Rester debout malgré le traumatisme : le chemin de la résilience pour les familles des enfants décédés dans l’accident de Beaune en 1982

Le 31 juillet 1982, 46 enfants et adolescents perdent la vie dans l’accident de bus de Beaune. 40 ans plus tard, les familles des victimes sont debout. Le film "Rester debout", c'est l'histoire d'une résilience, d’une résilience collective.

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"Rester debout", réalisé par Frédérique Lantieri, c'est l'histoire du triomphe de la vie dans le respect de la mémoire des enfants disparus dans l'accident de car sur l'autoroute A6 en juillet 1982.
C'est l'histoire des familles, comme celle de Marie-Andrée Martin, qui se sont battus contre le désespoir, l'administration et contre l'oubli. 

L’accident le plus meurtrier que la France ait connu à ce jour

Le samedi 31 juillet 1982 reste une date noire et dramatique dans l’esprit de tous. 53 personnes dont 46 enfants (parmi lesquels 2 jeunes moniteurs) périssent dans un terrible accident sur l’autoroute A6, sur la commune de Mercueil près de Beaune.

Les circonstances de l’accident

En plein chassé-croisé estival, deux cars partent de Crépy-en-Valois, dans l’Oise, pour emmener 107 enfants de la commune dans une colonie de vacances en Savoie. Ces bus roulent de nuit, sous la pluie, à la vitesse de 120 ou 130 kilomètres/heure car à l’époque la vitesse n’est pas limitée.

Vers 1h40 l’accident se produit lors d’un ralentissement dans « le goulot » de Beaune, une zone où l’autoroute passe de 3 à 2 voies, à un endroit ou l’A6 fait un angle droit.
A ce moment-là, 2 voitures se rabattent au dernier moment entre les 2 autocars et le dernier bus n’a pas la distance nécessaire pour s’arrêter.

L’accident est inévitable !

L’une des voitures a son réservoir perforé suite à l’impact et perd son essence qui se répand sur une pellicule d’eau.

Là c’est la catastrophe car cette essence ne se mélange pas à l’eau, ne rentre pas dans le sol et se répand rapidement. Avec les étincelles liées à l’accident, le carburant prend feu immédiatement.

Patrick Botto, accidentologiste

Selon cet expert qui a travaillé sur l’accident pendant plusieurs mois, 17 causes ont contribués à cette catastrophe dont un système de freinage défectueux et l’emploi de chauffeurs occasionnels et inexpérimentés : "Les véhicules transportant les enfants avaient été achetés en Allemagne et étaient très anciens, voire vétustes. L’un des 2 cars n’était pas autorisé à rouler en Allemagne."

Si l’état des véhicules a aggravé la catastrophe, il n’est pas seul responsable de l’accident. L’une des causes importantes c’est le fait qu’ils roulaient en convoi, "c’est extrêmement dangereux, surtout sur l’autoroute".

Dans ces autocars il y a 2 portes : une à l’avant droite, l’autre à l’arrière droite.
Lors du départ de Crépy-en-Valois, tous les enfants sont montés dans l’autocar par la porte avant. Lors de la collision, la porte avant du second autocar est déformée par le choc et ne peut plus s’ouvrir. Le feu démarre précisément à cet endroit-là. Instinctivement, les enfants se précipitent à l’endroit par lequel ils sont montés. Les 2 moniteurs qui sont à l’arrière doivent les arracher un par un pour les sortir par la porte arrière.

Dans le 1er bus, le feu s’est déclaré à l’arrière, la porte avant n’est pas bloquée et les enfants sortent tous par cette porte. On ne déplore aucune victime dans ce véhicule. 

Ils sortent tous par où ils sont montés. C’est parce que toutes ces causes, tous ces facteurs arrivent au même endroit et au même moment que l’accident a lieu.

Patrick Botto, accidentologiste

L’accidentologiste  Patrick Botto écrit un rapport suite à toutes ces constatations, un rapport qui n’a jamais été communiqué aux familles des victimes : "Ces gens n’ont jamais su que j’étais là, n’ont jamais su que j’existais !"

Des familles décimées

Ce 31 juillet 1982, quatre des enfants de Marie-Andrée Martin montent à bord des bus : Sylvie, 15 ans, Bruno, 12 ans, Frédéric, 11 ans et Florence, 9 ans. Ils sont heureux de partir ensemble en vacances avec leurs cousins, leurs voisins et leurs amis.

