C'est l'examen de la personnalité de Rémi Kukulinski qui est au coeur des débats de ce mardi 10 décembre 2013.
9h10 : l'audience débute avec les conclusions d'une enquêtrice de personnalité
Marie-Claude Ponnelle retrace le récit d'un enfant en souffrance dès la maternelle. "Depuis son enfance, Rémi Kukulnski est élevé par des parents à l'histoire compliquée, absorbés par leur travail et fuyant leurs responsabilités". Il est en quête affective perpétuelle. L'accusé a confié pendant l'enquête de personnalité qu'il ne se souvient d'aucun geste de tendresse de la part de ses parents.
"Les carences éducatives et affectives l'ont conduit à une dépression grave qui l'a rendu agressif pour lui-même et pour les autres", résume l'enquêtrice.
Rémi Kukulinski a été placé en Institut Médico-Educatif dès l'âge de 9 ans à la suite d'un signalement de l'école. Il avait sur la joue la marque d'une gifle que son père lui avait donnée. Il tire de ce placement un sentiment d'être rejeté par sa famille et une grande rivalité envers ses frères qui sont restés à la maison. "Le père est rigide. Il reproduit ce qu'il a vu dans son enfance. Il ne parvient pas imposer le cadre éducatif qu'il souhaite pour ses enfants. Il est court-circuité par une mère autoritaire aux injonctions paradoxales. Elle donne ordres et contre-ordres dans la même phrase. Mais cette mère reste un refuge malgré le peu de tendresse qu'elle manifeste à son fils et son ambivalence", explique Mme Ponnelle.
Inconsciemment, Rémi Kukulinski reproduirait cette ambiguïté maternelle. "Il met en échec au dernier moment toutes les initiatives qui lui seraient favorables. Il se déconstruit au lieu de se construire." Tous les soins psychologiques proposés ou organisés sont toujours interrompus par la mère qui reprendre en main son fils personnellement, puis par Rémi lui-même.
Pendant son adolescence, Rémi Kukulinski a des idées suicidaires. Depuis son incarcération, il a fait deux tentatives de s'ouvrir les veines avec un rasoir.
10h10: la mère de Rémi Kukulinski est à la barre
Christine Morin, ex-Kukulinski, décrit son fils: "C'est un enfant solitaire. Rémi a commencé à avoir des problèmes de comportement. Il se mettait en danger."
A la question du président "votre mari était-il violent?". La mère de Rémi répond par l'affirmative. "Il était violent verbalement et physiquement avec les enfants. On n'était pas d'accord sur la façon d'élever les enfants. C'était une source de conflit entre nous. (...) Mon propre père pouvait être violent quand il avait bu. J'ai assisté, enfant, à des scènes difficiles. C'est pour cela que je ne voulais pas que mon mari lève la main sur mes enfants. C'était insupportable. (...) C'est pour cela aussi que je me suis jurée petite que jamais je ne me mettrai à genoux devant un homme."
A la question de savoir pourquoi elle fait sortir son fils de psychiatrie, en mai 2008, où il est hospitalisé depuis un mois, Christine Morin confirme. Elle avait été mal reçue par les infirmières et le psychologue. Le président Theurey reste perplexe sur cette propension de ne pas suivre les conseils concordants des éducateurs et des professionnels de santé.
"Ce n'est pas facile d'accepter que ses enfants soient mal. J'étais dans le déni", explique la mère de Rémi Kukulinski.
La mère de Rémi Kukulinski reconnaît qu'elle n'était pas une maman démonstrative. Elle se justifie : "les sentiments sont tabous dans la famille."
11h15: témoignage de voisins de la famille Kukulinski
Au premier semestre 2010, la famille Kukulinski emménage en Haute-Savoie. Ils y vivront six mois environ. C'est au cours de cette période que les parents se séparent. La mère fait une tentative de suicide. Le père n'intervenant pas, ce sont les enfants qui appellent les secours. Suite à cette tentative de suicide, la mère a été hospitalisée. Le père a quitté le domicile familial en laissant ses deux plus jeunes fils livrés à eux-mêmes, décrivent ces voisins de palier.Ce jeune couple a pris Rémi Kukulinski sous son aile comme on le fait pour son jeune frère. "C'était un ado cassé, un gamin fragile, qui est venu chercher chez nous de l'écoute et de la protection."
"On lui faisait comprendre qu'il n'y avait pas de place pour lui dans la famille. C'était un enfant perdu qui ne demandait qu'une chose: être écouté", se rappelle le voisin.
Ce couple affirme que la mère de Rémi a déclaré devant lui qu'il n'était pas un enfant non désiré. Quand la mère de famille déménage, elle emmène son plus jeune fils en voiture à Dijon. Elle laisse Rémi se débrouiller tout seul sur le quai de la gare, avec un billet de train. "Son père, lui, il ne voulait plus entendre parler de lui", poursuit ce témoin.
