Metoo de l'Opéra : le baryton de Besançon Boris Grappe porte plainte contre la cantatrice Chloé Briot pour dénonciation calomnieuse

Ce mercredi 28 juin, le tribunal examinait la plainte pour dénonciation calomnieuse du baryton de Besançon Boris Grappe, contre la cantatrice Chloé Briot, qui avait elle-même porté plainte contre lui en 2020 pour agressions sexuelles. Une affaire singulière qu'on vous explique dans cet article.

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Le face à face aura duré tout l'après-midi. Parole contre parole. Pour la première fois, le baryton originaire de Besançon, Boris Grappe s'est exprimé. Un moment qu'il attendait depuis trois ans. 

"Cette affaire m'a volé beaucoup d'heures de sommeil. J'ai encore la boule au ventre. Je n'ai pas le moindre doute concernant l'issue de cette affaire. J'ai un sentiment d'injustice. La présomption d'innocence n'existe que dans ses murs. Dehors, c'est la présomption de culpabilité", a-t-il dit.

Une affaire ultra-médiatisée

Pour juger cette affaire de dénonciation calomnieuse de ce 28 juin, le tribunal de Besançon a dû reprendre toute l'histoire dès le début. En 2020, juste avant le confinement, la soprano Chloé Briot dépose plainte contre le baryton Boris Grappe pour agressions sexuelles entre  2019 et 2020. À cette époque, les deux artistes lyriques jouent ensemble dans l'opéra Inondation mis en scène par Joël Pommerat. 

Selon Chloé Briot, les faits remontaient entre octobre 2019 et février 2020, sur le plateau de l'Opéra-Comique à Paris où le spectacle a été créé, ainsi qu'aux Opéras de Rennes et de Nantes, où il avait été repris. L'affaire est ultra-médiatisée. C'est le début du mouvement MeToo de la musique (#Musictoo). Chloé Briot est alors présentée comme celle qui ose briser l'omerta dans le milieu de l'Opéra.

En septembre 2020, c'est au tour du baryton de déposer plainte, cette fois-ci pour dénonciation calomnieuse. Le procureur de la République de Besançon décide alors de joindre les deux dossiers. L'enquête dure deux ans et en septembre 2022, Etienne Manteaux annonce le classement sans suite des deux plaintes instruites à Besançon, car Boris Grappe réside alors à Besançon, sa ville d'origine.

Procédure assez rare, l'avocate du Bisontin décide alors de faire une citation directe, ce qui permet à la victime de saisir directement le tribunal. En 2023, Chloé Briot se retrouve alors prévenue, elle est accusée de dénonciation calomnieuse par son ancien partenaire de scène.

Des propos jugés "incohérents" par l'avocate de Boris Grappe

Les juges de Besançon ont cette fois-ci pu écouter lors d'une audience publique toute son histoire, mais ils n'auront pas à juger s'il y a eu agressions sexuelles. Ils devront décider si Chloé Briot a eu recours à une dénonciation calomnieuse à l'encontre de son partenaire de scène. En clair, a-t-elle menti, voulait-elle nuire à Boris Grappe ?

Pour l'avocate de Boris Grappe, les propos de Chloé Briot, dans la presse et auprès des enquêteurs, sont "incohérents" et les "faits se contredisent". 

Il y a une petite part de réél et tout le reste autour est mystification totale.

Avocate de Boris Grappe.

Le procureur de la République, Etienne Manteaux, demande la relaxe "au bénéfice du doute" de la chanteuse lyrique sans pouvoir se départir d'un "certain malaise". "Je ne peux pas démontrer la volonté de Chloé Briot de vouloir nuire délibérément, la volonté de dénonciation calomnieuse", explique-t-il.

La décision a été mise en délibéré au mercredi 30 août. Etienne Manteaux maintient qu'il s'agit pour lui d'un "épouvantable gâchis". Il ne "remet pas en cause la sincérité de la gêne qui est progressivement apparue à la suite des interprétations de scènes sexuelles". Ce "profond malaise" vient de l'emballement médiatique avec les nombreuses interviews données par Chloé Briot. "Le mouvement Metoo a eu une influence positive, mais là, on est dans les excès de Metoo".

Aujourd'hui, les deux artistes ont leur carrière à l'arrêt. Chloé Briot est au chômage. "On ne veut pas d'une chieuse qui a dénoncé des faits", déplore son avocat. Boris Grappe travaille dans un Ehpad en Allemagne."À la minute où j'ai pris connaissance du premier article de presse, j'ai compris que ma carrière était finie", assure-t-il.

Jeu de comédiens ou réalité ? 

C'est la première fois que le célèbre metteur en scène Joël Pommerat doit mettre en scène des relations sexuelles. Appelé comme témoin de la partie civile, l'assistant de mise en scène de Pommerat, Philippe Carbonneaux, revient avec précision sur la façon de travailler du metteur en scène. Très sollicité, il n'est pas toujours là et c'est Philippe Carbonneaux qui sera présent lors des répétitions et représentations où Chloé Briot s'est sentie agressée sexuellement.

