Afghanistan : "Les talibans sont arrivés au Panshir, ils cherchent les filles" dénonce la Franc-Comtoise Chantal Véron

Alors que les talibans sont entrés au Panshir, le dernier bastion de la résistance afghane, Chantal Véron, Franc-Comtoise très impliquée dans ce pays depuis les années 70 et en contact avec la population locale, dénonce les exactions des talibans. Elle nous raconte.

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Les échanges téléphoniques du jour avec Chantal Véron sont glaçants. La Franc-Comtoise, spécialiste de l'Afghanistan et fondatrice de l'association "NEGAR - Soutien aux Femmes d'Afghanistan", est évidemment horrifiée par les nouvelles qu'elle a reçues du Panshir, avant que le réseau téléphonique ne soit totalement coupé par les talibans, soucieux de ne pas laisser les informations sortir du pays qu'ils dirigent désormais d'une main de fer, multipliant les exactions et les enlèvements. 

La vallée du Panshir, située à 80 km de la capitale Kaboul, n'est autre que la province du commandant Massoud. Cette région résistait aux talibans depuis les années 90. "Jamais ils n’étaient entrés dans le Panshir, même quand ils ont été au pouvoir entre 1996 et 2001" nous explique Chantal Véron, professeur d'anglais à la retraite, qui a multiplié les séjours en Afghanistan depuis 1976, notamment dans cette région. Au Panshir, l'association "NEGAR - Soutien aux Femmes d'Afghanistan", créée en 1996, oeuvre pour les femmes et pour permettre aux jeunes filles d'aller à l'école. "On organisait entre-autre des ramassages scolaires pour que les filles puissent aller étudier" détaille Chantal Véron.

"Ils entrent dans les maisons pour chercher les jeunes filles"

Les nouvelles du Panshir sont extrêmement inquiétantes. Elle raconte : "J’ai reçu un coup de téléphone d’une fille que je connais très bien qui vit au Panshir. Elle était tellement choquée. Les talibans sont arrivés dans leur village. Ils entrent dans les maisons pour chercher les jeunes filles. Ils les enlèvent. Ils veulent s'en servir comme putains, les violer, les marier de force ou les vendre" rapporte-t-elle, catastrophée. Les villages dans lesquels les talibans ont été vus entrant dans les maisons sont Karbochi, Kanda et Goat.

"Par chance, ils n'ont pas réussi à les trouver car les parents les ont fait partir dans la montagne en leur disant de rejoindre Kaboul. Là-bas, elles peuvent se cacher plus facilement car il y a plus de monde, mais les talibans vont continuer..." dénonce-t-elle. Cette nouvelle confirme ce que l'on sait depuis maintenant plusieurs semaines. Malgré les discours lissés des talibans, qui assurent face caméra "avoir changé", les exactions et les enlèvements ont repris de plus belle depuis que ce groupe fondamentaliste est arrivé au pouvoir. Ces derniers revendiquent une application rigoriste de la charia ainsi qu’une soumission totale des femmes. 

Au Panshir, les talibans peuvent faire les choses en toute impunité. C’est horrible de la part des pays occidentaux de ne rien faire. Ils ne voient que les intérêts économiques.

Chantal Véron

La Franc-Comtoise est très inquiète, évidemment, mais croit en la force de résistance du peuple afghan. "Ils se sont toujours défendus. La résistance s'organise dans les montagnes. Le chef des résistants, le fils du commandant Massoud, avait préconisé le départ des femmes et des enfants à Kaboul. Les résistants apprennent aux jeunes des villages à résister, à s’organiser pour lutter mais ils ont besoin d'aide. Il faut leur donner des armes et à manger. Il n'y a plus rien à manger là-bas" poursuit l'ancienne professeure. 

"Les combats entre les talibans et les groupes résistants continuent"

L’ambassadeur afghan du précédent gouvernement Mohammad Homayoon Azizi a affirmé à la chaîne de télévision française Public Sénat le 6 septembre que la vallée du Panshir n'était pas tombée, contrairement à ce que disent les talibans : "Notre vice-président et nos concitoyens qui résistent encore au Panshir et dans certaines parties du Baghlan sont encore en guerre avec les talibans à l’heure actuelle. […] La vallée du Panshir a une géographie très compliquée, elle est composée de plein de vallées différentes. Une partie de ces vallées est contrôlée par les talibans, mais dans les autres, les combats entre les talibans et les groupes résistants continuent".

