Les "Sages" du Conseil constitutionnel ont examiné ce mardi la garde à vue de Murielle Bolle en 1984. On saura le 16 novembre s'ils décident de censurer le texte qui régissait alors le traitement judiciaire des mineurs. Et cela pourrait annuler une pièce essentielle de l'affaire Grégory.
En 1984, aux débuts de l'affaire Grégory, Murielle Bolle, 15 ans, avait fait des déclarations cruciales en garde à vue. Recueillies sans avocats, sans ses parents, celles-ci doivent-elles être effacées du dossier ? Le Conseil constitutionnel s'est penché mardi 23 octobre 2018 sur des pratiques judiciaires du passé.
C'est l'un des épisodes capitaux de cette énigme criminelle : les 2 et 3 novembre 1984, l'adolescente à la crinière rousse avait accusé son beau-frère Bernard Laroche d'avoir enlevé le petit Grégory Villemin, en sa présence. Avant de se rétracter en dénonçant la contrainte des gendarmes.
À l'époque de la mort de l'enfant de quatre ans, retrouvé pieds et poings liés dans la Vologne (Vosges) le 16 octobre 1984, la loi ne prévoyait aucune mesure spécifique s'agissant de la garde à vue des mineurs : ni présence d'un avocat, ni notification du droit de se taire.
"Seule devant les gendarmes", Murielle Bolle "leur a répété à l'envi ce qu'ils voulaient", a plaidé l'un de ses avocats, Emmanuel Piwnica. Elle a été entendue "sans considération pour son âge, sa vulnérabilité".
Estimant que ses droits fondamentaux ont été bafoués au regard de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, Murielle Bolle, qui cherche depuis plusieurs mois à faire annuler cette garde à vue, avait obtenu en septembre la saisine des "Sages" de cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Ceux-ci diront le 16 novembre si plusieurs articles de l'ordonnance de 1945 sur "l'enfance délinquante", qui régissait alors le traitement judiciaire des mineurs, étaient conformes à la Constitution.
Ce recours, qui porte sur l'ordonnance telle que rédigée en 1984, ne concerne possiblement plus que Murielle Bolle : depuis, le texte a été adapté aux exigences contemporaines.
"Comment oser prétendre qu'en 1984, les droits des enfants seraient différents de ceux d'aujourd'hui ?", a interrogé son avocat. L'enjeu est important : si le Conseil constitutionnel décidait de censurer ce texte, les déclarations de Murielle Bolle adolescente, pourraient être ensuite annulées par la justice pénale et rayées de tout acte de procédure qui les mentionnerait.
La jeune fille avait répété ses propos devant le juge. L'accusation soutient que sa rétractation qui avait suivi s'explique par des violences familiales subies à l'époque, ce qu'elle conteste.
"Vérité du dossier"
Claire Waquet, avocate des parents de Grégory Villemin, a mis en garde les "Sages" contre une vision "anachronique" de cette garde à vue. L'ordonnance de 1945 représentait à l'époque "un progrès", a-t-elle soutenu, et ce serait "une erreur complète" de l'examiner à l'aune des exigences actuelles.Les parents Villemin estiment que la garde à vue de l'adolescente, "fondamentale", constitue "une vérité du dossier", et que l'annuler reviendrait à parfaire la "catastrophe" judiciaire, a insisté l'avocate. L'affaire Grégory avait connu un spectaculaire rebondissement en juin 2017 avec les mises en examen de Murielle Bolle et du couple Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory, pour le rapt mortel de l'enfant.
Ensuite annulées pour des questions de procédure, ces mises en examen devraient être de nouveau demandées par le parquet général une fois tous les recours purgés. Les enquêteurs avaient mis en avant de nouvelles expertises en écriture et une nouvelle analyse du dossier à l'aide d'un logiciel de la gendarmerie, Anacrim, pour étayer l'hypothèse d'un "acte collectif" avec Bernard Laroche. Ce dernier avait été incarcéré puis relâché avant d'être tué d'un coup de fusil par son cousin Jean-Marie Villemin, le père de l'enfant, en 1985.
Une annulation de la garde à vue de 1984 permettrait "de ne pas ressortir ces procès-verbaux pour à nouveau essayer d'incriminer" Murielle Bolle, aujourd'hui âgée de 49 ans, selon Me Piwnica. Mais même si Murielle Bolle obtenait gain de cause, son sort demeurerait incertain, la cour d'appel ayant estimé que sa mise en examen ne résultait "pas des propos tenus en garde à vue", qui ne lui avaient d'ailleurs pas valu de poursuites en 1984, "mais d'éléments nouveaux".
Muette dans les médias depuis des années, Murielle Bolle publiera le 8 novembre un livre intitulé "Briser le silence" (Michel Lafon).