Mercredi 27 février, le magasin Cultura, à Dijon, a annulé la séance de dédicaces du rappeur Seth Gueko, initialement prévue le samedi 2 mars. L’annonce de ce rendez-vous avait suscité un certain nombre de réactions autour d’une lettre ouverte.
Le samedi 2 mars 2019, une séance de dédicace avec le rappeur Seth Gueko était prévue dans l’enceinte du magasin Cultura, à Dijon. Une lettre ouverte dénonçant les textes « à caractère nettement sexiste dont la violence crachée à la figure des femmes va parfois jusqu’à l’incitation au viol » a poussé l'enseigne à annuler les venues du rappeur dans deux de ses magasins : à Dijon, en Côte-d'Or et Evreux dans l'Eure.La lettre avait pour but d’interroger la responsabilité de la direction sur la diffusion des textes et la venue de Seth Gueko. L’initiatrice en est une jeune mère de famille qui avait envie « de faire quelque chose pour se positionner et (se) protéger ». L’idée n’était pas d’y aller « frontalement » nous a-t-elle assuré lorsque nous l'avons contactée par téléphone, mais plutôt de se réunir autour d’une prise de conscience.
« Ce n’est pas possible de se balader en famille dans un magasin et d’entendre des textes où il est clairement question de mépris, ou de traiter les femmes avec violence. Je trouve ça incroyable qu’en 2019 ce soit toujours permis. »
« C’est pas pareil » de Seth Gheko est l'un des textes pointé du doigt par les signataires de la lettre ouverte :
La lettre compte une dizaine de signataires, dont des associations de lutte contre les discriminations.J’lui ai craché une punchline, cette **** me l’a pompé
Si ma **** pouvait parler, elle aurait plein de trucs à raconter
[…]
On veut de la bombasse à *******
D’la ******* assumé, du charass à fumer
Fais pas le lion face à ta mère, si t’es un chaton face à ta ****
Lutter contre la banalisation de propos considérés comme violents, voilà leur objectif. Les enfants n’ont pas le recul nécessaire face aux textes, crus et décomplexés, de certains artistes. Pour les signataires, toute forme de discrimination (antisémitisme, sexisme, homophobie ou encore racisme) naît d’expériences vécues dès le plus jeune âge. Dans les cours d’écoles, par exemple. « Pour protéger nos enfants et éviter qu’ils n’intègrent ces mécanismes, il faut poser des protections et des limites. »
La lettre ouverte se réfère à la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes :
Les signataires de la lettre précisent qu’ils n’empêchent « personne d’écouter ce type de musique », mais que ce n’est « pas possible d’entendre ça dans un magasin en se promenant en famille. » La jeune mère de famille s’avoue effarée « d’entendre des choses comme ça en public. Pour quelles raisons on se donne le droit de parler des femmes de cette manière ? »Constitue un outrage sexiste le fait […] d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit, porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Ambiguité autour de la liberté d'expression
Cultura a répondu aux signataires. L'enseigne se déclare consciente du malaise provoqué par ces paroles explicites et affirme être contre toute forme de discrimination. Dans son communiqué, elle souhaite « garantir la sérénité au sein de ses magasins. » Sérénité « potentiellement mise en cause suite à l’émotion qui a été manifestée ». Mais « Cultura entend toujours respecter la liberté d’expression ».
Autant de raisons qui ont poussé l'enseigne à annuler les dédicaces de Seth Gueko à Dijon et Evreux.
La liberté d’expression est bien au coeur de la polémique. Les signataires de la lettre ont en mémoire la condamnation en 2013 d’un autre rappeur, Orelsan, pour « provocation à la violence » avec son titre "St Valentin". La chanson faisait notamment référence à la mort de l’actrice Marie Trintignant, à la suite des coups portés par Bertrant Cantat, son compagnon.
Mais en 2016, la cour d’appel de Versailles a prononcé la relaxe de l’artiste au nom de la liberté d’expression.
« Il y a un vrai flou juridique » s’accorde le collectif de la lettre ouverte contre la venue de Seth Gueko à Dijon. « La liberté d’expression est toujours mise en avant, mais est-ce que ça veut dire qu’au nom de celle-ci on a le droit d’insulter, de mépriser, d’inciter à la haine et au viol ? »
Et s'il fallait prendre du recul ?
En juillet 2018, le sociologue-rapophile Karim Hammou, auteur du livre Une histoire du rap en France, aux éditions La Découverte déclarait que dans "le sillage de l'affaire Weinstein, les articles font état du sexisme dont sont victimes les femmes dans le rap". Il pointe aussi une ébullution qui permet de produire des contre-discours. "Évidemment, il y a trop de sexisme dans le rap. Mais comme dans tous les milieux."
Ce spécialiste tient à préciser que le rap est un produit culturel, comme tous les autres, qui peut être approprié de multiples façons. "On peut écouter au premier, au second ou au troisième degré. On peut même écouter sans faire attention aux paroles, être attentif au fond, à la forme, juste pour rire ou en parler avec des amis. C'est ce qui fait que le produit peut être abordé par des fractions totalement différentes".
Un autre rappeur empêché de venir à Dijon
Ce n’est pas la première fois que la venue d'un artiste est remise en cause à Dijon. En août 2017, l’organisation du concert de rentrée a été perturbée par une polémique autour de la présence du rappeur Lorenzo. Deux collectifs féministes, Beste et Greenwitches, avaient lancé une pétition visant l’annulation de son passage sur scène. Ils jugeaient l’œuvre du rappeur « raciste, fasciste, sexiste, homophobe, transphobe, pédophile ». 2 149 soutiens s’étaient manifestés sur cette pétition.
Celui qui s’autoproclame « Empereur du sale » avait décidé de contre-attaquer avec une pétition pour soutenir sa présence au concert de rentrée. Son texte avait récolté 37 114 signatures.