A ses protecteurs, Rémi Kukulinski n'a pas caché ses démêlées avec la justice pour de la petite délinquance. Il expliquait que c'était sa façon d'exister et faire en sorte que ses parents s'intéressent à eux. Il leur a confié également qu'il ne voulait pas revoir son cousin sous peine de retourner en prison.
11H30 : Rémi Kukulinski est invité à réagir sur son parcours dressé jusqu'à présent
L'élocution de Rémi Kukulinski est très lente. Il n'est pas disert. Le président Theurey est obligé de lui tirer les mots. Il reconnaît que la description qu'on a fait de lui est fidèle.
"Je ne veux plus avoir de contact avec mon père. Je lui en veux d'être parti, de nous avoir laissé dans la merde. Et votre mère?", interroge le président. "Je n'ai rien à lui dire", répond l'accusé.
Quand il est interrogé sur sa relation avec son cousin, il déclare: "je ne voulais pas le revoir. Je ne savais que je faisais que des conneries avec lui." "c'est l'effet de groupe", ajoute-t-il.
14h10: l'audience reprend avec les expertises
Mme Dubost est psychologue. Elle a rencontré décrit Rémi Kukulinski en prison à l'été 2011. Elle le décrit comme un jeune homme "qui répète la violence et l'agressivité dans lesquelles il a toujours vécu privilégiant le passage à l'acte plutôt que la parole et la mentalisation. Mais il n'y a pas d'anomalie mentale. Il est dans une solitude psychique et dans un état dépressif de longue date". Il oscille entre dépression et agression, entre violence orientée contre lui et contre l'autre "qu'il ne prend guère en compte".
Les étayages parentaux sont faibles, selon cette experte. Ils ont cédé après le départ du père qui a quitté sans plus donner de nouvelles et la dépression de la mère qui a suivi."Dans cette histoire familiale, la violence est la norme. Il y a des carences éducatives et affectives, des manquements parentaux graves", résume l'experte.
Rémi Kukulinski a exprimé spontanément des regrets devant la psychologue. "Il était écrasé par les faits", commente la clinicienne. Sa réadaptation sociale ne peut que passer par une prise en charge psychologique et psychiatrique au long cours et un soutien éducatif qui lui permettrait de décrocher un diplôme.
Me Nicolle représente 23 victimes. Il questionne la psychologue. " Dans votre rapport, vous écrivez que M. Kukulinski vous paraît plus réactif quand il parle d'autres sujets que sur les faits. Est-il possible qu'il se réfugie dans la maladie?" Mme Dubost : "quand je l'ai rencontré, il était ensuqué par les médicaments psychotropes. Il n'avait pas envie de parler de faits qui le faisaient souffrir et qui l'écrasaient. Son corps parle pour lui. C'est possible qu'il y ait chez lui une fuite face à la réalité qui l'accable mais en partie seulement. Il y a aussi un traumatisme et les médicaments. Le tout cumulé"
15h15 : témoignage de son éducateur
Marcel Rameau est éducateur spécialisé. Il a suivi Rémi Kukulinski pendant près de dix ans. "C'est un jeune en grande souffrance psychologique avec une difficulté pour trouver une place dans sa famille. Il présentait des troubles du comportement et de la personnalité (...) Ses parents avaient du mal à entendre les difficultés de Rémi." Il rappelle l'épisode de l'hospitalisation en psychiatrie à Semur-en-Auxois en raison de son état dépressif et le fait que sa mère a signé sa sortie contre avis médical.
Marcel Rameau a pris en charge Rémi Kukulinski quelques jours avant les faits. "Il était SDF. Il disait avoir été lâché par toute sa famille. Plus personne ne l'hébergeait. Il était très abattu, très mal. J'ai paré au plus pressé en lui trouvant un hébergement d'urgence. On devait se revoir pour parler de l'avenir. Mais il n'est jamais venu au rendez-vous. Il ne rappelait pas. Après je l'ai revu aux infos."
Rémi Kukulinski apprend à la cour qu'il a découvert qu'il allait devenir père le soir des faits
A l'issue du témoignage de son éducateur, Rémi Kukulinski revient sur une confidence qu’il a faite à la seule psychologue qui l’a examiné pendant l’instruction. Le soir des faits, une ancienne petite copine l’a appelé pour lui annoncer qu’elle était enceinte. « Je lui ai raccroché au nez car j’étais plus préoccupé par Delphine (ndlr la jeune fille qu’il venait de rencontrer sur internet) et je n’étais pas prêt à devenir papa. » Le président Theurey demande : « Etiez-vous en colère ? » « Oui », répond Rémi Kukulinski après un silence. Interrogé sur ce point, l’expert psychiatre reconnaît qu’une telle nouvelle sur une personnalité fragile peut avoir un grand retentissement et provoquer « une grande décompensation ».
