"Ça fait cher pour une église non utilisée !" : face au manque de solution, des communes tentées par la désacralisation

C’est parfois le premier poste de dépenses des petites communes : l’église. Entretien, travaux… La facture est souvent trop élevée, et le monument peu utilisé. Alors certains villages pensent à la désacralisation, même si le phénomène reste exceptionnel.

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L’église est au centre du village, et parfois des débats. Elle anime en tout cas les conversations à Chemin d’Aisey (Côte-d’Or). Dans ce petit village de 65 habitants, plus personne ne va à la messe depuis plusieurs années. L’église n’a servi en tout que pour trois enterrements en cinq ans : un en 2023, un en 2022 et un en 2019.    

Plusieurs dizaines de milliers d'euros de travaux

De quoi agacer le maire, Jean-Pierre Moiret : "Ça fait cher pour un monument non utilisé !". Car la commune, comme toutes celles possédant un édifice d’avant 1905, est propriétaire des lieux. Elle doit donc l’entretenir et le rénover au besoin.

Si, jusqu’ici, "les petits travaux ne menaçaient pas les finances de la commune", l’édile craint des investissements plus importants. "On est en train de faire un état des lieux, et a priori il y aurait au moins la toiture à refaire."

"Là ça se chiffre en plusieurs dizaines de milliers d’euros, ce n’est pas possible !"

Jean-Pierre Moiret, maire de Chemin d'Aisey (Côte-d'Or)

Cette situation, de nombreux maires la connaissent. Ludovic Rochette, maire de Brognon et président de l'Association des maires de France de Côte-d’Or, en sait quelque chose. "C’est un sujet extrêmement récurrent, j’en entends parler tout le temps, admet-il. Je visite beaucoup de communes, et au moins une sur deux ou trois me dit qu’elle a des travaux à effectuer, et que c’est très très lourd par rapport à leur budget. C’est, pour elles, l’opération de la décennie."

"Efforts monstrueux" des communes

Lorsqu’elles effectuent des travaux, les communes sont subventionnées par l’Etat, le département, et peuvent faire jouer la Fondation du patrimoine. Mais le reste à charge est souvent important : de 20 à 50% du coût total, selon que l’église soit classée ou non, affirme Ludovic Rochette. 

"Les petites communes font des efforts monstrueux, car les habitants sont très attachés à leur patrimoine. Mais certaines n’y arrivent plus !", alerte-t-il. Et d’énoncer un paradoxe : "Il n’y a jamais eu autant de communes qui font des travaux sur leur église, et il n'y en a jamais eu autant qui ne peuvent rien faire. Les écarts de capacité à investir sont grandissants."

A Chemin d’Aisey, face à l’impasse, le maire a eu une idée. Et si l’église était désacralisée ? "On pourrait en faire une salle des fêtes, faire des expositions, des concerts… C’est toujours mieux que ne pas l’utiliser." Jean-Pierre Moiret en parle à ses administrés, et les réactions sont mitigées. Si certains ne sont pas contre, d’autres tiennent à ce que l’église reste un lieu cultuel. "Je pense que l’idée de désacralisation leur paraît un peu extrême", estime l’édile.

Une décision apparemment partagée par l’évêché. Contacté, le diocèse de Dijon n’a pas donné suite à nos sollicitations. Mais la paroisse d’Aignay/Baigneux, dont dépend Chemin d’Aisey, indique que la désacralisation ne serait pas envisagée dans le village. 

La désacralisation, rarement acceptée

La décision de désacraliser une église, opération qui consiste à en faire un lieu profane en retirant les objets liés au culte, revient à l’évêque. Et les cas sont "extrêmement rares" dans la région. "L’évêque tient souvent à ce que le caractère sacré affecté au culte soit maintenu. C’est la ligne de conduite générale des évêques de France", éclaire le prêtre du diocèse de Nevers Jean-Michel Drugeon, qui précise : "ils redoutent sûrement de créer un précédent. Le seul cas éventuel, c’est une église qui présentait des risques pour la sécurité."

"Aujourd’hui, le sujet n’est pas la désacralisation mais l’entretien des églises. Mais cela viendra, car les communes se retrouvent parfois avec un "boulet"."

Jean-Michel Drugeon, prêtre du diocèse de Nevers

L’exemple le plus extrême est bien sûr celui de l’église d’Asnan (Nièvre), un cas qui a traumatisé la commune, toujours taiseuse à ce sujet. En 2017, la voûte est affaissée et menace de s’écrouler. Les travaux, chiffrés à plus d’un million d’euros, ne sont pas à la portée de la mairie, qui vote pour sa destruction. 

A Chemin d’Aisey, on n’en est pas là. Si la désacralisation n’était qu’une "piste", le maire avoue ne pas savoir à quel avenir se destine son église si le village ne peut plus payer les travaux. Une situation devenue presque banale, selon l’Association des maires de France : "Parfois, les mairies lancent des campagnes de financement privé. Mais bien souvent, le temps passe et l’église se dégrade encore plus."

Ne pas encourager les désacralisations, alors que des édifices sont parfois en piteux état… Une ambivalence admise par le prêtre Jean-Michel Drugeon : "Désacraliser peut permettre de faire autre chose dans une église qui ne sert plus, et éventuellement de sauver un bâtiment".

Des cas régionaux

Ici et là, des chapelles sont d’ailleurs détournées de leur usage initial. En France, plus de 255 églises ont été désacralisées depuis 1905. A Dijon, l’église Saint-Philibert est un lieu d’exposition depuis près de cinquante ans. À Auxey-Duresses (Côte-d’Or), la chapelle de Melin a été rachetée par des particuliers et transformée en gîte au début des années 2000. 

Plus récemment, en février 2024, la chapelle de l’hôpital de Nuits-Saint-Georges a été désacralisée. Ses propriétaires, les Hospices civils de Beaune, n’ont pas souhaité s’exprimer. La chapelle devrait être revendue à un promoteur immobilier pour y créer des logements.

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