Olivier Roy, politologue spécialiste de l’islam interrogé par France Culture, apporte une précision concernant la stratégie de défense des résistants afghans : "Le fils du commandant Massoud reprend les tactiques de son père : on se retire quand l'ennemi avance, et on contre-attaque, quand les lignes de communication de l'ennemi sont trop tendues. La grosse différence, essentielle, c'est que le fils du commandant Massoud n'a pas les voies de communication qu'avait son père. Le Panshir est totalement encerclé par les talibans. Et les voies vers le Tadjikistan ex-soviétique sont également tenues par les talibans, ce qui n'était pas le cas en 2000, quand le commandant Massoud était le dernier bastion à résister aux talibans."

"Les talibans n’ont pas changé"

Une centaine de femmes afghanes sont descendues vendredi 3 septembre dans les rues de Kaboul pour défendre leurs droits, comme le rapportent nos confrères de Libération.fr. Ces dernières risquent gros en défilant ainsi dans la rue, alors que le nouveau gouvernement instauré par les talibans ne laisse la place à aucune femme. "Ces manifestations sont illégales tant que les bureaux du gouvernement n'ont pas ouvert et que les lois ne sont pas proclamées", a déclaré Zabihullah Mujahid, porte-parole des talibans, en demandant aux médias de "ne pas couvrir" ces protestations. A Kaboul, des journalistes ont été arrêtés et molestés par des talibans, selon plusieurs reporters sur place.

Selon Chantal Véron, le gouvernement fraîchement constitué rassemble "les pires mollahs" : "Les talibans n’ont pas changé. On a même l’impression qu’ils sont pires qu'avant parce qu’ils ont appris à communiquer et à utiliser internet". La dernière fois que les talibans ont été au pouvoir, les femmes ont disparu de la vie publique. Il était strictement interdit aux Afghanes d’étudier, de travailler ou de sortir sans être accompagnées d’un tuteur masculin. 

Chantal Véron appelle les gouvernements des pays occidentaux à agir et dénonce l'attitude du Pakistan. "En effet, le Pakistan a largement contribué à l’arrivée des talibans au pouvoir à Kaboul en 1996" confirme la professeure Natasha Lindstaedt, dans un article publié par TheConversation"Par l’intermédiaire de son principal service de renseignement, l’ISI, il a financé les opérations des talibans, recruté des hommes pour servir dans leurs forces armées, leur a fourni des armes et les a aidés à planifier leurs offensives" détaille Natasha Lindstaedt.

La Franc-Comtoise, amoureuse de ce pays depuis maintenant 45 ans, souhaite que l'Afghanistan ne soit pas oublié des Occidentaux : "Il y a beaucoup de gens qui nous soutiennent en France, des associations féministes... C’est important de continuer à dénoncer ce qu'il se passe là-bas car c'est l'horreur totale."

Qui est Chantal Véron ?

Enseignante à la retraite, Chantal Véron est la trésorière et la responsable du Comité Education de Negar. Après avoir passé une bonne partie de l’année 1996 à Kaboul, pendant laquelle elle a constaté l’intérêt pour l’éducation de la population (les écoles de filles et de garçons étaient en ruine mais pleines d’élèves et de professeurs), ainsi que la liberté de penser et de travailler pour hommes et femmes, alors que dans la ville de Hérat, déjà aux mains des talibans, où elle s’était rendue une semaine, les écoles de filles étaient fermées, et le travail des femmes interdit, elle est rentrée en France pour la rentrée scolaire un mois avant la prise de Kaboul par les talibans. Elle fonde alors avec Shoukria Haidar l’association Negar-Soutien aux Femmes d’Afghanistan et participera à tous ses combats.

Elle retourne clandestinement à Kaboul à partir du Pakistan en juillet 1997, et fonde avec ses amies afghanes 10 classes clandestines dans différents quartiers de Kaboul. En 1999, elle retourne dans l’Afghanistan du Nord avec Shoukria Haidar, et peut ensuite témoigner de l’éclosion de dizaines d’écoles de filles dans la vallée du Panjshir en particulier.

En juin 2000, elle participe à la conférence des femmes afghanes de Douchanbe, puis se rend dans l’Afghanistan du nord où elle apporte un soutien matériel aux élèves et aux professeurs des écoles de filles du Panjshir, de Jabul-Saraj, Gulbahar, Kohistan, Charikar et Salang, ce qu’elle continuera en été–automne 2001.

En janvier 2002 elle retourne à Kaboul pour participer avec Shoukria à la mobilisation et à la reconstruction. Elle agit surtout maintenant pour le soutien à l’éducation dans les régions de Panjshir et Baghlan.

► A lire aussi : En 2017, Chantal Véron nous avait accordé un grand entretien à découvrir dans cet article.

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