Fin de vie : Alain Cocq "nous incite à réfléchir", dit le professeur Régis Aubry

La situation d'Alain Cocq fait ressurgir le débat sur la législation autour de la fin de vie en France. Nous avons interrogé le professeur Régis Aubry, membre du conseil consultatif national d'éthique et qui a longtemps dirigé le service des soins palliatifs à l'hôpital de Besançon.

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Alain Cocq est un Dijonnais atteint d'une maladie incurable. Vendredi, il a interrompu tout traitement et toute alimentation pour se laisser mourir. Avant cela, il avait interpellé le président de la République pour obtenir "à titre compassionnel" une injection de barbituriques pour abréger ses souffrances. Demande rejetée par le chef de l'État, "une aide active à mourir qui n'est aujourd'hui pas permise dans notre pays", avait indiqué Emmanuel Macron.

Nous avons interrogé le professeur Régis Aubry autour de la situation de cet homme. Le médecin a longtemps dirigé le service des soins palliatifs du centre hospitalier universitaire de Besançon et est membre du conseil consultatif national d'éthique, organisme régulièrement saisi par les pouvoirs publics pour réfléchir "sur des sujets de société liés à l’évolution des connaissances dans le domaine des sciences de la vie et de la santé", comme l'indique le site internet du conseil.


Régis Aubry : La médiatisation de cette histoire a tendance à réduire un peu le champ, la complexité de sa réalité. Alain Cocq est quelqu'un qui est atteint d'une maladie rare, si j'ai bien compris.

Il ne souhaite plus vivre dans les circonstances qui caractérisent son existence et qui en est rendu à arrêter de se nourrir, en demandant même à ce que l'on filme sa toute fin de vie. 

D'une part, je conçois qu'on ait une revendication relative à l'évolution de la loi. Mais la loi française actuelle permet tout de même, si ce monsieur est en souffrance physique ou morale, d'utiliser ce qu'on appelle la sédation profonde et continue jusqu'à son décès. 

À partir du moment où il décide de ne plus se nourrir, sa survie, compte tenu de son état général, sera relativement brève. Et la loi autorise à le priver de sa conscience s'il ne souhaite pas être conscient.


Vous parlez de l'écho médiatique autour de son cas. Vous pensez que ça peut faire avancer la cause qu'il défend ? 

Régis Aubry : La démarche de ce monsieur est une démarche où il revendique effectivement une évolution du droit. Il a une légitimité à cela. Je ne vois pas de critique à cet égard. Mais j'ai souvent le sentiment que les demandes comme celle-ci ne font qu'attiser les positions complètement opposées qui existent dans notre pays, assez réduites à des pour ou des contre.

Alors que pour moi, en tant que membre du comité consultatif national d'éthique, un des enjeux est peut-être de se dire : "Qu'est-ce qui fait discussion ?" Et "en quoi les dispositions légales actuelles sont irrespectueuses du désir d'une personne de ne plus vivre dans l'état où elle vit ?" Ma réponse est plus pondérée que "il faut faire avancer la loi" ou "il ne faut pas la faire avancer".

Je fais partie de ceux qui pensent qu'il y a lieu d'étudier chaque situation singulière. Et dans l'absolu, j'aimerais qu'on puisse répondre à une situation singulière par une réponse singulière.


Des situations très médiatisées, il y en a eu plusieurs. Vincent Lambert, Chantal Sébire… Vous pensez qu'à chaque fois, cela fait évoluer le débat ?

Régis Aubry : Oui. De toute façon, les revendications imposent la réflexion. C'est-à-dire qu'on porte au public des situations très singulières. Souvent, le législateur s'empare de ces situations médiatisées pour demander une réévaluation de la loi par exemple. Pourquoi pas.

Par définition, cette loi comme les autres n'est pas figée dans le marbre. Le droit est vivant, il peut être révisé. 

Il faut interroger une évolution dans le domaine de la médecine moderne qui, si elle guérit de plus en plus de personnes, produit aussi de temps en temps des situations épouvantables de survie.

