En Bourgogne-Franche-Comté comme ailleurs en France, les communes annulent les unes après les autres les festivités du 14 juillet. Un coup dur pour les entreprises pyrotechniques déjà fragilisées depuis le début de l'épidémie de coronavirus et le confinement.
"Ce qu'on demande aux communes est impossible à mettre en place."
A Mercey-le-Grand dans le Doubs, Julien Chenu est un artificier qui voit rouge. Le rouge de la colère. Son entreprise Arti'Show existe depuis 10 ans, elle tire en temps normal 70 feux d'artifices par an. "Depuis le mois de mars, on a eu entre 80 et 90% d'annulation, pour la période du 14 juillet, on devait tirer une quinzaine de feux, il nous en reste un dans une petite commune" explique Julien Chenu. Les autres communes ont annulé, les annulations se sont enchaînées depuis le printemps.
Julien Chenu n'est pas surpris par ces annulations. "Les préfectures demandent aux communes de faire respecter des distances d'au moins un mètre entre chaque personne, il faut du gel hydroalcoolique... Tout cela n'est pas applicable" estime l'artificier. "On propose des spectacles qui sont visibles à des dizaines, des centaines de mètres, et on nous met des bâtons dans les roues. Quand on voit que le feu d'artifice à Paris est autorisé et que nous, en campagne, on nous l'interdit, c'est honteux !" lance-t-il.
Séparer 10 personnes d'un mètre, c'est irréalisable.
Des centaines d'intermittents qui se retrouvent sur le carreau
La colère gronde aussi chez Thierry Dardelin qui œuvre pour la société Jacques Couturier. "Sur les 25 feux prévus pour ce 14 juillet en Franche-Comté et dans le département de l'Ain, 20 ont été annulés, il nous en reste 5 qui sont reportés" explique Thierry Dardelin.
"Séparer 10 personnes d'un mètre, c'est irréalisable" abonde-t-il. "C'est une énorme perte, on a 200 personnes qui sont sur le carreau, des intermittents qui avaient déjà souffert de la crise sanitaire" ajoute l'artificier. "C'est très, très dur, même si nous avons la chance de faire partie d'une grosse société, la marchandise était déjà achetée, les tonnes d'artifice sont stockés en Vendée... Mais c'est une tuile" dit-il. "La pyrotechnie a été complétement oubliée par l'Etat, c'est une catastrophe. Je pense aussi aux sonorisateurs des feux d'artifice qui souffrent comme nous. Et je plains les petites entreprises qui se sont mises à leur compte. Le contexte sanitaire bloque tout !"
"On pouvait tirer des feux dans des configurations réduites, sans buvette, sans guinguette. Il y avait des solutions."
Le blues de l'artificier résonne aussi à Beuveuge en Haute-Saône. Un tout petit village où depuis plus de 30 ans "Les artisans du spectacle" stockent leur matériel. Originaire d'Alsace, Serge Battinger est venu s'installer dans ce département rural, car le prix des terrains était abordable. Mais en cette année 2020, il ne saurait dire de quoi demain sera fait. "Il ne se passe rien cette année, rien. Depuis le début mars, tout est à l'arrêt. Ce 14 juillet va être minimaliste. On a des feux à tirer dans trois communes du Bas-Rhin. En temps normal, pour la fête nationale, on en tire une soixantaine" confie le gérant de l'entreprise de pyrotechnie. "Un 14 juillet, on travaille avec 80 intermittents, cette année, on sera juste deux" lance-t-il la voix amère.
L'artificier comprend que l'épidémie est encore là. Mais, il voit les gens revivre, aller faire leurs courses, aller à la plage, en vacances. Les manifestations sont à nouveau autorisées. Alors pourquoi interdire un feu d'artifice ? "Des solutions auraient pu être trouvées dans les petites communes. Des feux d'artifice qui rassemblent plus de 5.000 personnes, il n'y en a pas beaucoup... Dans le Bas-Rhin, nous avons proposé aux maires de tirer les feux cette année sur des points en hauteur, sans en divulguer le lieu pour éviter tous les attroupements" argumente Serge Battinger. "On pouvait tirer des feux dans des configurations réduites, sans buvette, sans guinguette. Il y avait des solutions" estime-t-il.
De quoi sera fait demain pour les artificiers ?
Pour sa petite entreprise du Doubs, Julien Chenu est bien sûr inquiet. Il a eu la chance d'avoir un fournisseur compréhensible, il a pu annuler les commandes de feux. De l'argent qu'il aurait dû sortir. Sans être payé par les communes. "On n'a plus aucune rentrée d'argent depuis le mois de mars, on est deux avec mon épouse et mes trois enfants. Si cela ne s'améliore pas d'ici la fin de l'année, je devrai aller chercher du travail" regrette-t-il. S'il a bien touché des aides de l'Etat d'environ 1500 euros par mois, Julien Chenu est inquiet. "Cette aide, c'est une goutte d'eau, il y a les charges à payer, le matériel à entretenir, les locaux... Artificier, c'est un métier bien spécifique, il faut se faire connaître, on y arrivait, c'était pas l'Amérique..." conclut-il. Le Covid a tout compliqué.
Serge Battinger lui aussi aimerait pouvoir lire dans le ciel des jours meilleurs. "Je ne sais pas ce que sera demain, il faut tenir, s'endetter, cette crise va durer un an pour nous, il faut avoir cette trésorerie ou puiser dans ses deniers personnels" confie-t-il inquiet de la suite. Comme d'autres, il craint que cette crise ne mette à terre les petites sociétés d'artifices. "On faisait du sur-mesure avec les petites communes, à l'avenir si seuls les gros groupes survivent, les mairies n'auront plus que le choix d'acheter un feu d'artifice sur catalogue" estime le patron.