Au départ, Sylvie est installée à l’avant du bus avec sa sœur et ses 2 frères. Lors du trajet elle change de place et rejoint le fond de l’autocar. La plupart des enfants s’endorment pendant le long trajet qui doit les mener en vacances.

On discutait et on a senti un coup de frein, un impact, des cris… Les flammes sont apparues rapidement, la priorité était de sortir !

Sylvie Dubus, fille ainée de Marie-Andrée et rescapée de l’accident

Seuls 15 des enfants présents dans le second autocar arrivent à sortir.
Avec les autres rescapés ils sont emmenés dans un château proche du lieu du drame. C’est en faisant l’appel des enfants que les gendarmes établissent la liste des victimes.

Marie-Andrée Martin apprend la catastrophe vers 6h du matin par une amie dont le fils fait également partie du voyage : "Elle m’a appelé en disant « écoute la radio, j’arrive rapidement."

Sur les différentes stations de radio, l’annonce de la catastrophe tourne en boucle.

Je savais que ma fille ainée était survivante… je me suis dit "puisqu’elle est là, les autres aussi !"

Marie-Andrée Martin

Mais, après l’annonce des survivants, vient celle des disparus. Une descente aux enfers pour Marie-Andrée et les autres familles.

L’abandon des pouvoirs publics face à la détresse des familles

Les obsèques des enfants ont lieu le 3 août 1982, à Crépy-en-Valois, en présence du président de la République François Mitterrand.


Une fois la cérémonie terminée, les hommes politiques retournent à leurs dossiers, les familles sont laissées seules face à leur désespoir.

On n’a eu aucun suivi psychologique ou médical si ce n’est par notre médecin traitant…nous n’avons eu aucune aide de l’Etat à part celle de la municipalité de Crépy-en-Valois.

Marie-Andrée Martin

De surcroit, dans les semaines qui suivent la tragédie, les familles doivent affronter des difficultés matérielles imprévues. En effet, du jour au lendemain, on leur supprime les prestations familiales !

"Début août, on a eu une lettre recommandée de la CAF nous informant qu’on nous supprimait les allocations familiales… L’administration ne fait pas de sentiments !" ajoute la mère de famille endeuillée.

Quand elle demande ce qui va se passer au niveau des versements de ces prestations, une personne (mutée peu de temps après) leur répond que "ce sont des choses qu’il faut prévoir dans la vie."

Cette catastrophe a des répercussions importantes sur certaines familles endeuillées, comme le chômage, la dépression, l’alcool, les divorces… ajoute Bruno Fortier, ancien maire de Crépy-en-Valois.

La seule fois où les familles des victimes sont reçues par un psychologue, c’est pour évaluer leur "préjudice" et le chiffrer ! 

 40 ans plus tard, Marie-Andrée et sa sœur Odile, qui a perdu également 3 enfants dans l’accident, ne digèrent toujours pas cet abandon.

Combattre pour « Rester debout »

Peu de temps après l’accident Marie-Andrée réunit les familles et constitue l’ADFVCA (Association de Défense des Familles Victimes de la Catastrophe de l’Autoroute A6 du 31 juillet 1982) afin de savoir ce qui s’est réellement passé ce jour-là. Une démarche qui leur permet d’aller jusqu’au procès.

« On ne nous a pas considérées comme des victimes"

L’audience s’ouvre en juin 1985 devant le tribunal correctionnel de Dijon, 2 ans après le drame. Une terrible déception pour les familles des victimes et les rescapés.

Marie-Andrée Martin en garde un goût amer : "Lors du procès nous n’avons pas été entendus… à aucun moment nous n’avons témoigné ni tenu compte de notre situation, de notre détresse financière ou morale…on faisait partie du public mais pas en tant que victimes."

C'est le même sentiment d’abandon pour les rescapés.

Aucun des rescapés n’est allé à l’audience…on ne nous en a pas parlé ! On nous a mis de côté.

Sylvie Dubus, fille ainée de Marie-Andrée et rescapée de l’accident

Le tribunal de Dijon condamne le transporteur savoyard à 18 mois de prison avec sursis et 25 000 francs (soit environ 3 811 euros) d’amende. Un des chauffeurs écope de 6 mois de prison avec sursis et un an de suspension de permis et 2 300 francs (soit environ 350 euros) d’amende. Des peines qui semblent dérisoires aujourd’hui.

