A Sardy-Les-Epiry, des opposants à la construction d'une grande scierie aux portes du Morvan se relaient pour bloquer un projet jugé démesuré, se rêvant en "Notre-Dame-des-Landes" bis, alors que la plupart des élus y voient une aubaine pour l'emploi et l'essor de la filière bois.
Un investissement de 148 millions d'euros et 126 emplois directs
Bottes boueuses aux pieds et bonnet sur la tête, ils sont une vingtaine à se réchauffer autour d'un plat de lentilles sur un pré à l'orée du bois du Tronçay. Certains ont passé la nuit sur place, dans une maisonnette en paille construite avec l'aide des agriculteurs du coin. Une autre cabane est en construction à côté des toilettes sèches. "On se prépare pour une présence au long cours, on surveillera le site jusqu'à l'arrêt du projet", annonce Jérôme Bognard, éleveur d'escargots et vice-président de l'association Adret Morvan.Le projet, porté par la société Erscia (groupe belge IBV), est un complexe industriel de transformation du bois et de production d'électricité sur 60 hectares autour d'une scierie et d'une centrale à bois: le résineux est scié ou transformé en granulés pour alimenter des centrales à biomasse. L'entreprise prévoit un investissement de 148 millions d'euros et 126 emplois directs.
Scierie zéro déchet ou incinérateur ?
"Au début, on nous parlait d'une scierie zéro déchet. Et on se retrouve face à un incinérateur qui brûlera 20 tonnes à l'heure", avance Jérome Bognard. Et pas seulement du bois brut, mais des "déchets ménagers bois, des bois pollués", assure-t-il. Autour de lui, les militants viennent de la région. Ils étaient une soixantaine, le 4 février, à se ruer vers le bois pour empêcher les premiers abattages en s'aggripant aux arbres. Délogés par les gendarmes, ils se sont repliés vers ce pré, avec l'accord de la propriétaire. Ils parlent désormais de "zone à défendre" (ZAD), pour paraphraser les opposantsau nouvel aéroport nantais, à Notre-Dame-des-Landes.
"On est aussi dans la dénonciation d'un projet démesuré, un gouffre pour les finances publiques", avance Murielle André-Petident, son badge "ZAD du bois du Tronçay" épinglé sur la veste. Jean-François Davaut, conseiller municipal de la commune proche de Cervon, est l'un des rares élus à s'opposer au projet, "parce que ce n'est pas viable économiquement et que les subventions envisagées sont trop élevées". Il juge aussi qu'Erscia met en péril l'activité des autres professionnels du bois de la région et que les routes sinueuses du Morvan ne supporteront pas le trafic estimé par la société à 167 camions par jour.
Reportage de Natacha Musy et Régis Guillon avec :
- Marc Beuniche, bénévole
- Jérôme Bognard, vice-président d'Adret Morvan (Association pour le développement dans le respect de l'environnement en territoire Morvan et environs)
Un référé devant le tribunal administratif de Dijon mardi 26 février
Cinq arrêtés préfectoraux autour du projet sont déjà contestés sur le fond tandis que, à la demande d'une quarantaine de riverains, un référé-suspension sera étudié le 26 février par le tribunal administratif de Dijon. En face, la grande majorité des élus de la Nièvre sont favorables à Erscia, comme l'a recensé cette semaine le Journal du centre. Quelques uns, dont le député PS Christian Paul, se sont fendus d'un communiqué "parce que la Nièvre ne peut-être le seul département en France qui refuserait l'installation de projets industriels, à l'heure où des milliers d'emplois disparaissent".Le directeur général d'Erscia s'emploie de son côté à rassurer : les bois brûlés par la centrale "seront des bois en fin de vie non dangereux", la société puisera peu dans la ressource en résineux du Morvan et se fournira principalement en Auvergne. Les professionnels s'accordent à dire que la filière a de la place pour se développer en France.
"Nous avons la plus grosse quantité de bois dans nos forêts de tous les 27 pays de l'Union européenne. Ce bois est largement sous-exploité depuis des décennies et ce malgré une augmentation très importante de la consommation mondiale de bois", souligne Eric Toppan, forestier et secrétaire général du club d'investisseurs Forinvest. Seul "60% de ce qui pousse chaque année est prélevé dans les forêts", ajoute-t-il.