Mercredi 11 décembre 2013, lors du sixième jour d'audience, la cour a entendu le médecin légiste, mais aussi le récit des victimes.
9h15 : l'audience débute avec les conclusions du Dr Irène Pursell-François
Irène Pursell-François a vu Rémi Kukulinski à deux reprises: lors de sa garde-à-vue peu de temps après les faits et quelques jours avant le procès pour déterminer s'il était en mesure d'être interrogé les enquêteurs, puis d'assister à l'audience. Elle a été frappée par la métamorphose de l'accusé en l'espace de trois ans. Elle a chaque fois conclu que Rémi Kukulinski pouvait être interrogé ou comparaître tout en gardant à l'esprit "sa forte impulsivité" qui peut le conduire à des passages à l'acte violents orienté contre lui-même ou contre autrui.
Quelques jours avant l'audience, ce médecin a eu du mal à communiquer avec Rémi Kukulinski. "Il n'a quasiment plus de parole spontanée. Il prend depuis six mois un traitement lourd. Mais il insiste sur le fait qu'il regrette ce qu'il a fait. Il reste concentré. Il émet le souhait de s'expliquer", précise le Dr Pursell-François. D'où son feu vert pour que l'accusé assiste au procès.
On n'est pas tous égaux devant l'inhalation de fumées toxiques.
Irène Prusell-François a également procédé à l'identification et à l'autopsie des sept résidents décédés. Elle explique que six d'entre eux sont morts d'avoir inhalé des fumées toxiques. La présence de suie de la bouche à l'estomac le prouve tout comme la couleur rouge vif des viscères. Tout cela est caractéristique d'une asphyxie chimique. La septième victime est morte d'un polytraumatisme dû à la défenestration.
Ce médecin ne peut pas dire au bout de combien de temps la mort frappe quand on inhale des fumées toxiques. " C'est très variable d'une personne à une autre. On n'a pas d'explication sur le fait qu'exposé à la même chose, on n'a pas les mêmes conséquences. Des résidents se sont précipités dans les escaliers, ont montés, descendus, se sont débattus, étaient donc hyperventilés et s'en sont bien sorti. (...) Les mamans qui ont accompagné leurs enfants à l'hôpital pour enfants semblaient aller bien. Une fois que leurs bébés étaient pris en charge, elles s'effondraient. Elles perdaient connaissance."
Des personnes ont "décompensé" sur le plan psychologique.
D'autres résidents ont eu des séquelles importantes et des répercussions graves sur leurs vies. Un homme, décédé avant le procès, est devenu quasiment aveugle. Sa cornée a été brûlée. Une jeune femme, qui ne savait pas qu'elle était enceinte, a fait une fausse couche après l'incendie. Des personnes ont "décompensé" sur le plan psychologique. "Certains ayant subi déjà des incendies criminels dans leur pays d'origine, c'était l'histoire de trop. Un an après, ils ne savaient pas où ils étaient: à Dijon ou dans leurs pays d'origine" , rapporte le Dr Pursell-François qui a pu les rencontrer.
10h45 : Orane Duchatel, présidente de l' Association départementale d'aide aux victimes d'infractions pénales (ADAVIP 21)
Depuis le début du procès, les bancs des parties civiles sont presque vides. Ce témoin explique : "l'absence des parties civiles ne témoigne pas de leur désintérêt. L'institution judiciaire leur fait peur. Certains n'ont pas confiance. Car, dans leurs pays d'origine, la victime n'est pas prise en compte. (...) Le traumatisme est toujours là. Revivre les faits est pénible pour eux. Ils se protègent, pour beaucoup d'entre eux, en n'assistant pas aux débats."
"Il y a eu de la colère mais c'était de la souffrance, une quête de compréhension. Mais en aucun cas, ils ne sont dans la haine ou en demande de vengeance."
"189 victimes, ce chiffre parait presque abstrait quand on regarde la salle presque déserte. Parlez- nous de ces grands absents", poursuit l'avocat général.
Orane Duchatel retrace les profils des victimes et des différentes communautés: les chibanis, anciens travailleurs immigrés aujourd'hui à la retraite, qui vivaient depuis longtemps dans le foyer; la communauté pays de l'est, russophone, afghane - beaucoup de demandeurs d'asile qui ne sont peut-être plus sur le territoire français aujourd'hui - et enfin la communauté de vendeurs ambulants sénégalais. Ce sont des gens qui vivent dans la précarité. ils ne comprennent pas toujours bien le français. Ils ont vécu déjà plusieurs traumatismes. ils ont vécu cet incendie comme un nouveau déracinement quand ils ont été relogés et éparpillés dans divers foyers. D'autres travaillent et ne peuvent suivre les débats.