La soprano parle notamment d'attouchements sur les fesses et de sein malaxé contre son gré durant les scènes de sexe.

Pour que les comédiens-chanteurs lyriques se "sentent à l'aise", Joël Pommerat a souhaité que cela soit eux qui proposent la manière dont ils allaient interpréter les scènes de sexe. Les répétitions sont filmées. Au tout départ, l'intention de Joël Pommerat est de demander un jeu hyper réaliste à Chloé Briot et Boris Grappe. C'est l'histoire d'un drame social, un couple en mal d'enfant qui recueille une adolescente. 

Chloé Briot et Boris Grappe se connaissent, ils ont déjà joué ensemble, ils s'entendent bien et discutent même de leur vie privée en dehors du travail. La jeune femme n'a tout de même pas oublié une position scabreuse dans un autre opéra qu'elle finira par considérer comme une agression sexuelle.

Lors de l'audience, une vidéo de répétition est projetée. Les comédiens-chanteurs cherchent leur interprétation pour ses délicates scènes de sexe. 

J'assume d'avoir joué mon rôle avec une franchise physique. Mon personnage est sexuellement attiré, on est dans "Lolita". Si c'était un pas de deux dans "Gisèle", là je l'aurais tenue par la taille. Là, il s'agit de "Germinal", une oeuvre sociale.

Boris Grappe

Boris Grappe insiste. Devant les juges, il regarde ses interlocuteurs et répond avec sa voix basse de baryton. "Dans ma vie, je considère que toucher les fesses d'une femme est un geste intime. Je sais garder les mains dans mes poches", affirme-t-il devant les juges. Boris Grappe sait que son talent réside plus dans son jeu scénique que dans sa voix. 

Pendant les répétitions, Chloé Briot fait également des propositions de gestes pour ces scènes de sexe. C'est la vedette de cette création qui remportera un certain succès. En janvier 2020, tout bascule. Chloé Briot demande à Philippe Carbonneaux, l'assistant de Joël Pommerat, que "le jeu soit moins explicite". Elle parle de sein malaxé, de main aux fesses, de visage près du sexe. Chloé Briot demande que Boris Grappe soit "recadré", les scènes de sexe sont devenues trop réalistes pour la jeune femme. Échange de mails, de SMS, mais pas de confrontation directe avec Grappe. Le Baryton change son jeu.

Chloé est sincère et en même temps, ce qu'elle me décrit je ne le vois pas sur le film.

Philippe Carbonneaux, assistant à la mise en scène

Chloé Briot refusera toute évolution de la mise en scène ou d'arrêter la production. Elle ne veut pas porter cette responsabilité. Finalement, la scène deviendra "minimaliste". 

La question du consentement

Au cours de cette audience, on comprend le ressenti de Chloé Briot. Elle s'est sentie agressée. Une prise de conscience progressive. Lors des répétitions, la soprano ne refuse pas explicitement certains gestes. "Comment Boris Grappe pouvait-il comprendre que vous n'étiez pas d'accord ?"  Pourquoi cette gêne n'a pas été clairement exprimée face à Boris Grappe ?, s'interrogent les juges. "J'avais du mal à comprendre moi-même pourquoi je n'en parlais pas" précise Chloé Briot dans un filet de voix. 

Toucher les fesses sans jamais demander le consentement de Chloé Briot, peut-être que c'est normal à l'opéra, mais moi cela me choque.

Avocat de Chloé Briot

Même s'il ne s'agissait pas de juger des faits d'agressions sexuelles, c'est bien cette question qui a été au coeur des débats de cet après-midi du 28 juin 2023. "Ma cliente a souffert, affirme l'avocat de Chloé Briot. Non seulement on l'accuse d'être une menteuse, mais ce n'est pas Grappe, mais son personnage qui a commis l'infraction"

Le ressenti d'une femme ne fait pas de doute. Il n'est pas possible de condamner Chloé Briot. Sinon, qui ira demain dénoncer des faits d'agressions sexuelles ?

Avocat de Chloé Briot

La sincérité de cette gêne qui est progressivement apparue à la suite des interprétations de scènes sexuelles, n'est pas remise en cause par le procureur de la République. Etienne Manteaux souligne également que Boris Grappe a fait "son travail d'acteur" et que son jeu a évolué dès que Pommerat lui a demandé de diminuer les contacts physiques.

L'affaire avait fait la une des médias le temps d'un été. C'était aussi ce 28 juin à Besançon le procès d'une presse avide de titres accrocheurs et de révélations.

Suite aux déclarations dans la presse de Chloé Briot en août 2020, la ministre de la Culture de l'époque, Roselyne Bachelot, avait décidé de procéder à un signalement auprès du Procureur de la République . Une façon "de manifester sa ferme volonté de prendre toute la mesure des violences sexistes et sexuelles dans le milieu musical", soulignait à l'époque le communiqué du ministère. 

Le procureur de Besançon après avoir classé sans suite les plaintes de Chloé Briot et Boris Grappe, écrit alors au ministère de la Culture. Ce "gâchis" aurait peut-être pu être évité, selon lui, si un coordinateur d'intimité avait été présent sur les plateaux lors des scènes sexuelles.

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