Intrusion du Capitole à Washington : "un geste vain et symbolique," analyse un spécialiste des États-Unis

Le siège du Congrès des États-Unis a été envahi ce 6 janvier par des supporters de Donald Trump, qui nient la défaite de ce dernier aux élections de 2020. Alix Meyer, maître de conférences en civilisation américaine à l'Université de Bourgogne, analyse cet évènement inédit à l'aide de trois photos.

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Le 6 janvier 2021 marque un événement inédit dans l'histoire des États-Unis. Plusieurs centaines de supporters de Donald Trump ont pénétré de force dans le Capitole, bâtiment abritant le Congrès, c'est-à-dire la Chambre des réprésentants et le Sénat. Par cette intrusion, les manifestants souhaitaient interrompre par la séance au cours de laquelle les sénateurs devaient officiellement acter l'élection de Joe Biden au scrutin de novembre 2020.

Venus de tout le pays, ces trumpistes s'étaient rassemblés à Washington à l'occasion d'un discours de Donald Trump prononcé vers midi près du Capitole. "Tous ceux qui sont ici ne veulent pas que notre victoire soit volée par les radicaux de gauche enhardis et les media fake news. Nous n'abandonnerons pas. Lorsqu'il y a vol, il ne faut pas céder," avait alors décreté le président, en fonction jusqu'au 20 janvier.

Après plusieurs heures de chaos, le processus démocratique a pu reprendre. Le Sénat a pu certifier l'élection de Joe Biden dans la nuit du 6 au 7 janvier. Pour bien comprendre les événements, Alix Meyer, maître de conférences en civilisation américaine à l'Université de Bourgogne et enseignant à l'IEP de Lyon, a accepté de répondre à nos questions, à travers l'analyse de trois photos.

  • Pourquoi l'événement d'hier est-il inédit ?

Alix Meyer : C'est la première fois qu'un président des États-Unis utilise son pouvoir pour rester en fonction. Le fait que ce même chef d'État refuse ainsi d'admettre qu'il a perdu l'élection, qu'il persiste à affirmer qu'il y a eu fraude, est aussi inédit.

Le président des États-Unis a prononcé un discours invitant implicitement ses supporters à envahir le Capitole, ou du moins à exprimer leur colère. La détermination de ces manifestants à entrer dans l'enceinte du Capitole est d'autant plus forte qu'elle est légitimée par le commandant en chef des forces armées [c'est-à-dire le président actuel des États-Unis, Donald Trump, NDLR].

  • Les États-Unis ont déjà connu des élections présidentielles où les résultats étaient serrés. Pourquoi, en janvier 2021, des électeurs mécontents (tel que ceux de cette première photo avec "l'homme-bison") prennent d'assaut cette institution qu'est le Capitole ?

Hier, il y a tout d'abord eu un dysfonctionnement de la sécurité, c'est certain. Mais Donald Trump est en grande partie responsable des événements. Cela fait plusieurs années qu'il utilise le mensonge à des fins politiques. Il est conscient que, parmi les gens qui ont voté pour lui en 2016, se trouve des personnes qui sont persuadées que l'État fédéral américain est corrompu [la théorie du Deep State par exemple, NDLR] et qu'il faut reprendre le pouvoir par la force. Son mandat a permis l'émergeance d'un environnement médiatique qui alimente cette population, la conforte dans ses opinions.

Des organisations proto-fascistes - c'est comme ça que je préfère les appeler - se sentent encouragées depuis l'arrivée de Trump à la Maison Blanche. Elles existaient avant, bien sûr. Mais son élection en 2016 l'a intronisé comme un leader chez ces mouvances. Pour le garder en fonction, ils cherchent des détails de fraude électorales qui n'existent pas. En réalité, l'élection n'est pour eux pas valable car elle ne représente pas leurs valeurs. Cette intimidation n'annonce rien de bon.

  • Finalement, quel était le but de cette opération ? Il n'y a pas eu de discours laissant penser à un coup d'État...

On a des images qui font évidemment penser à un coup d'État. Mais en effet, il n'y a pas eu de discours, pas de chef désigné ni même de véritable organisation. Un coup d'État, ça se prépare. On ne prend pas le Capitole comme ça. Les manifestants du 6 janvier n'avaient simplement pas d'espoir de voir leurs revendications concrétisées. C'est un geste complètement symbolique et vain. On veut montrer qu'on n'est pas content.

On peut comparer les événements d'hier avec les manifestations anti-parlementaires organisées par l'extrême-droite devant l'Assemblée nationale à Paris en février 1934. Surfer sur ces mouvements anti-démocratiques relève du manque de courage politique. Cela concerne Trump et les sept sénateurs républicains qui ont voté en faveur des motions d'objection aux votes de la Pennsylvanie et de l'Arizona. 

    • Les photographes présents sur place ont immortalisé un trumpiste déambulant dans les couloirs du Capitole avec un drapeau des Confédérés (photo ci-dessus). Aujourd'hui, quel message ce drapeau fait-il passer ?

    Il renvoie à un passé mythique des États-Unis où les blancs étaient au pouvoir. Il ne faut pas oublier que les Confédérés se sont formés [en 1860-1861, entraînant la guerre de Sécession, NDLR] par refus de l'abolition de l'esclavage et pour que les blancs gardent le pouvoir. En arborant ce drapeau, on peut supposer que ce supporter veut montrer que Donald Trump est son président, car il est blanc comme lui. Évidemment, si on lui pose la question, il peut nier et répondre que c'est tout simplement un symbole sudiste.

    Note : en 1860, en réaction à l'élection d'Abraham Lincoln à la présidence, sept États du sud des États-Unis ont fait secession du reste du pays. Favorables à l'esclavage que le nouveau président souhaitait abolir, ils formèrent alors la "Confédération". Leur drapeau a inspiré la version que tient le supporter sur la photo ci-dessus.

    • Sur un autre cliché, on peut voir un supporter de Trump au bureau de Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, les pieds sur la table et se prenant en selfie (photo ci-dessus)...

    Nancy Pelosi est une figure détestée par les trumpistes. C'est une femme, elle est démocrate, figure de la majorité démocrate à la Chambre des réprésentants et c'est une élue de Californie [bastion démocrate, NDLR]. C'est aussi celle qui a mené - un peu à contre-cœur certes - les débats sur l'impeachment, la procédure de destitution de Trump il y a un an.

    En s'installant ainsi sur ce bureau, le manifestant veut montrer qu'il parade chez l'ennemi, que ces gens ne le représentent pas et qu'il prend le pouvoir. Il leur marche dessus. C'est un déni de la démocratie représentative, une sorte de profanation.

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