INFO FRANCE 3. Isabelle Sarech, patineuse artistique violée à 16 ans : "Il a fallu #MeToo pour que je réalise"

Championne de patinage, Isabelle Sarech, 51 ans, accuse l'un de ses entraîneurs Gérard G., qui a exercé à Dijon, de viol alors qu'elle était mineure. Elle se livre pour la première fois publiquement sur les abus qu'elle a subis entre 1986 et 1988.

Trente-cinq ans. Trente-cinq ans qu'Isabelle s'est murée dans le silence car la honte la rongeait. Aujourd'hui, Isabelle Sarech a décidé de parler pour dénoncer un viol subi alors qu'elle était encore mineure.
 

Un jeune espoir du patinage artistique

Les faits remontent à 1986. À cette époque, Isabelle est une jeune espoir du patinage artistique français. Elle a remporté le championnat de France solo de danse sur glace.

À la recherche d'un partenaire pour concourir à l'épreuve de couple, elle est orientée vers Xavier Debernis, jeune espoir lui aussi. Ce dernier s'entraîne à Lyon et vient de se séparer de sa partenaire. "On a fait un essai tous les deux sur Nantes avec l'entraineur national de l'époque et elle trouvait que la mise en couple pouvait donner quelque chose".

Le problème est qu'Isabelle est scolarisée à Annecy. Alors qu'elle s'apprête à arrêter le patinage, elle décide de se lancer et de partir s'installer à Lyon. "J'avais le rêve de participer aux Jeux Olympiques comme plein de petites filles. Je savais que j'avais du potentiel mais qu'il fallait du travail à la clé".

Isabelle est alors âgée de seulement 15 ans et demi. Elle part donc s'installer à Villeurbanne chez les parents de Xavier Debernis, son partenaire sur la glace. Elle s'entraîne à l'époque à la patinoire de Baraban, située à Lyon, en compagnie notamment de Murielle Boucher, ou encore de Gwendal Peizerat.
 

La rencontre avec Gérard G.

Pour ses entraînements, on ne lui laisse pas d'autre choix que de travailler avec Gérard G. qui était le mari de la sœur aînée de Xavier, son partenaire de glace. "Je résidais en chambre avec sa sœur cadette Fabienne et je suivais des cours à distance avec le CNED."
 

Le rythme de ses journées est intense. "On se levait à 5h du matin, 6h sur la glace jusqu'à 8h. On restait ensuite travailler dans les sous-sols de la patinoire. La mère de Xavier ramenait une gamelle à 11h, on mangeait un petit bout et après on remontait sur la glace entre 12h et 14h. On repartait ensuite s'entraîner l'après-midi et à 20h, on était au lit."
 

Il avait les mains plus que baladeuses.


La première année avec Gérard G.. Isabelle le trouve "familier dans ses gestes. J'étais jeune. En patinage, notre corps ne nous appartient pas, on est dans une discipline où l'entraineur va poser ses mains sur vous, où il va vous placer le bassin, une hanche droite, l'épaule. Il va être amené à toucher votre corps."

Cependant, Isabelle note une différence entre Gérard et les autres entraîneurs. "Il me replaçait la hanche mais me prenait plus par la fesse. Il replaçait l'épaule et ça glissait sur la poitrine. Il avait les mains plus que baladeuses".

Sur la glace, plusieurs autres couples s'entraînent en même temps qu'Isabelle mais "personne ne réagit, ne fait attention. C'était tellement furtif. Cela me semblait bizarre mais je n'osais trop rien dire."
 

Juniors à l'époque, dès les premières compétitions, Isabelle et Xavier intègrent l'équipe de France. "Ça y est, j'étais aux portes de mon rêve de rentrer en équipe de France", nous confie l'ex-championne. Leur entourage dit alors que le couple a beaucoup de talent.

Un couple qui va se rapprocher en dehors de la glace. Au bout de leur première année, Xavier et Isabelle tombent amoureux. Le partenaire de glace devient "son premier amour".
 

Un trajet de nuit qui vire au cauchemar

L'année suivante, Xavier et Isabelle participent aux Interligues de Meudon avec leur entraîneur. À l'issue de la compétition, toute l'équipe décide de ne pas prendre dormir à l'hôtel et de rentrer de nuit. "Mes parents n'étaient pas là. On était monté avec la mère et la sœur de Xavier, la femme de mon entraîneur ainsi que Gérard." 

Ce trajet de nuit va virer au cauchemar pour Isabelle. Dans la voiture qui les ramène à Lyon, elle se trouve à l'arrière du véhicule coinçée entre Gérard G. et Xavier, son partenaire.
 

Il a commencé à plonger sa main sur ma poitrine. 


