Il y a 75 ans, le 8 mai 1945, l’Allemagne capitulait après six ans d’une guerre qui aura fait au total 60 millions de morts à travers le monde. En Saône-et-Loire, malgré le confinement et l'impossibilité de manifester, Jacqueline se rappelle… et nous plonge dans ses souvenirs.

Bientôt elle soufflera ses 90 bougies. Jacqueline vit en Saône-et-Loire, près de Montceau-les-Mines. Pour la première fois depuis 1945, elle passe son 8 mai seule chez elle. Elle commémore la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie devant sa télévision, « en faisant la soupe ». 

La crise sanitaire que nous traversons depuis des semaines empêche aujourd’hui la tenue des cérémonies de commémoration habituelles. Un devoir de mémoire qui, pour la première fois, se fera aux balcons. La préfecture de Saône-et-Loire a notamment invité tous ceux qui le désirent à pavoiser leurs fenêtres et extérieurs. « Ca m’attriste un peu » nous avoue Jacqueline. Même si les maires peuvent aujourd’hui déposer une gerbe aux pieds des monuments au morts, « c’est pas pareil ». « On doit tellement à tous ces jeunes qui se sont fait tués pour qu’on ait la paix. Pour qu’on puisse vivre correctement. » La vieille dame a peur qu’on oublie. 

Les carillons pour annoncer l'entrée en guerre

Elle, elle n’oubliera pas c’est sûr. « Même si aujourd’hui mon cerveau s’est ramolli » ironise-t-elle. Elle avait 9 ans en 1939 et vivait à Givry, toujours en Saône-et-Loire. La Bourgogne était coupée en deux par la ligne de démarcation, plongeant une moitié en zone d’occupation, et l'autre moitié en zone libre. « Je me rappelle que le jour où la guerre a été déclarée, j’étais avec un vieil oncle à mon père. Il était propriétaire d’un clos et on allait ramasser des poires. » Le dos courbé, à "quatre pattes" dans le champ, la petite fille entend les cloches sonner. « Mon vieil oncle m’a dit que c’était une déclaration de guerre. » Ils sont alors rentrés en ville. Là, les gens pleuraient beaucoup, se rappelle Jacqueline. « Et ça, ça m’est resté. Et je n’avais que 9 ans ».

Des six ans de guerre que le monde a traversé, il ne lui reste que des bribes de souvenirs. « Je me rappelle très bien de l’arrivée des Allemands. Ils étaient sur leurs grosses motos. Ils étaient impressionnants… Casqués, avec leurs imperméables verts. » Aujourd’hui, quand elle revoit des images à la télé, Jacqueline a encore peur. Même si à Givry, « c’était assez tranquille » se rappelle-t-elle. « Les Allemands étaient pas vraiment méchants avec nous. Et puis il ne faut pas oublier que chez eux aussi, certains n’avaient pas envie d’être là. Ils étaient envoyés à la guerre mais voulaient rentrer chez eux. » 

Des photos de Pétain distribuées aux élèves

De ses 9 ans à ses 15 ans, Jacqueline se souvient surtout d’une forme d’insouciance. « On en entendait parler parfois. Mais on ne voyait rien. Ça se passait tellement vite. Et on était pas dans le coup nous. La guerre, c’était une affaire de grands. » Avec ses amis, Jacqueline continuait de jouer, « comme si de rien n’était ». Les poupées, le chat-perché, les idées ne manquaient pas. « On s’amusait bien. On était inconscients. On se rendait pas compte du danger en fait. » La guerre, il fallait l’accepter. « C’était devenu une habitude. Pour les adultes ça devait être vraiment difficile, mais pour les enfants c’était différent. »

Même à l’école, les enfants ne parlaient pas de la guerre. « L’histoire, c’était les choses qui s’étaient passées avant. » C’était trop risqué de parler d’occupation. Une parole mal-interprétée pouvait conduire à la prison ou pire, à la mort. « On était à l’école pour apprendre, pas pour s’occuper de la guerre. » Un autre souvenir qui a marqué la mémoire de Jacqueline, c’est la livraison des photos du Maréchal Pétain dans les salles de classe. « Il fallait évidemment qu’on les achète. »
Mais Jacqueline est la fille et la soeur d’un résistant. « Tu diras à ta maitresse qu’elle s’en débrouille. Je veux pas de ça chez moi. » lui ont-ils rétorqué. « Et comme la maîtresse avait les mêmes idées que mon père, elle était bien en difficulté avec ça… » 

Le 8 mai 1945, elle se souvient être allée dormir chez sa grand-mère. « C’était extraordinaire. Tout ce dont on avait envie, c’était que la guerre s’arrête. On manquait de beaucoup de choses. On ne pouvait pas faire ce qu’on voulait sans que ça ne déplaise à certains… » Tout ne s’est pourtant pas arrêté le 8 mai. « Il fallait remonter la pente. La France devait se reconstruire. Et il y avait beaucoup à faire. »

En 1945, des confinements bien pires

75 ans plus tard, Jacqueline vit une autre crise, dont la France devra aussi se relever. « C’est complètement différent. La guerre, c’est bien pire que ça. On savait où était l’ennemi. On savait qu’il ne fallait pas s’y frotter. Il y avait des gens mal intentionnés. » Même si aujourd’hui, Jacqueline a peur pour ses enfants et ses petits-enfants, elle se dit qu’elle a vu pire. « Le confinement c’est pas agréable. Mais c’est pas grave. Pendant la guerre, il y a eu des confinements bien pires que celui qu’on vit maintenant. »

Elle devra d’ailleurs continuer à se protéger dès le 11 mai, jour du déconfinement. « Je sais que le virus est encore là et qu’il va rester. Mais c’est comme ça. » 
Des heures sombres que la France a traversé il y a 75 ans, Jacqueline ne veut retenir que l’insouciance. Qu’elle souhaite aujourd’hui à tous. « Vous voyez, même après tout ça je suis toujours là ! Je tiens le coup. » 
 
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