Claude Lorius est mort le mardi 21 mars à l’âge de 91 ans en Bourgogne. Né à Besançon dans le Doubs, on lui doit beaucoup sur la recherche scientifique dans les pôles. Et la connaissance des glaces, qui retracent l’histoire de notre climat.
C’est un grand monsieur qui s’en va. Un puits de science qui transmettait avec une infinie douceur et patience son expérience. Claude Lorius avait fait ses études à l’Université de Besançon. Une petite annonce en 1955 sur le mur de la faculté et le voilà parti vers le grand blanc, le grand froid. On recherche des jeunes gens en bonne santé et ne craignant pas la solitude. Claude Lorius réalise son premier hivernage en Terre Adélie en 1957 sur la base scientifique Charcot. Le jeune Comtois qui aime le foot y séjourne un an.
Antarctique, l'appel de la glace
Claude Lorius entre au CNRS en 1961. Des années 60 aux années 80, Claude Lorius va prendre part à plus de 20 expéditions polaires en Antarctique principalement dont la dernière en 1984 à Vostok, station russe où la température peut descendre en dessous de 80 °C. C’est en terre Adélie qu’il fait l’une des plus incroyables découvertes... en observant dans son whisky les bulles de gaz libérées par le glaçon d’une carotte profonde. Il a l’intuition que ces bulles contiennent le secret des temps immémoriaux où elles ont été emprisonnées, détaille le site internet du scientifique. Vingt ans plus tard, la confirmation de ce pressentiment fera la une de la prestigieuse revue Nature : les activités humaines sont la cause du réchauffement climatique actuel.
Pionnier des expéditions polaires, Claude Lorius a contribué à fonder la climatologie, reconstituant le climat du passé grâce à l'étude des bulles d'air piégées depuis des millénaires dans les carottes de glace. Mais il n'a pas toujours été écouté et compris. En 1979, lors de l'émission Les Dossiers de l'écran, il est question du risque de réchauffement du climat. Le vulcanologue Haroun Tazief explique que « ce ne sont pas les volcans qui le feront, ce qui peut le faire c’est la pollution industrielle… La pollution industrielle émet des quantités de produits chimiques dont une énorme quantité de gaz carboniques » Claude Lorius, le glaciologue, explique sur le plateau que 20 milliards de tonnes de gaz carbonique sont rejetées par les activités humaines. Le commandant Cousteau rétorque alors : « C’est un baratin ça. L’histoire du CO2, c’est entendu, c’est vrai, on en fabrique beaucoup, mais il y a quand même des correcteurs automatiques, d’abord la végétation, puis l’océan … ».
“Claude Lorius était un chercheur de terrain, il ne restait pas dans son bureau"
Les scientifiques d’aujourd’hui savent combien les travaux de Claude Lorius ont fait avancer la connaissance de notre climat bouleversé par les rejets humains de dioxyde de carbone (CO2). Florian Tolle est glaciologue au laboratoire Thema à l’Université de Franche-Comté : “Les glaces de l’Antarctique sont une formidable machine à remonter le temps. On a pu, grâce aux travaux de Claude Lorius y voir les alternances entre les périodes glaciaires et douces. Cela nous a permis de voir ce qui “déraille” sur plusieurs siècles."
“Claude Lorius était un chercheur de terrain, il ne restait pas dans son bureau. Je suis très attaché à ce travail de terrain. Claude Lorius a d'ailleurs fait un hivernage dans des conditions rocambolesques” rappelle-t-il. En 1984, le glaciologue a en effet débarqué en pleine guerre froide avec des avions de l’US Army à la station russe de Vostok.
Aujourd’hui, à l’heure où fondent les glaciers et où le climat se réchauffe, ces carottes de glace continuent à intéresser les scientifiques. Le projet Ice Memory vise à collecter des échantillons de glace dans le monde entier pour les transporter et les archiver ensuite dans la station franco-italienne de Concordia.
La communauté scientifique perd l'un des siens. Et les hommages affluent. Jean-Louis Etienne, l'explorateur français, a rendu hommage ce 23 mars à Claude Lorius à travers une vidéo publiée sur sa page LinkedIn et Facebook. "Merci Claude de nous avoir illustré l'histoire du climat de la terre et la nécessité de mettre à l'œuvre un traitement contre cette machine thermique dont le processus est enclenché".
Pensons à nos enfants, nos petits-enfants
En 2015, nous demandions à Claude Lorius : Vous êtes le premier à avoir établi un lien entre la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère et le réchauffement climatique : vous êtes vraiment inquiet ? Réponse du scientifique. "Ce n'est pas inquiétant. C'est pire qu'inquiétant. Les famines, l'évacuation de populations face à la montée du niveau de la mer... Ce n'est sans doute que le début." Claude Lorius pensait aux futures générations.
En juin 2008, pour ses travaux, Claude Lorius avait été le premier Français à recevoir le prix Planète bleue pour l'environnement. En 2009, il a été promu au titre de Commandeur de la Légion d'honneur. En 2015, il est promu au rang de grand officier de l'ordre national du Mérite.
"Je suis un vieil homme à qui l'histoire a donné raison"
En 2013, à l'âge de 81 ans, Claude Lorius était reparti en Antarctique pour les besoins du tournage du documentaire "La Glace et le Ciel".
"Je m'appelle Claude Lorius et j'aurai 23 ans pour toujours" témoignait-il dans ce documentaire. "On ne voit pas arriver l'Antarctique, on bute contre lui. J'en suis rentré avec un regard unique sur le monde, et surtout cette empathie folle pour la planète sur laquelle je vis."
Ce film documentaire signé du réalisateur Luc Jacquet (La Marche de l'Empereur) avait pour but de remettre en lumière ce scientifique bisontin, mal connu du grand public, et pourtant visionnaire. Le film sorti en 2015 avait été projeté au festival de Cannes.
Marc Perrey, photographe de Besançon, avait accompagné la production en Antarctique pour réaliser des photos. Il se souvient de cette rencontre incroyable. “Claude Lorius c’était quelqu’un qui ne parlait jamais de lui à la première personne, il mettait toujours en avant les gens avec qui il travaillait. Il était d’une humilité”.
Les obsèques de Claude Lorius se dérouleront dans l'intimité vendredi 24 mars en Bourgogne.