Pif le chien a bercé l'enfance de nombreux lecteurs. Le chien de bande dessinée est présent dans les colonnes de L'Humanité dès 1948. Dans quelle mesure le message de cette BD était-il politique, au-delà du fait qu'on y défendait le vin français contre le Coca-Cola par exemple ?
Un colloque international sur Pif le chien à Dijon. Le sujet d'étude peut intriguer, mais le propos est très sérieux. Des universitaires de Dijon, Besançon et ailleurs ont échangé sur le sujet pendant deux jours, les 8 et 9 octobre 2019.Ces journées étaient l'aboutissement d'un travail débuté par la numérisation de près de 7 000 strips de Pif le chien parus entre 1948 et 1968 dans L'Humanité.
L'un des aspects dont les chercheurs se sont emparés est le lien entre Pif et l'univers communiste. En raison de sa présence dans le journal du PCF (parti communiste français), on peut imaginer que Pif revêt forcément un caractère politique. En réalité ce n'est pas si évident, selon les travaux des chercheurs qui ont patiemment analysé les strips.
"Il y a des moments où ça passe au premier plan et où c'est explicite. Mais si on regarde les plus de 6 000 petites bandes dessinées, il y a peut-être une vingtaine de moments où la politique est exposée de façon directe. C'est vraiment assez peu", indique Henri Garric, professeur de littérature comparée à l'université de Bourgogne.
"Pour le reste, en fait ça concerne la vie quotidienne. Donc, il y a une orientation en fonction d'une vision de ce que doit être la famille, ce que doit être la vie quotidienne. Mais dans l'ensemble, ce sont essentiellement des petites plaisanteries quotidiennes. Sans un regard un peu aiguisé, on ne l'identifierait pas immédiatement comme communiste par exemple", ajoute-t-il.
Construire une morale pour les enfants
"Dans le discours politique, on retrouve des figures imposées de la Guerre Froide, c'est-à-dire l'anti-américanisme, complète Jean Vigreux, professeur d'histoire contemporaine et directeur de la Maison des sciences de l'Homme de l'université de Bourgogne. Dans Pif, on aura des choses anti-américaines très fortes. On défend le vin français contre le Coca-Cola par exemple. Mais en revanche, on ne trouve pas de valorisation de l'Est, des pays de l'Est et de l'Union soviétique. La seule référence, c'est un petit dessin de Spoutnik en 1958 et c'est tout.""Ce sont des bandes dessinées qui étaient comprises dans un système d'encadrement de la société communiste globale, où il y avait des revues destinées aux femmes, des revues destinées aux jeunes, aux enfants, détaille Henri Garric, le professeur de littérature comparée.
Il y a un formatage idéologique qui est plus indirect, si on veut. Sur la représentation de la famille, du cercle familial tel qu'il doit fonctionner, sur l'éloge d'un certain rapport à la petite propriété, une moralisation contre le vol, contre des comportements déviants.
De ce point de vue là, oui il y a quelque chose d'idéologique, mais pas de la façon dont on l'attendrait en disant 'c'est communiste, c'est idéologique'. En fait, il y a une façon de construire une morale pour les enfants, qui est sans doute assez partagée par ailleurs."
Un témoin de l'évolution de la société
Les vingt ans de Pif analysés par les chercheurs permettent aussi d'observer l'évolution de la société. "On y voit dans les années 1960 tous les enjeux de la modernisation : les voitures, le tourisme de masse, la télévision, expose Jean Vigreux. On voit bien cette évolution, tout en gardant aussi des fondamentaux de la famille, du pavillonnaire, l'accès à la petite propriété.De ce point de vue là, Pif répond aussi au discours communiste de l'époque loin de la vision qu'on a de la collectivisation, de la socialisation. En France, on est sur une logique de la défense de la petite propriété, qui vient d'un héritage de la Révolution française, des démocrates-socialistes de 1849, et de l'histoire politique des gauches françaises attachées à la propriété. C'est un des paradoxes."
Le ravitaillement est aussi fortement présent. Arnal [l'auteur de Pif] a souffert dans les camps. On voit la reconstruction, les problèmes de ravitaillement, de logement Bref, les grandes questions de société de 1948 à 1968 sont présentes. Parfois avec une lecture politique explicite, parfois pas du tout, ajoute le professeur d'histoire contemporaine.
Bien d'autres aspects de Pif le chien ont été étudiés par les chercheurs. Comme par exemple la présence du sport dans les cases. L'ensemble des travaux présentés lors du colloque feront bientôt l'objet d'une restitution détaillée.