"On y pense un peu chaque jour, Jeanne aurait eu cinq ans" : Olivia Pusset brise le tabou du deuil périnatal

Olivia Pusset a perdu sa fille Jeanne, il y a cinq ans. A l’occasion de la journée de sensibilisation au deuil périnatal, samedi 15 octobre, cette femme originaire de Beaune (Côte-d'Or) a accepté de témoigner sur ce tabou.

C'est un silence qui confine à l’intime. Un silence lourd entouré de regards mais aussi de solitude. Un silence, quand l’on voudrait entendre les cris d’un enfant, de son enfant. Le deuil périnatal est un drame peu visibilisé. En 2019, il concernait pourtant plus de 10 grossesses sur 1000.

Ce chiffre prend en compte les enfants nés sans vie ou décédés au cours des 7 premiers jours de vie. Cette définition restrictive cache cependant une grande variété de situations qui ne sont pas comptabilisées dans ce pourcentage. Comme l’histoire d’Olivia Pusset. Cette Beaunoise de 42 ans livre son témoignage à l'occasion de la journée de sensibilisation au deuil périnatal.

"J’ai toujours rêvé d’être une maman"

La chambre de Jeanne est restée longtemps en l’état. Pendant trois ans, les meubles étaient disposés, çà et là. Un lit, une étagère, des jouets. Comme toute chambre d’enfant. À l’exception près que la pièce était toujours bien rangée. "C’était sa chambre", confie Olivia Pusset. Depuis deux ans, cette jeune quadragénaire a décidé d’aménager autrement cet espace. Une manière peut-être d’avancer dans son deuil périnatal, d’accepter la mort de sa fille survenue cinq ans plus tôt. 

Août 2017. Olivia et son conjoint Sébastien foncent au CHU de Dijon. Leur premier enfant est sur le point de naître. Depuis neuf mois, ils l’attendaient. Neuf mois, et même un peu plus. "J’ai toujours rêvé d’être une maman", raconte Olivia. Pendant neuf mois donc, la grossesse a suivi son cours. Les échographies se sont succédé et l’attente a grandi petit à petit. Des semaines pendant lesquelles elle et son conjoint imaginent leur vie à trois, avec un enfant, préparent la chambre. Et choisissent même un prénom : Jeanne.

Une malformation cardiaque rare

Jeanne voit le jour le 22 août 2017. "Tout va bien", voilà ce que lui répète le corps médical à l’issue de ce long accouchement. La jeune femme est rassurée. Elle craignait ce moment "effrayant". "À ce moment-là, on est heureux, on vit un bonheur intense…" Elle s’arrête. Sa voix esquissait un sourire, mais s’éraille, quelque peu. 

Les événements s’enchaînent très vite. Olivia s’en souvient avec précision. "On ne comprend pas ce qui nous arrive", lâche-t-elle. Le nouveau-né a du mal à respirer, mais les médecins restent optimistes. Elle s'en rappelle encore : "On nous a dit que ça arrivait souvent aux nourrissons". Mais le problème semble plus complexe : une malformation cardiaque très rare est diagnostiquée le lendemain, la maladie d’Ebstein.

Jeanne est héliportée à Necker

L’équipe médicale conseille aux jeunes parents de poursuivre les soins à l’hôpital Necker à Paris, "plus spécialisé dans le fonctionnement cardiaque". Jeanne est héliportée au centre hospitalier de la capitale. Olivia et son compagnon prennent la route pour la rejoindre.  

Des soins sont prodigués au bébé. Pas suffisants. Dix jours après sa naissance, Jeanne doit donc subir une opération à cœur ouvert. "Nous n’avions pas beaucoup d’informations", regrette encore Olivia. À plusieurs reprises, les annonces sur la santé de l’enfant s'entrechoquent. C’est autant d’espoirs déçus pour les jeunes parents.

"Je rentre le ventre vide, et les bras vides"

L’enfant est opérée pendant six longues heures. Au terme de cette attente, les médecins se montrent là encore rassurants : "Tout s’est bien passé". Et reviennent, quelques instants plus tard : "Nous sommes en train de la perdre". Stupeur pour Olivia et Sébastien. "Nous sommes restés au chevet de notre fille. Jeanne est décédée dans nos bras", explique-t-elle. Puis sa voix vacille : "Personne n’est préparé à la perte d’un enfant, personne ne s’y attend. On croit que le pire est arrivé, mais c’est le début d’un cauchemar."