11h30: les deux accusés sont interrogés sur cette longue liste de victimes
Depuis le début de la matinée, Rémi Kukulinski a la tête baissée, le dos voûté. Nicolas Dos Reis est agité de tremblements nerveux. Interrogés par le président sur la longue liste des victimes et les détails macabres entendus, les mots de regrets ne viennent pas spontanément.Relancés par les avocats des parties civiles, les accusés maintiennent leurs versions des faits. Rémi Kukulinski charge son cousin en disant que sa responsabilité est de ne pas avoir arrêté le geste de Nicolas Dos Reis. Nicolas Dos Reis, quant à lui, répète qu'ils sont tous les deux responsables, qu'ils on tout deux enflammé des poubelles même s'il ne sait pas si la sienne a brûlé.
14h10: l'audience reprend avec les témoignages des victimes et des proches des personnes décédées
Cet après-midi, ce sont les parties civiles avec interprètes qui viennent à la barre. Elles sont une trentaine dans la salle.
C'est une dame laotienne qui s'approche la première. Elle est la soeur de Jean-Claude Kongdara, l'une des sept résidents décédés dans l'incendie du foyer. Ils ont tous deux quitté leur pays pour fuir la dictature communiste en 1980. Ils ont vendu tous leurs biens pour payer les passeurs qui leur ont fait traversé le fleuve Mékong de nuit. Ils ont trouvé refuge en France après être passés par les camps de réfugiés au Vietnam. L'émotion la submerge quand elle évoque son frère "comme sa seule famille en France". Elle voulait témoigner pour lui rendre hommage.
"J'ai des cauchemars, des flashes", ajoute la jeune femme mongole
C'est ensuite un couple de nationalité mongole qui témoigne. Ils sont arrivés en France en 2009 pour demander l'asile politique. L'homme avait participé à une manifestation à la suite des élections dans son pays en 2008. Cette manifestation avait viré à l'émeute. Il était recherché par la police comme étant un meneur quand il a fui la Mongolie. Il vivait au dernier étage du foyer Adoma avec son épouse et leur fille âgée de six mois à l'époque. Ils ont tenté de fuir par les escaliers au milieu de l'obscurité et des fumées. Mais ils ont rebroussé chemin car il y avait trop de monde. Il était impossible de passer. Ils sont retournés dans la chambre où ils ont passé la tête par la fenêtre pour respirer. Ils ont assisté à la chute mortelle d'un des résidents. Ils ont été secourus les derniers au bout de 4 heures par la grande échelle. Ils vivent toujours à ,Dijon. Ils se sont vu attribuer une carte de séjour temporaire pour des raisons de santé. Ils souffrent de stress post-traumatique. "Toute ma vie, je garderai le souvenir de cet événement. J'ai des cauchemars, des flashes", ajoute la jeune femme.
"Je n'arrive pas à m'en remettre. Je ne dors plus. Même manger, c'est difficile", gémit une vieille dame congolaise
Une femme âgée avance, très affectée, la voix implorante. Elle demande à s'asseoir. Elle est originaire de la République Démocratique du Congo. Elle a fui son pays car elle avait été emprisonnée et torturée suite à un litige commercial avec une personne ayant des relations. Sa famille a soudoyé les gardiens pour la faire évader. Elle est arrivée en France en mars 2010. La nuit du drame, elle a tenté de fuir par l'escalier. Elle est tombée. Tout était noir. Les pompiers l'ont ramassée et sauvée. "Je n'arrive pas à m'en remettre. Je ne dors plus. Même manger, c'est difficile. Tous les souvenirs remontent. Ils me font mal. Je remets tout entre les mains du Seigneur", raconte cette femme. Sa demande d'asile a été refusée. Elle est sous le coup d'une obligation de quitter le territoire et ne sait plus où aller.
"J'ai beaucoup souffert du régime des khmers rouge et maintenant, j'ai ce souvenir atroce", explique une victime cambodgienne.
C'est au tour d'une vieille dame au visage parcheminé et au regard doux de s'avancer. Elle est cambodgienne. Elle a fui le régime des khmers rouges. Son mari et son fils, partis de leurs côtés, n'ont pas réussi à gagner la frontière. Ils ont disparu au cours du génocide. Elle est arrivée en France en 1981 et vivait au foyer Adoma depuis 1987. Elle a tenu à témoigner des séquelles psychologiques dont elle souffre toujours trois ans après. "J'ai beaucoup souffert du régime des khmers rouge et maintenant, j'ai ce souvenir atroce. Je ressens comme une chaleur à l'intérieur de mon corps. Depuis, je suis perdue. J'ai fréquemment des oublis, des trous de mémoire. Je tombe souvent",
"Ils étaient adultes. Ils auraient dû connaître les conséquences de mettre le feu. Je ne les aime pas", déclare une jeune femme nigérianne
S'avance alors une jeune femme nigérianne. Cette nuit-là, elle était à deux doigts de sauter par la fenêtre pour échapper à l'incendie. Elle pensait que c'était la seule issue. Les pompiers l'en ont dissuadée avant de venir la chercher avec la grande échelle. Elle a vu un résident sénégalais tomber du 6e étage. Depuis, elle souffre d'hallucinations et d'insomnies. Elle a été hospitalisée par deux fois en psychiatrie. "Chaque mois de novembre, tous ses souvenirs remontent", explique-t-elle précisant qu'elle prend des médicaments et qu'elle n'a pas pu garder son travail à cause de son stress post-traumatique. Questionnée par le président sur les deux accusés, elle ajoute : Ils étaient adultes. Ils auraient dû connaître les conséquences de mettre le feu. Je ne les aime pas."
