La préfecture de Saône-et-Loire recense 7 morts qui seraient liés au Coronavirus. En Franche-Comté, 25 résidents seraient décédés, mais aucun test n'est pratiqué. Alors que ces établissements manquent de moyens, certains tentent de pénétrer dans les Ehpad pour voir leurs proches agés.
"Cette situation est inacceptable, sinon criminelle, et contrevient à toutes les mesures mises en place pour protéger les personnes les plus vulérables au Coronavirus." C'est ainsi que la préfecture de Saône-et-Loire a commenté ce vendredi 27 mars, l'entrée dans un Etablissement d'Hébergement pour personnes agées dépendantes (EHPAD) de proches d'un résident.L'intrusion s'est faite "par la force ou par la ruse" expliquent les services de l'Etat, malgré les interdictions. Depuis le début de l'épidémie, les visites sont en effet interdite pour éviter toute pénétration du virus aux sein de ces établissements qui hébergent les personnes les plus vulnérables. Le préfet a demandé aux services de police de "parer à une telle situation"
Des dizaines de décès dans les Ehpad
Car dans les Ehpad de Bourgogne Franche-Comté, la situation s'aggrave de jour en jour. Ce 27 mars, la préfecture de Saône-et-Loire comptabilise 7 décès de personnes agées dans des résidences du département."Des résidents et des personnels ont contracté le coronavirus-Covid19 dans plusieurs établissements."
Le 23 mars, dans le Doubs, on apprenait que l'Ehpad de Thise près de Besançon avait enregistré une quinzaine de morts. Si elles n'ont pas été dépistées, selon le maire de la commune, ces victimes présentaient les symptômes du Coronavirus.
Et le jeudi 26 mars, toujours dans le Doubs, une dizaine de décès a lieu en quelques jours au sein d'un même Ehpad à Bart. Là encore, impossible de confirmer le rapport direct avec l'épidémie de Covid-19, faute de tests de dépistages pratiqués.
Selon un communiqué de l'ARS daté du 25 mars, "environ 80 établissements" sur les 400 comptabilisés en Bourgogne-Franche-Comté, "ont signalé des difficultés en lien avec la gestion du COVID-19". Contrairement au secteur hospitalier, aucun chiffre n'est communiqué sur le nombre de cas confirmés chez les pensionnaires, encore moins sur le nombre de décès.
Les morts invisibles de l'épidémie
Cette semaine, Jérôme Salomon, le directeur général de la santé reconnaissait que le nombre de décès annoncé chaque jour dans les hopitaux représentait "une faible part" du total de victimes du Coronavirus. « Un point global sur la situation [dans les EHPAD] devrait être fait dans les prochains jours » explique, de son coté, l'Agence régionale de Santé Bourgogne Franche-Comté.Un flou d'autant plus important que les pensionnaires d'EHPAD atteints de détresse respiratoire ne sont pas forcément transférés à l'hopital. « Et en situation extrême, on sait très bien que nos résidents resteraient en soins intensifs sur place, pour ne pas encombrer davantage les services de réanimation » explique Imad Sfeir, gériatre et directeur médical de 18 établissements de la Mutualité Française en Bourgogne. « Pour l’instant nous n’avons aucun cas, affirme-t-il, mais on sait que cela va arriver. Nous travaillons avec le public qui est le plus concerné par les formes mortelles du virus. On s’y prépare. »
« Prendre le risque de déplacer les seniors déjà touchés par des polypathologies liées à leurs âges avancés serait inefficace voire fatal » ajoute Antoine Perrin. Il est directeur général de la FEHAP, la fédération des établissements privés solidaires, qui regroupe 20% des Ehpad de France.
"Des décisions médicales" affirme l'ARS
Alors que le nombre de patients en réanimation ne cesse d'augmenter (selon l'ARS, ils étaient 149 le 25 mars), le risque de saturation s'accroit dans les hopitaux de la région. Pour contenir tout début de polémique sur un possible "abandon" des résidents d'EHPAD, dans un communiqué diffusé le 25 mars, l'ARS précise : "Toutes les décisions concernant la prise en charge des résidents sont des décisions médicales prises à l’issue de discussions collégiales avec les équipes hospitalières."
