C’est l’un des plus lourds bilans du coronavirus en Ehpad. A Saint-Jean-de-Losne en Côte d’Or, la maison de retraite « La Saône » a enregistré près de 25 décès parmi ses résidents. Les familles dénoncent l’absence d’information. Les personnels se sentent abandonnés.
Paul avait 94 ans et un grand sourire sur les vidéos qu’il partageait avec ses proches. Il est décédé très tôt la nuit du samedi 4 avril. Son neveu Alain Schuster est en colère. « J’appelais mon oncle tous les jours. Son voisin avait eu une défaillance respiratoire et il est décédé. Je me faisais beaucoup de soucis parce qu’ils partageaient la même chambre. Au téléphone, je sentais que mon oncle commençait à tousser. »
Alain Schuster contacte alors la direction de l’EHPAD « La Saône » où son oncle est pris en charge. « On m’a dit qu’on ne me donnerait pas d’informations, qu’il y avait le secret médical et que l’ARS leur faisait la pression (sic). Pour mon oncle, on me disait « Tout va bien. Ne vous inquiétez pas ! » En fait, on l’a laissé gentiment mijoter avec tout l’environnement qui était pourri et ce qui devait arriver est arrivé. Il a été contaminé ! » Paul est finalement transporté au centre hospitalier de Beaune. « Je n’ai même pas été prévenu. C’est l’hôpital qui m’a appelé le lendemain pour me le dire » s’indique son neveu qui dénonce une « omerta » de la part de la direction. Comme son voisin de chambre, Paul décède quelques jours plus tard.
25 décès dans l’établissement
A Saint-Jean-de-Losne, les décès ses sont multipliés ces derniers jours à la maison de retraite. « On a vu beaucoup de corbillards passer. Hier, on en a revu encore deux et une ambulance. On s’inquiète quand même » commente un voisin. Selon nos informations, 25 des 132 pensionnaires de la maison de retraite « La Saône » sont décédés depuis le début de l’épidémie.
"Certaines de ces personnes fragiles qui ont attrapé le virus sont décédées. Ça fait beaucoup de personnes dans l’absolu, c’est vrai."
Contactée à plusieurs reprises, la directrice de l’établissement Corinne Bonvalot a finalement accepté de nous répondre. Par téléphone. Et sans donner de chiffres.
« Notre établissement accueille des personnes très dépendantes, très malades et donc très fragiles. Effectivement, certaines de ces personnes fragiles qui ont attrapé le virus sont décédées, explique-t-elle. Ça fait beaucoup de personnes dans l’absolu, c’est vrai. Humainement, c’est très compliqué à vivre. Pour les familles bien sûr mais aussi pour les professionnels, l’équipe de direction compris » reconnait la directrice qui affirme avoir mis en œuvre toutes les mesures nécessaires il y a déjà plusieurs semaines.
Le premier pensionnaire contaminé
« Dès que l’on a observé les premiers symptômes et bien avant les directives de l’ARS, on s’est posé la question du Covid. Tout de suite, des mesures barrières ont été appliquées. Dès la mi-mars, j’ai mis des masques aux personnels. Nous étions inquiets et nous avons pris des dispositions pour éviter que le virus ne se propage rapidement. »
« On avait confiné les résidents, mais ils ont été contaminés auparavant. »
Des précautions qui n’ont pas suffi. Selon la direction, le coronavirus est entré dans l’établissement à deux reprises il y a 3 semaines. « Il y a eu un porteur sain qui revenait d’hospitalisation ». L’analyse précise du parcours de cette personne a été faite a posteriori. « La deuxième entrée, c’est par une personne qui a été hospitalisée. [A son retour d’hospitalisation] on ne nous a pas prévenu qu’elle était porteuse du virus ».
Rapidement, une fois le premier pensionnaire diagnostiqué et compte tenu de la durée d’incubation du virus, les équipes comprennent que le problème va prendre de l’ampleur. « On avait confiné les résidents, mais ils ont été contaminés auparavant. »
La directrice affirme avoir alors contacté les familles. « J’ai été très claire. J’ai expliqué que nous avions l’épidémie, que les personnels étaient mobilisés et nous nous avions pris contact avec toutes les compétences nécessaires. Toutes les compétences médicales et paramédicales disponibles dans le département, on les a eues ! Je suis à 200 % avec les familes et je comprends à quel point c’est humainement compliqué. » La direction précise aussi que plusieurs pensionnaires ont guéri du coronavirus.
Y a-t-il eu des défaillances ?
Le centre régional d’appui pour la prévention des infections associées aux soins, le CPias, a été sollicité à deux reprises au sein de l’établissement. S’il refuse de communiquer, l’organisme se contente de quelques mots concernant l’Ehpad de la Saône. « La situation est bien gérée. L’établissement a fait tout ce qu’il y avait à faire. »
"Quand le virus entre, il y a des risques de diffusion extrêmement important"
Un point de vue que confirme l’Agence régionale de santé. « Ce n’est pas un établissement qui a été en défaut, affirme Damien Patriat, directeur de l’Autonomie à l’ARS Bourgogne Franche Comté. Comme dans toutes les autres structures de la même typologie d’activité, de la même typologie de résidents, quand le virus est entré, il y a des risques de diffusion extrêmement important »
" On est tout seul. On n’a pas eu beaucoup d’aide du côté de l’ARS. On a eu que des dons."
Lucie* est infirmière au sein de l’Ehpad de Saint-Jean-de-Losne. Selon elle, les responsables de l’établissement ne sont pas à pointer du doigt. « La direction essaye de faire au mieux, de récupérer du matériel comme elle peut pour nous. Mais on est tout seul. On n’a pas eu beaucoup d’aide du côté de l’ARS. C’est compliqué parce que malgré ce que peut dire l’ARS, qu’ils nous envoient des masques, on n’a pas d’aide de leur côté. On est démuni face à cela. On a eu que des dons.»
"Une journée sans décès, c’est une victoire"
La jeune femme explique aussi le sentiment d’impuissance des personnels face au virus. « Les familles ont du mal à comprendre qu’on les prévient au dernier moment mais ça va très vite. Oui, 24 heures avant on peut dire que ça va. J’ai eu le cas avec une famille. La femme du monsieur m’a appelé. Ça allait. Dix minutes après, il était décédé. »
Au sein de la maison de retraite « La Saône », une quinzaine de personnels auraient également été diagnostiqués positifs. Autant de bras en moins dans les équipes. Et alors que les accès aux Ehpad sont de plus en plus restreints pour éviter les risques de transmission, la charge de travail s’accumule.
« On y va la boule au ventre. Une journée sans décès, c’est une victoire. Mais malheureusement on y peut rien. »
« On a eu beaucoup de décès. Ce sont des personnes que l’on côtoie tous les jours, pour certaines depuis des années. Les derniers décès que l’on a eu, c’est à nous de mettre les corps dans des housses. Les pompes funèbres viennent directement avec les cercueils » confie la jeune mère de famille qui dit avoir peur pour ses proches. « Psychologiquement, c’est impossible de rentrer le soir et de laisser tout ça de côté. »
Elle sait pourtant que la bataille est loin d’être terminée. « On y va la boule au ventre. Une journée sans décès, c’est une victoire. Mais malheureusement on y peut rien. »
*Le prénom a été changé
Le reportage d'Elsa Bezin et Dalila Iberrakene: