Abus sexuels dans l’Eglise : "Il s'est servi de sa place au sein de l'Église pour assouvir ses pulsions", témoigne une victime

Sandrine*, une Jurassienne, nous a confié une partie de son histoire. Elle a été abusée sexuellement par un curé de Dole, qui était également son oncle, lorsqu'elle était enfant. Témoignage.

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"Ma soeur a dit d'une manière un peu banale, à un repas de famille : 'On sait bien que Lorna (ndlr, le surnom du curé) avait les mains baladeuses'. Et c'est à ce moment-là que les images me sont revenues", nous raconte Sandrine*, âgée d'une soixantaine d'années.

Elle avait sept ou huit ans quand un curé de Dole, qui était également son oncle, lui a fait subir des attouchements sexuels, alors qu'elle sortait des toilettes durant un repas de famille. "J'étais une petite fille, face à un homme. Cet homme était notre oncle, curé, adulé de tous, aimé, en qui on avait confiance. J’ai entendu la poignée qui tournait. Je suis sortie des toilettes et j'ai été coincée par cette ordure. Il est venu toucher ce que j’ai de plus intime". Cet instant est gravé dans sa tête.

Le curé s'en est pris à Sandrine mais aussi à sa soeur, ainsi qu'à une nièce. Plusieurs alertes sont lancées aux institutions religieuses après que les souvenirs sont réapparus. Elles restent lettre morte. 

"On m'a demandé pardon au nom de l'église"

Finalement, Sandrine rencontre en juillet 2022 la cellule d'écoute du diocèse de Saint-Claude, dans le Jura, après avoir été reçue en famille par l'évêque Jean-Luc Garin. Elle y trouve des oreilles attentives et bienveillantes à qui elle raconte ce qu'elle a subi. Cela lui permet de "boucler la boucle""On m'a demandé pardon au nom de l'église. Ca parait anodin, mais c'est très important, explique-t-elle. Ce n'est pas un procès mais c’est une reconnaissance légale. C’est très très important".

Face à nos journalistes Philippe Arbez et Florence Petit, et avec un courage remarquable, elle ose poser des mots sur ce que son cerveau a enfoui au fond d'elle durant près de 50 ans. Ce phénomène s'appelle une amnésie traumatique. "Pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences, le cerveau disjoncte et déconnecte avec les circuits émotionnels et ceux de la mémoire", explique Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

"Quand ça vous revient en mémoire on est un peu comme quand l’événement arrive, on est sidéré. On est dans l’inaction", ajoute Sandrine. Après une grosse dépression, elle retrouve une "pulsion de vie énorme". Le curé, quant à lui, est décédé en 1998 sans jamais avoir été jugé pour ses actes, recevant même un hommage chaleureux durant son enterrement. 

On a eu besoin d’en parler, donc on en parle beaucoup autour de nous. Cet homme était très connu sur Dole. C’est important que les gens qui l’ont connu sache qui il était vraiment.

Sandrine*, victime d'abus sexuels

Sandrine a accédé à une forme de délivrance par la parole grâce à sa nièce. C'est d'abord elle qui a décidé de s'exprimer officiellement. "Elle a démarré tout ça. C’est elle qui a eu ce courage et je l'en remercie", nous explique la Jurassienne. Ses filles lui ont aussi donné la force de faire face à ses traumatismes. "J’ai trois filles qui ont eu beaucoup de difficultés personnelles. À un moment donné, il faut faire le constat que ce sont les conséquences de ce que nous on a vécu. Il fallait que je les aide à comprendre ce qu’il se passait dans leurs propres difficultés".

La famille au complet, très catholique, a été meurtrie par les agissements de cet oncle. "On a la chance d’être une famille très unie. Il y a eu de l'empathie. Les hommes de cette famille portent un peu cette culpabilité des actes de cet homme je pense. La honte, certains l’ont exprimée très fort".

Son rapport à la religion a été profondément bouleversé. "J'ai perdu la foi, c'est sûr". "Mais je fais la part des choses. Le responsable c'est lui. Il s’est juste servi de sa place au sein de l'Église pour assouvir ses pulsions et prendre ce pouvoir".

"Les agressions ont majoritairement eu lieu entre les années 60 à 80"

Depuis la publication du "rapport Sauvé" en octobre 2021, environ 330 000 victimes d'abus sexuels dans l'Église ont été recensées en France (source). Le chemin de la réparation est extrêmement long tant le chiffre des victimes est important et tant les histoires vécues sont douloureuses.

Au total, 450 victimes sont accompagnées par la Commission Reconnaissance et Réparation (CRR), créée en novembre 2021, pour venir en aide aux victimes d'abus sexuels dans l'Église. Pour l'instant, Sandrine* n'en fait pas partie.

85% des victimes déclarées étaient mineures au moment des faits dénoncés. 70 % de ces mineurs sont des hommes, tandis que les victimes majeures sont des femmes pour les deux tiers. "Les agressions ont majoritairement eu lieu entre les années 60 à 80. Près d’un tiers des plaintes concerne des faits qui se sont déroulés dans les années 1960.  Par la suite, le nombre de plaintes diminue progressivement entre les années 1970 (20 % des plaintes), 1980 (15 %) et 1990 (7%). A partir des années 2000, les plaintes déposées sont plus rares (environ 4 % pour les décennies 2000 et 2010)", précise ce 1er décembre la commission Reconnaissance et Réparation (CRR) dans un communiqué. 

La Commission a déjà formulé 80 recommandations de réparation non financière et financière (représentant 17 % des victimes accompagnées). Les réparations financières s’établissent entre 5 000 et 60 000 euros. 

*Le prénom a été modifié pour garantir l'anonymat de notre interlocutrice.

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