endroits ne sont plus autant navigables qu’avant faute de débits d’eau consistant toute l’année. Dans les Pyrénées, certains glaciers reculent très vite et des rivières qui fonctionnaient bien deux mois dans l’année au printemps, ne sont praticables que pendant deux semaines. Dans les Hautes-Alpes, il y a des cours d’eau qui sont navigables normalement tout l’été là et qui, l’été dernier, ne l’ont été qu’un mois. Près de chez nous, avec la sécheresse, il n’y avait presque que deux rivières qui fonctionnaient jusqu’à la fin aout, la Doirée balte coté italien qui est alimentée par le Mont blanc et le Vénéon qui est alimenté par le glacier de la Pilatte dans les Ecrins. Ce sont les deux seules rivières qui avaient de l’eau tard, sinon ailleurs, à partir de fin juin il n'y avait presque rien de très intéressant."

Chacun à son niveau

Passant du temps en montagne, entourée de personnes sensibles à ces enjeux environnement, la jeune fille se sent concernée par ces changements. "Mon métier n’est pas idéal en matière de bilan carbone, reconnait-elle avec sincérité. Pour aller faire du kayak, on prend la voiture, on prend des navettes pour nous déposer ou nous récupérer, pour faire des compétitions, on doit prendre des avions. Je ne suis pas dans une position où je peux dire aux gens ce qu’ils doivent faire, c’est à chacun de faire au mieux à son échelle."

Pour autant, elle prend le sujet très à cœur. "Personnellement, je ne ferais pas d’enfant parce que je n’ai pas envie d’avoir à expliquer à un enfant : tu vois, là, avant il y avait un glacier, c’était trop bien, on pouvait faire du ski, là, il y avait de l’eau qui coulait tout le temps. Je ne sais pas comment je pourrais expliquer et justifier que cela n’existe plus parce qu’on est trop et qu’on est trop cons, c’est compliqué."

Elle tente de faire évoluer les mentalités, les choses dans son milieu. La championne a changé de marque de kayaks parce qu’elle ne comprenait pas que lorsqu’une de ses embarcations était abimée, celle-ci devait être complètement détruite pour être remplacée pour des raisons d’assurance. Elle a quitté ses partenaires américains qui, trop formalistes sur les contrats de garanties, n’envisageaient pas de réparer ou recycler le matériel endommagé et qu’il ait une seconde vie. Alors qu’à ses yeux, il aurait pu servir dans des clubs ou des pays peu favorisés pour des descentes faciles. Elle sensibilise aussi ses fournisseurs de kayak sur l’accumulation de déchets que représentent les emballages plastiques en leur disant que ce n’est pas la peine de recouvrir leurs embarcations de grosses couches de plastiques et de cartons lors des livraisons, vu que cinq minutes après la mise à l’eau, elles allaient être rayées. Dans le même esprit, l’athlète s’efforce de choisir des sponsors vêtement qui ont un service réparation efficace et qui ne poussent pas à sortir à chaque séance photo avec des tenues différentes. Elle les encourage même à s’orienter vers des matériaux étanches, mais sans impact pour la qualité de l’eau.

Alerter sur des pollutions illégales

Son principal levier reste sa notoriété. Elle peut alerter, faire part de ses découvertes. Il lui est arrivé d’observer des barrages construits de manière illégale ou des mines d’or sauvages déversant d’importantes quantités de mercure dans des cours d’eaux en Équateur. Autant d’agissements qu’elle a pu faire remonter à l’ERI, "l’Equatorian River Institute", susceptible de bloquer ces activités illicites avec des avocats spécialisées. Elle a relevé plusieurs aberrations des barrages menaçants de s’écrouler ou relâchant trop de sédiments d’un coup. "Nous avons accès à des lieux loin de tout, où parce qu’il n'y a pas de surveillance, on note des abus", dit-elle. "Si on peut aider comme cela un petit peu, je ne sais pas si cela suffit pour contrebalancer le mal qu’on fait, mais on essaye".

Elle est consciente que l’ampleur de la tâche est énorme et le problème global. "Tu peux faire tout ce que tu veux ici pour essayer de garder les rivières propres, pour préserver l’environnement, mais en te déplaçant tu t’aperçois que pour de multiples raisons, de niveau de vie en particulier, ailleurs le phénomène est encore plus marqué", regrette-t-elle. "Dans certains endroits en Inde, il y a des déchets partout : c’est pollué de chez pollué. À ce moment-là, tu te dis qu’il n'y a plus d’espoir, mais à côté, dans le même pays, tu apprends qu’il y a des gens qui essayent de nettoyer leur village tous les premiers samedis du mois. Ils ramassent et nettoient tout. Alors, tu te dis qu’il y a quand même de l’espoir. C’est dur à dire, mais cela sera un travail collectif. Avec des solutions d’ampleur qui devraient venir d’en haut."

 >> du 17 au 30 décembre, les trois antennes de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes vont mettre au cœur de leur programmation, la protection de la montagne et ses écosystèmes beaux mais fragiles. #PréserveTaMontagne, un sujet d’actualité, une question majeure vu que deux tiers de la région se situe en zone montagne et que la région est à cheval sur les Alpes, le Massif central et le Jura.

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