Le lendemain, Olivia et Sébastien rentrent chez eux, à Beaune. Le corps de Jeanne est rapatrié un peu plus tard. "Je rentre le ventre vide, et les bras vides", lance-t-elle. Malgré l’accompagnement de la maternité, une montagne administrative attend le couple. "Il faut organiser les obsèques, choisir le cercueil, changer le livret de famille, prévenir la CAF, mettre à jour la sécurité sociale. On reçoit des sollicitations publicitaires, des paquets de couches. On subit les démarches sans se poser de questions alors qu’on vient de perdre un enfant", se souvient alors Olivia. Une épreuve dont elle a mesuré les conséquences bien plus tard. Elle s’interroge : "C’est beaucoup de démarches et beaucoup de frais. Si on n’a pas les moyens, alors notre enfant n’a pas le droit à une sépulture ?"

La solitude du deuil

L'entourage "disparaît", par peur d'évoquer Jeanne. "Personne n’ose en parler, personne ne sait comment réagir. Nous non plus, explique-t-elle. Nous ne savons même pas comment faire pour survivre, et nous nous retrouvons sans soutien. C’est toute une famille qui vit le deuil. Au-delà de mon conjoint, c’est aussi les grands-parents, les oncles, les tantes." Olivia et Sébastien affrontent donc la perte de leur fille, presque seuls. Le couple reste "soudé".

Dans la maison, une pièce demeure vide. "Ma fille n’est jamais venue dans sa chambre", constate Olivia. Le souvenir de Jeanne hante le quotidien des "paranges". C’est le nom donné aux parents qui ont perdu un enfant. Tous les 22 du mois deviennent douloureux. Tous les Noël. Toutes les rentrées scolaires. Tous les anniversaires, de naissance et de mort. Olivia l’admet : "On y pense un peu chaque jour. Jeanne aurait eu cinq ans. Le deuil, on dit que c’est ‘vivre avec’. Moi je trouve que c’est ‘faire sans’."

Une culpabilité immense

Les rituels pour se souvenir de Jeanne s’instaurent. "On lui fête son anniversaire avec des bougies. On lui offre un petit cadeau en nous rendant au cimetière", détaille Olivia. Une étagère est remplie d’objets rappelant leur fille. Comme sa photo. Des coupures d’articles qui parlent d’elle. Des petites attentions que le couple aurait voulu lui offrir.

Malgré toutes ces pensées pour leur enfant disparue, beaucoup de doutes se confondent et la culpabilité reste grande. "C’est un bébé que j’ai porté. Jeanne, je l’ai enfantée, et j’ai parfois l’impression d’être responsable de sa malformation. Même si les médecins m’assurent que non", évoque-t-elle, ressassant d’anciens questionnements.

Briser le tabou, grâce à des groupes de parole

Ces remises en question semblent accentuées par les regards parfois pesants de l’entourage. Encore plus quand Olivia se surprend à sourire et même à rire. "J’avais l’impression d’être une personne horrible", souffle-t-elle. Les rares moments de joie deviennent une souffrance pour la mamange : "Avec mon conjoint, nous avons la culpabilité de ne rien avoir pu faire. La culpabilité d’être en vie. La culpabilité de reprendre le cours de notre vie."

Comment parvenir à exister ? Pour Olivia, une partie de la réponse a été "les livres sur la question" et "un groupe de parole". Plusieurs associations existent, notamment l’AGAPA  et la SPAMA. La Beaunoise choisit de solliciter "Enfant sans nom, parents endeuillés", à Chalon-sur-Saône. 

Se sentir compris et entendu

"J’avais peur de ne rencontrer que des personnes ayant vécu la même perte que moi, et que cela pouvait être lourd à vivre, mais on se sent compris", témoigne Olivia. La mamange commence à prendre part aux réunions. Une manière de mettre des mots sur ce poids qu’elle porte avec son conjoint. "Et on ne se sent plus coupable de détester les femmes enceintes !", lâche-t-elle, un brin rieuse. Le groupe de parole permet aussi de croiser des personnes à différents stades de deuil, de comprendre des trajectoires et de s’en inspirer pour avancer. Olivia et son compagnon se reconstruisent petit à petit. 

Depuis cinq ans désormais, la mamange s’implique dans la branche bourguignonne de L’Enfant sans nom, parents endeuillés. Le souvenir de Jeanne subsiste chaque jour dans ses pensées, dans les objets disséminés dans la maison, mais aussi dans les récits qu'elle partage avec ses camarades, toutes et tous paranges. À travers les associations, Olivia souhaite que le deuil périnatal devienne un sujet, dont on peut parler sans gêne. Elle l'affirme : "Il faut briser le tabou. Éviter le sujet, c’est faire croire que ça n’arrive qu’aux autres." 

Des événements pour parler du deuil périnatal

Des temps d’échanges sont organisés pour sensibiliser tous les jeunes paranges. Le 15 octobre, particulièrement, des cafés-rencontres sont organisés dans toute la France à l’occasion de la journée de sensibilisation au deuil périnatal. Et chaque année, en mai, une journée est dédiée à l'accompagnement du deuil périnatal à l’initiative d’Une fleur, une vie.

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