"L’ARS regrette que cet investissement soit occulté au profit de la quête frénétique et intrusive d’un décompte de malades ou de décès"
Pour l'agence régionale de Santé, la communication du nombre de victimes dans les EHPAD n'est pas une priorité. Elle conclue ainsi son communiqué daté du 25 mars. "L’ARS Bourgogne-Franche-Comté salue le travail remarquable des professionnels de ces établissements, pleinement mobilisés auprès des résidents et de leurs familles, et regrette que cet investissement soit occulté au profit de la quête frénétique et intrusive d’un décompte de malades ou de décès."
Communique de l'ARS - Point de situation Covid-19 25 mars
Ce mercredi 25 mars, chose inhabituelle, c'est d'ailleurs la préfecture de Saône-et-Loire, et non l'ARS, qui a diffusé l'information sur le nombre de décès en EHPAD.
5 masques par semaine et par lit
C'est la crainte de tout établissements, l'apparition d'un premier cas au sein d'un établissement et la grande difficulté a contenir la progression du virus. « Toute la difficulté est de protéger autant nos résidents que le personnel » admet Imad Sfeir, de la Mutualité Française en Bourgogne. « Il faudrait que chaque salarié puisse porter un masque, mais pour l’instant c’est impossible. Nous n’avons pas le choix que de prioriser les aides-soignants et infirmiers en contact physique avec les résidents. En cette période de crise, il faudrait une centaine de masque minimum, chaque jour, pour chaque structure. Il faut que l’on puisse doubler nos ressources en masques, sinon nous n’arriverons pas à les généraliser à l’ensemble de notre personnel soignant ».Même constat à la Fehap, la fédération des établissements privés solidaires. « Cinq masques par semaine et par lit….. ça n’est pas destiné à protéger suffisamment nos professionnels » regrette Antoine Perrin, le directeur général. « Les professionnels seront soit contaminés soit porteurs si nos établissements ne sont pas réapprovisionnés. Des blouses nous en avons, des gants nous en avons, ce qui manque ce sont vraiment les masques !» insiste-il.
Des Ehpad abandonnés ?
Mercredi, "des masques ont été distribués par la délégation territoriale de l’ARS aux EHPAD de Saône-et-Loire" explique la préfecture de Saône-et-Loire. Ce jeudi 26 mars, le maire de Dijon annonce avoir diffusé 10 000 masques aux personnels des Ehpad de la ville de Dijon, "en complément des distributions de l'ARS en nombre, malheureusement très inssuffisant" a estimé François Rebsamen.
« Je comprends que certaines structures se sentent négligées ou abandonnées » ajoute Antoine Perrin, de la Fehap. « La réserve sanitaire intervient dans les hôpitaux, c’est légitime, mais nos soignants en Ehpad sont tout autant mobilisés et sur le pied de guerre, pour faire face à la situation. Si certains tombent malade, on aura besoin de la société civile c’est une évidence ! »"Ce n’est pas normal de mettre en place des plans blancs et des dispositifs d’urgence si l’on oublie les endroits où les personnes sont les plus fragiles" - Imad Sfeir
De son coté, Imad Sfeir considère qu’il ne tiendra qu’une à deux semaines de plus, avant d’avoir besoin de solliciter l’aide des bénévoles extérieurs pour ses 18 établissements. « Il faut garder notre sang froid, ce n’est pas le moment de régler des comptes, mais ce n’est pas normal de mettre en place des plans blancs et des dispositifs d’urgence si l’on oublie les endroits où les personnes sont les plus fragiles » affirme le directeur médical.
Début de polémique
Une situation que commence à dénoncer certains élus à l'image de l'eurodéputée du Jura (France Insoumise), Anne-Sophie Pelletier. « Les établissements pour seniors sont les grands oubliés dans la gestion de la crise » déplore l'élue qui rapporte plusieurs témoignages de personnels soignants.
« La plupart m’indiquent qu’ils n’ont qu’un seul masque pour dix heures de travail. Mais chacun sait qu’ils perdent leur efficacité au bout d’un moment et ne protègent plus. […] Il faudra m’expliquer comment on peut rester à plus d’un mètre d’un ancien quand il faut le lever, lui faire prendre son repas, l’aider à sa toilette ! » conclut l'eurodéputée.
Pour les établissements qui accueillent des personnes agées dépendantes, un autre problème se pose déjà. La gestion du deuil des familles. Les visites ne sont actuellement plus possibles au sein des structures. Quand un décès survient, le défunt doit être mis en bière au plus tard 4 heures après sa mort. Des mesures qui laissent bien souvent les familles dans un grand désarroi, et qui renforce ce sentiment d’abandon des principaux concernés.