L'anesthésiste Frédéric Péchier est mis en examen pour 30 cas présumés d'empoisonnements de patients dont 12 cas mortels. Le procureur de la République de Besançon a dévoilé l'incroyable liste des victimes potentielles du médecin. Explications.
Incroyable, impensable. Ce sont les mots qui nous viennent en tête au fil de l'intervention d'Etienne Manteaux, procureur de la République, face aux journalistes ce vendredi 31 mars au Palais de Justice de Besançon. Durant près d'une heure, ce dernier a dévoilé en détails la longue liste des 32 "événements indésirables graves" survenus lorsque le docteur Péchier était en poste à la Clinique Saint-Vincent ainsi qu'à la Polyclinique de Franche-Comté, entre 2008 et 2017. Sur ces 32 incidents, Frédéric Péchier est soupçonné, pour 30 cas, d'en être le responsable. Dans 12 cas, les patients sont décédés. Pour deux cas, l'anesthésiste est entendu comme témoin assisté, les experts n'ayant pas écarté une potentielle thèse accidentelle.
Cette lecture impressionnante intervient à la suite du dépôt, auprès des deux magistrats instructeurs, des rapports d'expertises dressés par deux médecins experts de Bordeaux. Ce travail titanesque a duré deux ans. "C'est une avancée majeure. Un travail considérable a été accompli par ces deux experts. Chaque expertise fait près de 60 pages", précise Etienne Manteaux.
"Il se prend pour Zorro"
Le premier événement survient le 2 octobre 2008. Un homme de 53 ans doit subir une nephrectomie, c'est-à-dire une ablation partielle d'un rein, à la clinique Saint-Vincent de Besançon. Après l'injection de l'anesthésique, il fait un arrêt cardiaque et décède. C'est le début d'une longue liste d'arrêts cardiaques et d'incidents incompris par les anesthésistes en charge des opérations. Une anciene collègue médecin anesthésiste dira du docteur Péchier qu'il "est certain d'être le meilleur" et qu'il "se prend pour Zorro". Pourquoi ? Parce que dans la grande majorité des cas, le docteur Péchier intervient en phase de réanimation après l'arrêt cardiaque, tel un sauveur. Il souffle l'antidote aux oreilles de ses collègues et dira même à un patient opéré en juillet 2011 et victime d'un coma de 4 jours après un arrêt cardiaque : “C’est moi qui vous ai tiré d’affaire”.
Si le premier cas relève d'une intervention plutôt conséquente, de nombreux autres incidents graves se produisent lors d'opérations totalement bénignes comme en octobre 2009. Une femme de 41 ans est opérée pour des varices aux membres inférieurs. La patiente fera un arrêt cardiaque suivi de 3 jours de coma. Elle finira par s'en sortir. Les médecins experts bordelais écrivent dans leur rapport : "Suspicion forte d’une administration majeure et brutale d‘anesthésiques locaux".
À de multiples reprises, des produits tels que du potassium, de la mépivacaïne ou de la lidocaïne sont retrouvés dans le corps de victimes ou dans les poches, seringues ou capsules saisies par les enquêteurs. Les doses administrées sont complètement inappropriées. Une femme de 37 ans affiche par exemple un taux de potassium 100 fois supérieur à la dose attendue pour une anesthésie. "Cela correspondant à une dose létale", analysent les médecins mandatés par la justice.
Des victimes âgées de 4 à 89 ans
Le 7 février 2013, une femme doit être opérée pour une hernie discale. Une fois de plus, son anesthésie dégénère et provoque un arrêt cardiaque. "Le docteur Péchier, appelé en renfort à 9h10, souffle à l’anesthésiste un antidote", explique Etienne Manteaux, se référant aux déclarations de l'anesthésiste en charge de cette opération, interrogé par la justice. "Suspicion d’administration de potassium et d’un autre produit anesthésique", écrivent une fois de plus les experts.
Le 31 juillet 2012, une femme de 80 ans subit une intervention pour un changement de prothèse de hanche. À l’issue de l’opération, elle fait une hémorragie au niveau de la hanche. "Le docteur Péchier a aussitôt pensé à l’injection de protamine avant d’avoir l’analyse complète". Dans ce cas, les experts mandatés par la justice sont formels. Ils ont la "certitude d'une administration d'héparine, qui peut générer des hémorragies".
Le docteur Péchier, qui passait par là, a participé à la réanimation dira l'anesthésiste, qualifiant ce cas d'arrêt cardiaque de 'démentiel'.
Etienne Manteaux, 31 mars 2023
En juin 2014, un patient âgé de 79 ans décède alors qu'il était opéré d'une simple cataracte. Là encore, le docteur Péchier intervient. "Ce cas est démentiel" dit aux enquêteurs l'anesthésiste suppléée par Frédéric Péchier, qui "passait par là" au moment de l'arrêt cardiaque de son patient.
13 mars 2015, 20 avril 2015, 5 octobre 2015, 28 janvier 2016, 4 février 2016... La liste donne le tournis. Les plus jeunes victimes présumées du docteur Péchier ont 4 ans et 16 ans. La première est un petit garçon. Il fait lui aussi un arrêt cardiaque, en février 2016, à la suite d'une intervention. Il est plongé deux jours dans le coma. Le massage cardiaque de son anesthésiste est renforcé par celui du docteur Péchier. L'enfant s'en sort. Un excès de potassium est retrouvé dans son sang. Le jeune homme de 16 ans est quant à lui opéré du genou le 28 janvier 2016. Cette fois, les experts penchent pour une "forte administration de produits adrénergisants".
Le dernier événement indésirable grave se produit le 20 janvier 2017. Il concerne un homme de 70 ans. Le médecin anesthésiste lors de son opération était le docteur Péchier en personne. Les experts concluent à un "acte manifestement criminel”.
"On est face à un serial empoisonneur"
Interrogé il y a quelques jours par les magistrats instructeurs, Frédéric Péchier, 51 ans, a souhaité garder le silence la plupart du temps. Il nie l'ensemble des faits qui lui sont reprochés. "Pour lui, le seul cas d’empoisonnement avéré, c'est ce 20 janvier 2017. Le seul où il était anesthésiste. Il a d’ailleurs désigné celui qui était l'empoisonneur selon lui. Il a évoqué des erreurs médicales commises par ses confrères ou les infirmières, pour les autres événements indésirables graves”, précise Etienne Manteaux, procureur.
Du côté des nombreuses victimes, un procès aux assises est très attendu, comme nous l'a confirmé Stéphane Giuranna, avocat de certains plaignants. Il a évoqué des expertises de "grande qualité". "Pour toutes, sauf pour un cas, elles concluent à un empoisonnement formel. Le dénominateur commun s’appelle Péchier. On est face à un serial empoisonneur", a-t-il ajouté au micro de notre journaliste Emmanuel Rivallain.
Et de conclure : "J’espère qu’un procès d’assises pourra avoir lieu sereinement ainsi qu’un débat public. Monsieur Péchier et ses conseillers sont en pleine panique (NDLR, en référence à la demande de récusation de la juge d'instruction formulée par la défense). Ils sentent que l’étau se resserre. C’est un dossier dans les annales judiciaires".