16h10 : conclusions de l'expert psychiatre
Il se présente aux psychiatres comme « une victime avant tout » entre un père violent et une mère dépressive depuis la séparation d’avec son père. Il a un sentiment d’injustice car il a été place en internat de l’âge de 8 à 15 ans contrairement à ses frères. Ce vécu d’injustice, il le répétera en milieu professionnel. Il se sentira persécuté à ses employeurs.
Rémi Kukulinski n’est pas un pyromane.
« Il n'a pas de maladie mentale. Il est responsable pénalement. C’est une personnalité impulsive, psychopathique sur fond de toxicomanie et d’excès d’alcool. Il estime sa consommation de cannabis à 20 joints par jour. (…) Il y a chez lui une menace d’effondrement dépressif permanente. Il a déjà fait trois tentatives de suicide en 2008 et 2010. On a affaire à quelqu’un de perdu», précise le docteur Marc Lavie.
Une avocate des parties civiles pose la question de la pyromanie. Des éducateurs de l’IME ayant rapporté la tendance de Rémi Kukulinski à mettre le feu à des tas de feuilles. Pour le praticien, « Rémi Kukulinski n’est pas un pyromane. Un pyromane agit seul et de façon préméditée. Il est dans un état psychologique stable. Il met le feu et il s’en va. Il n’avoue jamais. Et en général, il ne s’effondre pas comme c’est le cas de Rémi Kukulinski. Un pyromane ne met pas le feu à son logement, à ses propres affaires. »
Marc Lavie rapporte de son entretien avec Rémi Kukulnski qu’il mettait le feu à des poubelles avec son cousin. Cela le rapprochait de lui. L’accusé en parlait en ses termes : « en hiver, ça réchauffe. C’est joli. C’est un plaisir amusant. Ça nous faisait rigoler. »
17h30: témoignage d'un autre éducateur
Fabrice Deslions, chef de service éducatif, a connu Rémi Kukulinski à l’Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique de Villeneuve où l’accusé était placé entre 2006 et 2009. Cet éducateur décrit un adolescent isolé, qui avait du mal à vivre en collectivité. « Il était agressif en internat. Il nous inquiétait beaucoup. Il fuguait. Il s’allongeait sur la route. »
Ce témoin rappelle que les propositions de soins ont été systématiquement refusées. « Rémi a refusé de parler au psychiatre et psychologue. Mme Kukulinski était très arrêtée sur certains choses. C’est peut-être aussi pour cela que Rémi est resté en marge de la structure. »
Il rapporte deux actes incendiaires dans l’établissement qu’il a retrouvés dans son dossier : un feu de poubelle et des jets de papier enflammé par une fenêtre.
17h45 : témoignage du père de Rémi Kukulinski
Il décrit ses fils en ses termes : « Rémi n’était pas facile à vivre dans la famille. Il bougeait beaucoup. On a essayé de le faire suivre à notre place car on n’y arrivait pas. J’étais la personne qui rentrait le plus tard dans la journée et il fallait que je vois les problèmes de la journée et surtout ceux posés par Rémi. »
« Y avait-il de la violence dans votre famille ? », questionne le président. Le père acquiesce : « Oui, c’est vrai. J’en ai fait. C’est le ras-le-bol de la mère qui a fait que j’ai dû intervenir de façon anormale, c’est vrai ! »
« Je ne veux rien à voir avec mon fils.", assène Laurent Kukulinski.
Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Je ne veux même pas imaginer les faits. Je me sens forcément responsable quelque part. J’aurai dû voir les choses plus tôt, différemment », ajoute-t-il avec un ton peu convaincant.
Laurent Kukulinski n’a jamais écrit une lettre. Il ne se sent pas prêt. Rémi craque. Il se met à pleurer. Il n’a plus de contact avec ses deux autres enfants non plus car il pense que son ex-femme l’atteindra par leur biais. Il tient à sa tranquillité.
"Votre fils a besoin de vous. Vous attendez quoi? De l'accompagner au cimetière", s'insurge l'avocat général.
L'avocat général tance Laurent Kukulinski : "j'essaye de vous montrer la part d'humanité de votre fils quoi qu'il ait fait. Je vous dis que votre fils a besoin de vous et qu'il va falloir vous presser. Il a déjà fait trois tentatives de suicide. Vous attendez quoi? De l'accompagner au cimetière." Poussé dans ses derniers retranchements, le père lâche : "je ne lui ai quand même pas tenu la main pour le faire."