Le conflit en Ukraine entraîne des pénuries d'huile de colza et de tournesol. En Bourgogne, les producteurs voient arriver une demande inattendue. Mais difficile d'augmenter la cadence.
L'Ukraine est l'un des plus gros exportateurs au monde d'huile de tournesol. À cause de la guerre, tous les flux logistiques sont bloqués et le pays ne peut pas transformer les graines, ce qui créée la pénurie en huile. Face à cette crise, les producteurs locaux, comme en Bourgogne, sont très sollicités.
Des producteurs bio de Côte-d'Or à flux tendu
Le GAEC de la Seine à Billy-lès-Chanceaux (Côte-d'Or) est tenu par Sylvie et Pascal Guérin. Depuis 25 ans, ils sont producteurs-transformateurs en agriculture biologique.
Sylvie Guérin, au regard de la demande actuelle en huile de colza et de tournesol, s'interroge : "On se demande si on va avoir du stock d'huile jusqu'à la prochaine récolte !"
Comme les clients qui ne trouvent plus d'huile se retournent vers les petits producteurs, il y a une forte demande : "Pour l'instant, on n'est pas dévalisés, mais nous sommes fortement sollicités."
On peut y voir un effet d'aubaine, mais avant tout un effet vertueux de consommer davantage des produits locaux.
Pour ces petits producteurs, il est difficile d'augmenter la cadence. Comme l'explique Sylvie : "la presse à huile tourne tous les jours, on ne peut pas augmenter le débit, il y a des règles à respecter, comme le temps de décantation. C'est la graine qui va réguler notre débit, quand on n'aura plus assez de graines, on s'arrêtera de presser !"
La capacité de production ne peut pas être étendue non plus : "On a une surface dédiée aux graines à huiles. Quand on fait un assolement agricole, on ne peut pas du jour au lendemain changer l'assolement. La mise en terre des graines se fait plusieurs années en amont, on ne peut pas anticiper !"
Le stock doit tenir jusqu'à la moisson d'été du colza, elle va être récoltée fin juin, "si les conditions sont bonnes". Pour le GAEC, le colza représente "une grosse moitié des ventes d'huile. On est sur un débit d'embouteillage de 100 litres par semaines, 400 litres par mois, ce qui pour nous est énorme !" dit Sylvie.
Il y a des gens qui viennent car ils ne trouvent pas d'huile ailleurs
Sylvie GuérinGaec de la Seine à Billy-lès-Chanceaux
Afin de pouvoir tenir dans le temps, les producteurs bio vont "réduire les quantités pour chacun. J'ai des magasins qui commandent 100 litres à la fois, il va peut-être falloir qu'on diminue la quantité. On va échelonner au mieux."
La demande en huile a été très soudaine pour les producteurs. Bien qu'ils aient anticipé l'accroissement de la demande par des clients convaincus par le Bio au fil des années, il est difficile de répondre à tout le monde maintenant : "En ce moment, il y a des gens qui viennent car ils ne trouvent pas d'huile forcément ailleurs. On a du réaménager notre huilerie il y a 6 ans, elle devenait trop petite pour la capacité de stockage. Mais là, on n'a plus d'avance d'embouteillage, on est vraiment à flux tendu. Là c'est inédit !"
Les grands producteurs céréaliers et d'oléagineux sollicités
La guerre en Ukraine a un effet important sur les marchés mondiaux des céréales et des oléagineux. Pour la coopérative Dijon Céréales, le constat est le même. Victor Moulins est responsable marchés et risques à Dijon Céréales. La pénurie en huile se répercute sur le prix des matières premières : "Sur le prix de la graine, un effet est ressenti. Ce qui anime la tension aujourd'hui, c'est que le produit n'est pas mobilisable, il est bloqué en Ukraine et les usines de transformations là-bas sont à l'arrêt."
Mais face à la demande plus forte en graines, la coopérative ne peut pas répondre, comme l'explique le spécialiste des marchés : "La récolte de notre côté, pour le groupe Dijon Céréales, est déjà engagée et vendue auprès des entreprises de transformation des graines (triturateurs). Il n'y a plus de réserve de graines. Concernant notre production, même si elle a été très bonne cette année en volume, tout a été contractualisé. On n'a plus de volumes disponibles en graines de tournesol. De plus, l'huile transformée est peut-être déjà vendue par les triturateurs, de l'autre côté de la chaîne."
A l'image des petits producteurs, mais sur des volumes bien plus importants, les sollicitations de clients pour obtenir davantage de graines de tournesol ou de colza "ne se font même pas ! Ils savent qu'on n'en a pas !" assure Victor Moulins. "On n'a pas de stocks de graine de tournesol. On retrouvera de la disponibilité en Bourgogne pour la récolte 2022, elle commencera en septembre-octobre 2022. On pourra alimenter le marché en graine et par conséquent le marché de l'huile. Le seul moyen, c'est de rationner un peu la consommation de graines et d'attendre la nouvelle disponibilité en septembre !"
Des cours mondiaux avec des échéances cruciales
La France est le premier producteur de colza en Europe, avec 5,1 millions de tonnes par an (moyenne sur 5 ans de 2013 à 2017). Mais à l'échelle européenne, les choses se compliquent avec la guerre en Ukraine. "En France, on est presque auto-suffisants en colza, on en importe quand même d'Ukraine et du Canada pour l'Union Européenne. Sur juillet-août, on va retrouver de la disponibilité avec les moissons françaises. Si le conflit dure encore et que l'Ukraine ne peut pas exporter ses volumes de colza, ça pourra être encore tendu sur le début 2023. Il y aura de la disponibilité en août-septembre sur le tournesol, mais sur fin 2023, on repartira dans le même scénario, si le conflit se poursuit."
Il faut noter que la production de la grande région Bourgogne-Franche-Comté n'est pas négligeable en oléagineux dans la production nationale.
Pour la période de 2020 à 2021, en Bourgogne-Franche-Comté :
- colza : 8,5 % de la production nationale avec 255 406 t
- soja : 21,5 % de la production nationale avec 71 712 t
- tournesol : 9,46 % de la production nationale avec 156 666 t (source : FranceAgrimer)
Si la pénurie peut être estompée par les prochaines récoltes, on envisage une période de pénurie pour fin 2023. Le spécialiste des marchés de Dijon Céréales conclut en évoquant la difficulté d'approvisionnement pour les pays émergents :"La France a plutôt un problème de pays riche, l'huile, on peut s'en passer. Mais pour des pays comme le Maroc, la Tunisie, l'Egypte, c'est le blé qui commence à manquer."