Besançon : "On ne prend pas le temps d'écouter les patients, parfois ça peut être fatal" dénonce un médecin urgentiste

A visage caché, un médecin urgentiste témoigne de la situation de crise aux urgences. Il n'est ni en grève, ni en arrêt maladie, mais ce médecin confie sa difficulté a exercer au quotidien ce métier qu'il a choisit, et qu'il aime. 

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Vous ne verrez pas son visage, n'entendrez pas sa voix. Ce médecin fait partie des nombreux personnels soignants mobilisés depuis des semaines pour réclamer plus de moyens pour l'hôpital public et ses services d'urgences débordés par une hausse constante du nombre de patients.

"J'aime mon travail et je voudrais pouvoir rentrer chez moi et me dire que j'ai bien fait mon travail" nous explique-t-il. S'il témoigne incognito, c'est parce que selon lui il y a une omerta dans son service. "On masque le problème, on le nie. Pour nos responsables, ces problèmes sont acceptables, pour nous non !" explique le médecin. 
 

Trop de malades, des box, des lits qui manquent et des insultes au quotidien


Au fil de l'entretien avec notre journaliste Stéphanie Bourgeot, le médecin raconte d'une voix calme son quotidien. 

"50 patients aux urgences en une nuit, c'est devenu la normalité. 60 patients cela arrive régulièrement. Je termine les gardes extenué avec la peur d'avoir loupé quelque chose. J'ai vu des collègues paramédicaux ou médecins craquer face à la trop grande charge de travail" déclare le médecin. Aux urgences, la situation se crispe régulièrement dans les couloirs. Les familles qui attendent des nouvelles de leurs malades s'énervent. "La violence verbale c'est notre quotidien. On nous menace de porter plainte, les familles ou les malades" dit-il. Des menaces qui misent bout à bout pèsent lourd psychologiquement sur des soignants qui se disent extenués. 

"Quand je prends mon service le soir aux urgences, il est souvent déjà saturé" confie une infirmière de nuit. "On se retrouve dans un tension dès qu'on arrive au travail. La nuit on se sent seuls, il y a beaucoup moins de personnels, moins d'aides soignants, d'étudiants une infirmière en moins...J'aime les urgences mais je ne peux plus travailler dans ces conditions là. Il y a des moments où on se sent surmenés, on se dit qu'on va s'en aller, tout claquer.... d'autres jours, la charge de travail est lourde mais ça roule" confie la jeune femme qui s'en veut faute d'une charge mentale trop lourde d'oublier parfois un verre d'eau, une bassine, une couverture demandée depuis plusieurs heures par un patient.

"Ce qui me met le plus en colère c'est de ne pas être entendus par notre hiérarchie, notre direction. Il y a eu des choses mises en place, mais l'activité ne suit pas cette même courbe, elle ne redescend pas" explique l'infirmière de nuit. 


Des brancards alignés dans le couloir, des patients qui hurlent

 

Une patiente de l'hôpital de Besançon emmenée récemment aux urgences nous raconte l'engorgement du service :  "Les pompiers m’ont emmené aux urgences à Besançon Minjoz. Eux sont habitués car dès leur arrivée ils me disent "Ah, ben c'est blindé, il va y avoir de l'attente". Je passe directement en salle d'attente, ou une dame vient prendre mes coordonnées pendant que j'attends sur une chaise. Il est 10h15 et les urgences sont déjà blindées, la salle d'attente est trop petite, le personnel doit rajouter des chaises pour patienter, des patients entrent dans la salle d'attente sans avoir monté leur dossier, des familles souhaitent voir des patients alors que c'est interdit... Bref, les soignants passent plus de temps à faire la discipline, répondre aux mécontents qu'à faire leur travail.

Je vais rester 6 heures dans un box. Je ne me plains pas car je suis couchée, au chaud, et plutôt isolée, certains n'ont pas ma chance, et sont sur des brancards, alignés dans le couloir. Le plus triste c'est de voir les personnes âgées complétement déboussolées, qui se demandent où elles sont... Ah non, le plus triste c'est de voir le personnel courir dans tous les sens, recoucher le grand-père qui essaye pour la dixième fois de se lever de son brancard, d'expliquer à une personne qu'elle ne peut voir son père pour le moment ... de temporiser avec une personne qui hurle parce qu'elle attend depuis une heure....  J'étais outrée de voir le manque de respect que les patients peuvent avoir envers le personnel. Personnellement j'ai pris mon mal en patience ...

Néanmoins, je trouve que certains membres du personnel ne sont pas à l'écoute, et ne rassurent pas les patients. Je suis scandalisée par ce que devient notre système de protection, de prise en charge et de santé. 
 



"Des patients mis en danger"


Retour à  notre médecin urgentiste. Ce métier lui tient à coeur. "Les urgences c'était un choix pour aider les autres. J'ai toujours voulu faire ça depuis mes années de médecine. Aujourd'hui c'est un choix difficile au quotidien, mais j'aime mon métier". Le médecin urgentiste nous confirme ce que décrit la patiente, le service est souvent débordé. "On est constamment à gérer des problèmes d'organisation. La population a vieilli. On a retiré des lits. Le nombre d'entrées augmente, mais pas les moyens... quand certains jours on a 10 à 15 malades en attente, ce n'est pas possible de les surveiller. Quand il y a du monde, on n'a pas le temps d'avoir des relations humaines, on va à l'essentiel des choses. On ne prend pas le temps de discuter, d'échanger avec les patients et les familles. Parfois ça peut être fatal. Oui. C'est surtout la peur de l'erreur qui m'anime, quand on a beaucoup de patients on a peur de passer à côté de quelque chose" explique le soignant bisontin. 

Avec les internes, le médecin aimerait faire mieux, faire bien. "J'ai le sentiment d'aider les patients, mais j'ai toujours la sensation de ne pas faire mon travail, de survoler les choses" dit-il. Le médecin confie la situation de certains malades. "Certains patients ne sont vus que par un interne, le médecin senior ne les voient pas, ne se fait pas sa propre idée. On peut passer à côté de quelque chose de très grave". Selon lui, il y a une réelle mise en danger des patients. 


"Je ne sais pas quand la corde va rompre"


Ce médecin ne sait pas ce que sera demain. La suite de sa carrière, il n'y pense pas. Ne se projette pas. "Je m'attendais dans mon métier à une charge de travail élevée mais pas à cette pression. Pour être médecin urgentiste, il faut avoir une bonne carapace. Il nous faut plus de moyens" réclame-t-il. Ne serait-ce qu'un médecin senior de plus la nuit, une infirmière selon lui. 

 


Paroles de soignants : regardez notre reportage

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