Covid-19 : “la psychiatrie française va être embolisée par les conséquences psychiques du Covid”

Edgar Tissot est président de la commission santé mentale du Doubs. Ce pharmacien à l’hôpital psychiatrique de Novillars près de Besançon voit de nouveaux patients affluer. La troisième vague sera-t-elle psychiatrique ? Interview. 

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Cette seconde vague de l’épidémie, est-elle déjà visible dans les services psychiatriques ?

“Les semaines passant, ce que nous craignions se produit. Depuis quelques semaines, la demande de soins psychiatriques augmente. A la fois sur les demandes de consultations, et d’hospitalisation, on observe une hausse de 10 à 15% de nouveaux patients par rapport à l’année dernière… Ce sont des signaux inquiétants, c’est une hausse notoire. Ce chiffre est d’autant plus inquiétant que la psychiatrie publique est saturée actuellement. Dans certains endroits, il faut 6 à 12 mois de délai d’attente pour accéder à une consultation avec un psychologue ou un psychiatre. Alors, bien entendu, nous répondons à l’urgence, mais on ne peut pas que travailler dans l’urgence, donc il va falloir renforcer la psychiatrie publique qui a subi un décrochement par rapport à d’autres spécialités médicales, et on est en train de le payer très cher." 


 

Il y a une altération de la santé globale de nos concitoyens, il va falloir qu’on soit en mesure d’apporter des réponses à cette double problématique, d’une part la hausse des troubles psychologiques en lien avec le Covid, et l’altération de la santé globale des Français. Des actions sont nécessaires sur les deux plans.

 Edgar Tissot

 

 

La psychiatrie, est-elle la grande “oubliée” de cette crise ?

"La psychiatrie, parfois est un parent pauvre de la médecine, et la vague liée au Covid, elle vient après. Depuis le début du mois de mars, on dit attention, on s’occupe des lits en réanimation, il faudra aussi s’occuper des conséquences psychologiques du Covid. Une étude d’une équipe d'Oxford met en évidence que 20% des personnes diagnostiquées Covid positif, symptomatiques ou asymptomatiques, développent trois mois après des troubles psychiatriques de type anxiété ou dépression… On ne peut pas se permettre d'attendre un passage à l’acte suicidaire ou une décompensation psychique brutale pour pouvoir répondre à la demande en soins. Oui, la psychiatrie française va être embolisée par les conséquences psychiques du Covid, d’autant plus que dans les territoires ruraux, la psychiatrie publique est la seule offre disponible.La santé mentale de nos concitoyens se dégrade, c’est lié à la peur d’être malade, à la crise économique que nous traversons. Donc, il va falloir mettre encore plus fortement une politique de prévention de la survenue des troubles psy."

Quelles sont les personnes les plus touchées sur le plan psychiatrique ? 

"On commence à avoir une idée des populations les plus impactées par cette crise. Ce qu’on observe chez les jeunes est dramatique. Très récemment, des travailleurs sociaux disaient, on n’a jamais vu une telle détresse chez les étudiants qui viennent à la Banque Alimentaire, et qui consomment sur place, parce qu’ils ont faim. Donc l’isolement social, et la précarisation financière, vont faire décompenser des personnes sur le plan psychologique, ça, il faut le prévenir. Il faut identifier, proposer des démarches de prévention auprès des pouvoirs publics, sinon, on va vers une catastrophe."

Comment répondre aux besoins des Français en mal-être psychologique ou psychiatrique ?

"Je pense que la période qu’on vit est inédite, elle est traumatisante a plein de points de vue. Les conséquences psychiques et traumatiques de ce qu’on vit, on commence à les voir, donc il faut qu’on s’organise collectivement. C’est une vraie responsabilité sociétale et politique de pouvoir s’organiser pour répondre aux demandes de soutien psychologique… Le nerf de la guerre est souvent l’argent, et, il y a beaucoup de moyens injectés actuellement… Il serait intéressant qu’on puisse généraliser l’accès aux psychologues avec un remboursement de l’assurance maladie (expérimentée localement en France, ndlr). En termes de santé publique, cette mesure serait une mesure majeure."

 

Les numéros utiles si vous êtes en souffrance psychologique

  • Le numéro vert national du ministère de la Santé disponible 24h/24 et 7j/7 : 0 800 130 000
  • La plateforme "Croix-Rouge écoute" disponible de 8h à 20h et 7j/7 : 0 800 858 858 

Un certain nombre de structures répondent également aux appels. Voici la liste donnée par l'Agence Régionale de Santé pour les habitants de Bourgogne-Franche-Comté. 

N'hésitez pas à vous renseigner auprès de votre médecin généraliste, ou auprès de votre Agence Régionale de Santé 

"La troisième vague psychiatrique est là" alertent quatre psychiatres et une psychanalyste réputés 

"La troisième vague psychiatrique est là", ont alerté début décembre dans un communiqué les psychiatres Rachel Bocher, Serge Hefez, Marion Leboyer et Marie-Rose Moro, et la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury. 
 Ils reprennent ainsi les mots du ministre de la Santé Olivier Véran, qui avait assuré le 18 novembre que le gouvernement voulait "à tout prix éviter une troisième vague, qui serait celle de la santé mentale".


"Il faut agir et il faut agir vite", a plaidé Serge Hefez au cours d'une conférence de presse. "Les conséquences psychiatriques de la Covid sont là (...) et elles s'inscrivent dans le temps long",  explique Marion Leboyer, professeur à l'université Paris Est-Créteil, évoquant une hausse de 30% des risques de nouveaux cas de dépression et de 20% de nouveaux cas de troubles d'anxiété, selon plusieurs études.Les cinq professionnels de la santé mentale suggèrent une "campagne d'information pour contribuer à (...) la déstigmatisation" des problèmes psychiatriques, car "aujourd'hui en France, ça reste difficile de dire (...) qu'on est déprimé, qu'on est anxieux".


Ils demandent aussi que "l'effort de déploiement de plateformes" d'information et d'aide "soit renforcé avec la mise à disposition d'outils d'autodiagnostic, d'auto-aide et de moyens de faciliter l'accès aux professionnels de santé mentale", soulignant que les parcours de soins sont aujourd'hui "peu lisibles".


Enfin, ils jugent nécessaires des "moyens supplémentaires, pour ouvrir le temps de la pandémie des consultations dédiées (...) qui pourraient s'appeler Covid Psy" dans les établissements hospitaliers. A plus long terme, ils réclament une "mission interministérielle de 6 mois" pour élaborer "un projet de loi psychiatrie et santé mentale".
 

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