En novembre 2023, les députés ont voté un amendement obligeant les Ehpad à accueillir les animaux de compagnie de leurs résidents si ces derniers en font la demande lors de leur entrée dans l'établissement. Une décision censée "apporter un peu de bonheur aux personnes âgées", qui se heurte néanmoins à de multiples limites sur le terrain.
Des résidents d'Ehpad, accompagnés à leur entrée dans l'établissement de leurs fidèles animaux de compagnie, présents au quotidien auprès d'eux pour leur apporter joie et réconfort. Vous en conviendrez, l'image fait chaud au cœur. Actuellement, dans l'Hexagone, rien n'interdit les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes d'accueillir les animaux domestiques des personnes âgées. Pourtant, cette possibilité est encore très rare.
Fatalement, il arrive donc que certaines personnes soient obligées de se séparer de leurs petits compagnons au moment d'entrer en structures spécialisées. Un moment souvent douloureux, qui arrive en même temps que le chamboulement représenté par une arrivée en Ehpad.
C'est en ayant conscience de cette réalité que l'Assemblée nationale a adopté, en novembre 2023, un amendement à la proposition de loi sur le "bien vieillir". Celui-ci prévoit l'aménagement d'un droit des personnes âgées à emménager en établissement avec leur compagnon à quatre pattes, avec la garantie de trouver "les dispositions nécessaires à cet accueil".
L'Ehpad doit être un lieu de liberté équivalente au domicile. Quand on y entre, c'est déjà une rupture, ajouter à cela l'abandon contraint d'un animal est intolérable.
Philippe Juvin,député LR à l'initiative de l'amendement
Une décision louable sur le papier, les bienfaits de la médiation animale étant prouvé depuis plusieurs années. Mais qui se heurte à une réalité de terrain tout autre. La totalité des Ehpad contactés par France 3 Franche-Comté parlent ainsi d'une proposition "irréaliste", voir "hors-sol". Pour tous nos interlocuteurs, le "non-accueil" des animaux de leurs résidents ne se fait pas par "plaisir" ou "gaieté de cœur", mais résulte d'un choix "nécessaire".
"C'est un amendement qui n'est pas trop réfléchi" assure Delphine Nardella, animatrice-coordinatrice de l'Ehpad Cournot-Changey, à Gray (Haute-Saône). "Il faudrait prendre en compte notre réalité". Dans son établissement, Mme Nardella accueille environ 15 résidents par an et admet que plusieurs d'entre eux "posent la question pour leurs animaux".
Mais on n'accepte pas. C'est trop de travail en plus. Si le résident n'est plus en mesure de s'en occuper, que la famille ne donne plus de nouvelles, on fait quoi ? Cela demande de l'argent et des moyens humains que nous n'avons pas. On est également tenu par des normes, notamment d'hygiène.
Delphine Nardella,animatrice-coordinatrice de l'Ehpad Cournot-Changey, à Gray
Même son de cloche chez Maryline Bovée, directrice de l'Ehpad Résidence du Parc, à Audincourt (Doubs), mais en plus offensif. "Cette proposition est contraire au bien-être des animaux, au bien-être des résidents et enfin, au bien-être du personnel" dénonce-t-elle. "C'est facile de parler des animaux alors qu'on attend la loi Grand âge depuis des années".
"Regardons la réalité : les résidents arrivent chez nous de plus en plus tard, souvent très dépendants" explique-t-elle. "Je n'ai déjà pas assez de bras pour s'occuper d'eux, sans parler de l'absentéisme. Je devrais demander à mes employés, qui font déjà 10 toilettes par jour, de s'occuper des chiens et chats ?"
On manque également de financements. La plupart des Ehpad sont en déficit. Si on m'octroie des fonds, je les utiliserai pour payer l'électricité plutôt que pour employer une auxiliaire chargée des animaux. Que les députés viennent s'en occuper !
Maryline Bovée,directrice de l'Ehpad Résidence du Parc, à Audincourt
Et Maryline Bovée de se souvenir d'une exception faite il y a quelques années, lorsqu'elle avait accepté le chat d'une résidente. "Sa famille s'était engagée à s'en occuper" détaille-t-elle. "Au bout de quelques mois, on ne les a plus vus et c'était au personnel de le faire. Cet amendement est donc une erreur".
Même s'il était promulgué, la directrice de l'Ehpad Résidence du Parc l'assure, "on ne l'appliquera pas, car c'est simplement irréalisable. Ce serait donner la priorité aux animaux sur l'humain. On a besoin de financements plus urgents".
Des Ehpad qui proposent déjà de la médiation animale
"Si on y pense, l'animal ne sera pas bien" argue-t-elle. "Il y a mieux comme cadre de vie que des chambres ou une cabane dans un petit espace vert, sans beaucoup de sorties. Et même au niveau des résidents. Certains ont déjà du mal à vivre ensemble, alors si vous ajoutez des animaux qui jappent, ou deux chiens qui ne cohabitent pas, vous voyez les problèmes".
Les deux Ehpad, conscients néanmoins de l'impact positif des animaux sur les personnes âgées, proposent des options différentes. À Gray, l'Ehpad possède ainsi deux chats, des oiseaux, un aquarium et fait intervenir un professionnel de la zoothérapie. À Audincourt, l'établissement a, lui aussi, deux chats et les familles des résidents peuvent apporter des animaux lors de leurs visites. Des solutions "plus réalistes et tenables" selon les deux professionnels.
La crainte du développement d'un business
Ce constat est partagé par la plupart des acteurs locaux du soin aux personnes âgées. Même ceux travaillant dans une structure permettant l'accueil d'animaux. "On peut accueillir les animaux, car nos résidents ne sont pas médicalisés et habitent dans des appartements, et non des chambres" glisse Céline Racle, directrice adjointe de la résidence privée Domitys "L'art du temps", à Besançon. "Et puis l'animal est laissé aux soins de son propriétaire. S'il n'est plus en état de s'en occuper, nous avons un service qui peut prendre le relais. Mais il est payant, bien entendu".
Au risque de tomber dans un business, au coût du contribuable ? Nous n'en sommes pas encore là, même si Madame Racle admet que "le fait d'accueillir les animaux est un argument de séduction par rapport à d'autres établissements".
Les sénateurs retoquent l'amendement
Vous l'aurez compris, si chien et chat apportent du réconfort à leur maître, il ne faudrait pas que cela soit en sacrifiant la qualité de leur prise en charge globale. Les Ehpad sont déjà depuis plusieurs années en manque de bras et d'argent pour fonctionner de manière optimale.
Sans doute conscient de cette situation, l'amendement en question a été modifié par les sénateurs, qui examinent le texte en session plénière depuis le 30 janvier. Ces derniers souhaitent en effet laisser la main aux établissements. À leur plus grand soulagement.