Pour ce monsieur les choses sont différentes. Il est atteint d'une maladie rare. Cette maladie génère une forme de handicap chez lui. Et il a atteint, de ce que j'ai lu, un degré d'inacceptabilité du handicap, par rapport au sens qu'il donne à son existence. Donc il revendique le droit de s'arrêter de vivre lorsque sa vie n'a plus de sens.

Le moyen dont on dispose en France aujourd'hui consiste à utiliser des produits sédatifs profonds pour entraîner une espèce de coma qui enlève toute conscience douloureuse de la situation dans laquelle il est. Il est possible que ce monsieur fasse cette démarche. En tout cas, cela rentre dans le droit français.


La prise d'un médicament est encore proscrite par la loi ?

Régis Aubry : La prise d'un médicament létal, qui ferait mourir, n'est pas autorisée par la loi. On peut comprendre que dans des situations singulières, la question puisse se poser. Elle se pose.

Mais on comprend aussi que la loi sert le global, le général. C'est pour ça qu'il y a beaucoup d'hésitations dans tous les pays, hormis quelques uns, pour autoriser l'accès à des produits qui font mourir en quelque sorte.

Cela fait discussion et c'est normal que cela fasse discussion, me semble-t-il. Ce n'est pas quelque chose de simple. Vous voyez un peu l'usage ou le mésusage qu'on pourrait faire d'un droit qui ouvrirait toutes les vannes entre guillemets.

Même en Belgique et aux Pays-Bas, l'euthanasie est dépénalisée, elle n'est pas légalisée. C'est-à-dire qu'il y a des conditions extrêmement strictes pour pouvoir accéder à cela.

Je pense que le but de ce monsieur est d'être encore utile au moment même où il va quitter la vie. Il nous incite à réfléchir. Il nous pose des questions pour nous obliger à aller plus loin que le droit français. Et je trouve qu'en cela, c'est important.

Mais il faut bien restituer cela. Cela ne se réduit pas à être pour ou contre l'euthanasie. C'est qu'est-ce qu'on fait finalement dans nos sociétés des personnes qui sont arrivées du fait d'une maladie à un état incompatible avec le sens qu'elles donnent à leur existence.

Est-ce que cette situation de souffrance existentielle doit faire bouger la loi ? Ou est-ce que l'application du droit français aujourd'hui suffit ? C'est-à-dore on endort totalement les gens, on arrête la conscience des gens et ils décèdent dans une situation où ils ne sont pas conscients et donc à priori pas souffrants.

Je pense que c'est discutable. Peut-être que ce monsieur cherche à ce qu'on discute de cela. 


Vous pensez que sa démarche va permettre qu'on ait une discussion constructive pour que la loi puisse être rediscutée, pour que ça créé un débat public ?

Régis Aubry :
Souvent, les démarches individuelles comme celle-ci, qui sont médiatisées, attisent des camps qui s'opposent. Des camps favorables et des camps défavorables. Il y a des mouvements très forts en France.

Il est parfois difficile de poser calmement les enjeux d'un débat. De se dire : est-ce qu'il faut que dans des situations exceptionnelles – on pourrait considérer que ce monsieur est dans une situation exceptionnelle – la loi permette ce qu'elle interdit globalement ?

C'est des questions qui doivent être posées. Le comité consultatif national d'éthique, dont je fais partie, s'intéresse à cette approche individuelle, exceptionnelle finalement, de la décision dans des situations de fin de vie.

Heureusement que ça fait débat. C'est le jour où ça ne fait plus débat que c'est dangereux. Le jour où on banalise ces situations, où on estime que ça ne fait plus discussion, pour moi c'est dangereux. Que ça fasse débat et que régulièrement la société soit amenée à réfléchir à ces situations là, c'est heureux dans une société démocratique.

Par contre, vouloir imposer une façon de faire et une façon de penser et considérer que la façon dont l'autre pense n'est pas bonne parce qu'elle est opposée à la sienne, c'est à mon avis dramatique. Malheureusement, les débats se réduisent souvent à cette approche très binaire.
 
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