L’audience civile se tient en parallèle au tribunal de Senlis afin de déterminer l’indemnisation des victimes. Au-delà du préjudice moral, il faut également prendre en compte le préjudice matériel, certaines familles ayant perdu leur emploi, leur maison.

Ce procès a un côté aussi terrifiant que la catastrophe pour Patrick Botto, accidentologiste.

Ce n’était plus que des calculs, que des sommes d’argent… j’ai l’impression qu’on a un peu oublié les victimes…La discussion autour du prix d’un enfant était assez immorale !

Patrick Botto, accidentologiste

Immoral, ce n’est pas peu dire quand Marie-Andrée Martin relate à Patrick Botto le "schéma" que leur avocat a établi de l’avenir présumé des enfants décédés :"On nous a fait remarquer qu’au vu de notre niveau social, assez bas, ils auraient pu être délinquants et finir en prison. Ils ont dit qu’ils n’avaient pratiquement pas d’avenir !"

L’expert est outré par cette information : "comment peut-on se permettre des choses pareilles ! Tout cela ne s’explique que par des raisons financières !"

Un combat pour qu’une telle tragédie ne se reproduise pas

Pour tenir debout, Marie-Andrée Martin et l’Association des victimes de l’accident de Beaune se sont lancées dans un autre combat pour que cette catastrophe ne se reproduise jamais.

L’Association participe à de nombreuses réunions au Ministère des transports afin d’améliorer la sécurité routière et une série de mesures est prise au cours des années 80.

Cet accident a servi à l’évolution de la sécurité pour les autres usagers de la route.

Marie-Andrée Martin

Parmi ces mesures prises par le gouvernement :

  • La vitesse maximale est ramenée par temps de pluie à 110 km/h sur autoroute et 80 km/h sur route
  • La formation des chauffeurs et une limitation des temps de conduite (pas plus de 4h en continu), ce qui oblige la plupart du temps de prévoir 2 chauffeurs
  • Les normes techniques des véhicules (les constructeurs de véhicules destinés au transport en commun doivent utiliser des matériaux incombustibles et non toxiques)
  • L’interdiction de transport par autocar de groupes d’enfants lors des week-ends les plus chargés de juillet et août

"Sans cet accident, ces mesures n’auraient certainement pas été prises aussi rapidement, c’est dommage !" déplore l'accidentologiste Patrick Botto.

Rester debout malgré le traumatisme

Marie-Andrée et les familles de victimes ont été si peu aidées et surtout malmenée par les institutions, qu’aujourd’hui encore, elle se pose des questions terribles, notamment celle de savoir si les enfants ont souffert.

C’est au cours du tournage de ce documentaire, réalisé par Frédérique Lantieri, qu’elle rencontre pour la première fois Patrick Botto, l’accidentologiste.
Dans cet entretien, elle apprend "avec soulagement" que les victimes sont mortes par asphyxie, une asphyxie rapide due aux émanations toxiques des matériaux en combustion.

Après la catastrophe, Marie-Andrée Martin a eu 2 autres filles. Avec ses enfants, elle parle peu de l’accident, une façon pour elle de les protéger : "notre drame n’est pas celui des enfants et je voulais qu’elles aient une autre vie que celle que l’on a vécue." 

Le twirling bâton est la discipline qui porte Marie-Andrée chaque jour. Elle confectionne les costumes, enchaine les compétitions avec ses gymnastes qui remportent de nombreuses coupes, toutes alignées dans son salon.
C’est sa fille Sandrine, ex-championne dans cette discipline, qui est aujourd’hui la coach du club. Mais Marie-Andrée n’est jamais bien loin pour prodiguer ses conseils et veiller avec bienveillance sur ces jeunes sportives.

On a évolué, on a chacun fait notre vie, on a « reconstruit » certaines bases de famille avec nos enfants, nos petits-enfants, nos arrière-petits-enfants… ça nous permet de continuer vers un avenir un peu plus doux.

Marie-Andrée Martin

La vie a repris le dessus pour cette maman qui n’oublie pas, chaque 31 juillet, de se recueillir avec d’autres parents sur le lieu du drame.  

Rester debout, un documentaire de Frédérique Lantieri
Ecrit par Frédéric Crotta et Frédérique Lantieri
Coproduction France Télévisions / Nomade Productions avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée

⇒ A retrouver en replay sur notre page des documentaires

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