D'autres témoins se succèdent à la barre et égrènent leurs parcours chaotiques jusqu'à leur arrivée en France. Ils racontent comment, en cette nuit de cauchemar, ils ont cru que leur dernière heure arrivait et le traumatisme qui les poursuit trois ans après. Visages inexpressifs, les deux accusés ne lèvent jamais les yeux de leurs chaussures.
" Je me suis couchée parterre. Je croyais que j'étais dans un rêve et je voulais qu'on me réveille", se souvient une jeune femme originaire de Guinée-Conakry.
Le bébé dort dans sa poussette. La jeune mère, qui a fui la Guinée après avoir été torturée pour son appartenance à un parti politique d'opposition, s'avance vers la barre. Dignement et dans un français parfait, elle raconte cette nuit infernale: "Je vivais au 8e étage depuis le 1er avril 2010. J'ai entendu tambouriner à ma porte et vu la fumée en l'ouvrant. Ma chambre se trouvait en face de l'ascenseur. J'y étais en compagnie de quatre messieurs. L'ascenseur s'arrêtait à chaque étage. Au deuxième, le courant a été coupé et il s'est arrêté définitivement. Tout était noir. J'essayais de me souvenir où se trouvaient les escaliers. J'avais avalé beaucoup de fumées. Je me suis couchée parterre. Je croyais que j'étais dans un rêve et je voulais qu'on me réveille. J'étais sur le point de m'évanouir. Je sentais mes pieds tomber. Je me suis rendu compte après que les pompiers me faisaient sortir en me tirant par les pieds. J'ai été hospitalisée à Nancy et mise sous assistance respiratoire pendant onze jours. (...) Ça me révolte. Ces deux messieurs auraient pu me coûter la vie alors que je ne leur ai rien fait." Cette rescapée tousse encore beaucoup et ne supporte pas être dans l'obscurité. Elle a obtenu le statut de réfugiée politique en 2011.
17h30 : des rescapés de la communauté sénégalaise témoignent
Un ancien s'avance à la barre et s'assied. Ce Sénégalais a perdu dans l'incendie son frère Mamadou Ndiaye et un ami très proche originaire du même village qu'il appelle "mon cousin". A son tour, d'une voix posée et en wolof, il relate l'incendie mais aussi et surtout la douleur: "Mon état était tellement grave que j'ai appris le décès de mon frère Mamadou Ndiaye huit jours après. Au village, tout le monde me croyait mort également. (...) Je ne veux pas revenir au foyer Adoma. On m'avait réservé une chambre mais je ne pourrais pas fermer les yeux. Je reverrai tous ces souvenirs atroces. Je ne peux pas rendre visite à mon frère, à mes cousins qui sont retournés vivre là-bas. (...) J'ai toujours été un battant. Depuis cet incendie, je suis handicapé par des problèmes de santé et de multiples opérations. Je ne peux plus travailler et subvenir aux besoins de ma famille au pays.
"Ma vie est finie. Je n'attends plus que la mort", conclut cet homme avec sa voix toujours aussi douce.
La dernière victime qui témoigne est l'épouse de Demba Samb. Ce Sénégalais a sauté du sixième étage. "Je vivais au foyer avec mon mari depuis 1987 et avec mon fils. "Je n'étais pas là le jour des faits. J'avais quitté le foyer quelques jours avant pour aller au Sénégal pour la fête du mouton. Le 14 novembre, à 1h du matin, un résident m'a appelé pour me dire qu'il y avait eu un incendie au foyer. Il ne m'a pas dit tout de suite que mon mari était mort. il m'a passé mon fils. Il ne parlait pas, il pleurait. Quand on m'a dit que mon époux avait péri, j'ai réveillé tout le quartier. On a pleuré toute la nuit. (...) C'est dur, très dur. Mon mari a sauté sous les yeux de mon fils ", se désole cette femme au port de tête élégant.
"Si j'avais été présente cette nuit-là, j'aurais pu éviter le moment de panique de mon mari", tient à préciser Mme Samb.
Elle évoque son sentiment de culpabilité. "Si j'avais été présente cette nuit-là, j'aurais pu éviter le moment de panique de mon mari." Quand cette victime est interrogée sur ce qu'elle ressent à l'endroit des deux accusés, elle répond : "ces deux hommes ont pris mon mari. Je ne peux pas les regarder. Ça me fait mal!" Comme d'autres rescapés, cette dame remercie les Dijonnais pour leur élan de solidarité après ce drame.
18h30: l'audience est suspendue. Elle reprendra demain à 9h15 avec d'autres témoignages de rescapés.
Reportage de Pauline Ringenbach et Jean-François Guilmard avec :
- Fatou Samb, épouse de l'une des victimes
- Abdouaziz Beye, ancien résident du foyer Adoma
- Orane Duchatel, présidente de l'Association Départementale d'Aide aux victimes