"Au bout d'une demi-heure du trajet, mon partenaire s'était endormi". C'est sa belle mère qui conduit. "On était sur l'autoroute donc il n'y avait pas beaucoup de lumière et c'est à ce moment-là que Gérard G. a commencé à plonger sa main sur ma poitrine".
 

J'étais tétanisée.


La jeune fille essaie de se tourner. Tétanisée, elle se demande ce qu'il se passe. "Sa femme était devant moi. Ma belle-mère conduisait", raconte Isabelle. Elle tente à plusieurs reprises de réveiller son partenaire mais pétrifiée, elle n'ose rien dire.

"J'étais terrorisée. Et après il ne s'est pas contenté de ça. J'étais en survêtement, il a plongé sa main dans ma culotte. Il a fallu attendre le mouvement #MeToo en 2017 pour que je réalise que la pénétration de son doigt est un viol."
 

Je me sentais honteuse, je me sentais sale.


L'adolescente qu'elle est à l'époque ne sait pas quoi faire et vit alors un véritable calvaire. "Il s'est bien amusée avec mon clitoris. Je ne savais pas quoi faire. J'étais entourée de toute sa famille. Je me sentais honteuse, je me sentais sale". 

Pendant longtemps, Isabelle n'ose pas parler à son entourage de ce qu'il s'est passé. "On se dit qu'on va être éclaboussée par la honte, la carrière est foutue, c'était violent."  
 

Isabelle termine quand même la saison avec Gérard G. malgré la répétition de gestes et de paroles déplacés. "Il continuait de laisser traîner ses mains comme un jeu, toujours un petit sourire sadique, des blagues salaces. J'étais un peu dérangée", nous confie-t-elle.

Sur le moment, elle n'ose pas en parler à ses parents. "Mes parents s'étaient beaucoup sacrifiés et cela représentait énormément d'argent. J'avais sacrifié aussi beaucoup de choses à l'époque. Je vivais, je mangeais, je dormais patinage!" 
 

Une réunion familiale au sommet à Lyon

Conséquence de tout ça, Isabelle présente des troubles alimentaires, de l'anorexie puis de la boulimie. Elle décide alors de parler des gestes déplacés de son entraîneur à la femme du président du club de Lyon.

Au détour de la conversation téléphonique, son père intercepte l'échange. Les parents d'Isabelle décident alors de prendre la route et de se rendre dans la famille de Xavier. "Une réunion au sommet avec l'entraîneur, sa femme, la mère de Xavier, mon partenaire. Pour toute réponse, on m'a expliqué qu'il était un peu familier." 

Confronté aux parents, l'entraîneur explique qu'il ne s'est pas rendu compte. Isabelle reste murée dans le silence incapable de raconter les détails de son histoire.
 

Une fin de carrière difficile

Suite à cet événement, Isabelle va marquer une pause dans sa carrière. Elle explique à son partenaire qu'elle ne veut pas continuer à s'entraîner à Lyon avec Gérard G.

C'est au cours des championnats de France à Dijon, auxquels elle assiste en tant que spectatrice, que le président de la fédération l'invite à se remettre en selle avec Xavier Debernis. "Je me sentais malheureuse de ne plus patiner".

Durant la saison 1988-1989, elle décide de repartir sur la glace avec son partenaire. Son objectif est de participer aux Jeux Olympiques d'Albertville. "On a ensuite fait un bon parcours d'athlète."
 
Deux fois médaillés de bronze aux championnats de France en 1990 et 1991, le couple continue de patiner jusqu'en 1992, année durant laquelle Isabelle Sarech raccroche définitivement les patins. Une fin de carrière marquée par des magouilles en interne qui la priveront d'une participation aux JO d'Albertville en 1992. 
 

34 ans de silence

Isabelle a mis longtemps avant de pouvoir commencer à en parler. Le témoignage de Sarah Abitbol lui donne aujourd'hui le courage de parler publiquement pour la première fois des violences sexuelles qu'elle a subies. Même si les faits sont prescrits, elle souhaite aujourd'hui que "la honte change de camp". 

Il y a une semaine, elle a envoyé un courrier au procureur de la république de Dijon ainsi qu'à la ligue de Bourgogne-Franche-Comté des sports de glace pour témoigner de qu'il lui est arrivé. 

"Ce gars-là, il est toujours dans ma tête. C'est un sale type. Je veux apporter mon témoignage pour que cet homme soit sali pour que ce qu'il a fait. Je veux qu'il assume publiquement. Je veux surtout qu'il ne puisse plus jamais sévir d'une façon ou d'une autre".
 

Un entraîneur démis de ses fonctions à Dijon en 2006

Détenteur de brevets d'états, Gérard G. a entraîné dans plusieurs clubs, à Belfort, Lyon ou encore à Dijon pendant deux ans, son dernier poste dans le milieu du patinage artistique. Mais sa collaboration avec l'Académie des glaces de Dijon ne s'est visiblement pas bien terminée. 

Selon des témoignages de parents et de responsable de la ligue de Bourgogne, il a été démis de ses fonctions en 2006. Le président de l'époque, Sylvain Ferrec a monté un dossier avec plusieurs courriers de parents relatant des gestes et des paroles déplacées pour enclencher une procédure de licenciement pour faute. 

L'affaire s'est terminée devant les prud'hommes et Gérard G. n'a plus exercé depuis dans un club de patinage.
 

Plusieurs enquêtes pour agressions sexuelles

Depuis la fin de sa carrière d'entraîneur, l'homme a eu à faire à plusieurs reprises avec la justice. Selon nos informations, il a été poursuivi en 2015 pour agression sexuelle par personne abusant de sa fonction. Jugé le 29 mars 2016 par le tribunal correctionnel de Dijon, il a été condamné à 18 mois de prison avec sursis. 

Selon d'autres sources, plusieurs enquêtes ont été ouvertes à son encontre, en 2010 pour harcèlement sexuel, en 2012 et 2013 pour des faits d'agressions sexuelles. Nous avons appris qu'il est également inscrit au fichier des délinquants sexuels.

 Les réactions après les révélations d'Isabelle Sarech, patineuse artistique violée à 16 ans : reportage de François Latour, Guillaume Desmalles et Laurence Crotet-Beudet

 

Interdiction d'exercer dans les clubs de Bourgogne

Suite à ces affaires judiciaires, le ministère de la jeunesse et des sports a décidé d'agir en juillet 2018. Il a diffusé un mail à tous les clubs de Bourgogne. Dans ce courrier électronique transmis par la Ligue de Bourgogne- Franche-Comté des sports de glace, il est dit "qu'il n'a plus le droit d'encadrer des jeunes en tant qu'éducateur sportif."

Une action confirmée par Angélique Ozanne, actuelle présidente de la Ligue. Contactée par téléphone, elle reconnaît "qu'on lui a donné une information. On m'a demandé de la diffuser à mes clubs. Je l'ai diffusé et cela s'arrête là. Après, je ne sais pas de quoi il retourne. Je n'ai aucun commentaire à faire." 
 

Florence Boisson, actuelle présidente de l'académie des glaces de Dijon a eu connaissance d'une tentative de prise de contact de Gérard G. avec certains clubs. "Pour ma part, il n'a jamais tenté de contacter le club de Dijon, et s'il l'avait fait, j'aurais tout de suite averti la fédération."

Nous avons cherché à contacter Gérard G. pour confronter le témoigne d'Isabelle à sa version des faits. Il est bien difficile de retrouver sa trace. Il était masseur kinésithérapeute à Dijon et ses environs jusqu'il y a encore deux ans. Il serait actuellement sans emploi et habiterait la ville de Saulieu, en Côte-d'Or.

Isabelle Sarech sera invitée de l'émission Dimanche en politique Bourgogne, ce dimanche 16 février à 11h25. Le thème de l'émission : Violences sexuelles dans le sport : comment en sortir ?

L'interview d'Isabelle Sarech en intégralité
Quel délai pour la prescription ?
Les faits dénoncés par Isabelle Sarech sont prescrits car ils sont trop anciens pour être poursuivis. La loi a modifié en 2018 le délai de prescription pour certains faits, mais elle n'est pas rétroactive. 

Comme le précise le site service-public.fr, "la loi prévoit pour les infractions sexuelles sur mineur des délais de prescription allongés : la victime mineure dispose d'un délai plus long que le délai ordinaire pour déposer plainte. Ainsi, la victime peut porter plainte jusqu'à 30 ans après sa majorité dans les cas les plus graves :
  • viol
  • crime de proxénétisme
Le dépôt de plainte peut se faire jusqu'à 20 ans après la majorité de la victime dans les cas suivants :
  • agressions sexuelles autres que le viol sur un mineur de moins de 15 ans
  • atteinte sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans, avec circonstance aggravante
Le dépôt de plainte peut se faire jusqu'à 10 ans après la majorité de la victime dans les autres cas d’infraction sexuelle :
  • proposition sexuelle
  • corruption de mineur
  • recours à la prostitution de mineur
  • délit de proxénétisme
  • agression sexuelle sur mineur de plus de quinze ans
  • atteinte sexuelle (autre que sur un mineur de moins de 15 ans avec circonstance aggravante)
"Le délai de prescription de 30 ans ne s'applique pas aux infractions prescrites avant son entrée en vigueur le 6 août 2018", détaille service-public.fr
 
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