Des conditions d’exercices de plus en plus difficiles, des plannings surchargés, et une lourdeur administrative étouffante pour trop peu de reconnaissance…. Les griefs des médecins généralistes libéraux sont nombreux. Collectifs de médecins et syndicats appellent à la grève les 1er et 2 décembre 2022.
C’est un événement rare qui se profile dans le monde médical. Les jeudi 1er et vendredi 2 décembre, un appel national aux médecins généralistes libéraux à faire grève a été lancé, par des collectifs et des syndicats de médecins. Il s’annonce non seulement très suivi en France, mais, fait exceptionnel, ces professionnels de la santé ne se contenteront pas d’afficher des brassards "en grève" ou de l’annonce : ils comptent bel et bien fermer leurs portes ces jours-là. "Je pense qu’il y a des secteurs où tous les cabinets seront fermés" affirme Benoît Coulon, généraliste à Besançon (Doubs). En Franche-Comté, de nombreux généralistes comptent fermer leur cabinet.
Pour que les médecins fassent un mouvement et ferment les cabinets, c’est que vraiment il y a un ras-le-bol important. Personne ne le fait de gaieté de cœur
Benoît Coulon, médecin généraliste à Besançon
Sur les réseaux sociaux, dans les groupes de discussions dédiés à la profession, depuis plusieurs semaines, ils sont de plus en plus nombreux à annoncer vouloir rejoindre ce mouvement. "On fait une fermeture de cabinet pour montrer que l’on n’en peut plus" explique Benoît Coulon. "On est sous pression en permanence, on est dans l’urgence, on enchaîne les actes pour faire plaisir aux gens, mais on ne fait pas de travail de fond d’accompagnement, énumère le généraliste, on n’arrive pas à faire la médecine pour laquelle on a été formés".
Un mouvement parti des réseaux sociaux
L’idée d’une fermeture massive des cabinets généralistes est née en septembre, sur un petit groupe Facebook, "Médecins pour demain", lancé par une médecin de la région de Lyon. "Elle a ouvert un groupe avec deux trois confrères en disant ‘j’ai du mal avec cette médecine-là, et vous ?’ et tout le monde lui a répondu ‘oui, moi aussi, je suis en souffrance’, ‘moi aussi, je n’en peux plus’, et en deux mois, le groupe est monté à 13.000 médecins adhérents". Benoît Coulon est l’un d’entre eux. Comme ce généraliste, la plupart de ses confrères sur ce groupe ne sont d’ailleurs pas syndiqués. "C’est 13.000 médecins qui disent ‘moi aussi, je n’en peux plus’."
Le collectif dénonce un quotidien surchargé par les tâches administratives. Alors que la nouvelle convention médicale, qui définit les relations entre la sécurité sociale et les médecins, les modalités de remboursement, les tarifs des différents actes médicaux, la manière dont ils sont définis et délimités, et la réalité administrative des médecins pour les cinq prochaines années, est en négociation, le collectif "Médecins pour demain" veut peser dans la balance. "Le mode d’exercice de la médecine générale est devenue une usine à gaz" dénonce Benoît Coulon.
Il vise notamment les modes de rémunérations complémentaires que la sécurité sociale a peu à peu mis en place, par forfaits. "Par exemple, entame le généraliste, vous êtes informatisé, vous faites un certain nombre de transmissions [à la sécurité sociale], vous avez un forfait en retour pour la gestion administrative, la gestion du logiciel médical". "Il y a des forfaits aux objectifs, comme les forfaits selon les prescriptions d’antibiotiques, etc.". Selon le médecin, si les généralistes touchent 25 euros pour une consultation de base, ces forfaits représenteraient environ une dizaine d’euros supplémentaires par consultation. Des rémunérations non-négligeables, mais qui demandent beaucoup de temps de "paperasse".
Notre boulot à nous, médecins, c’est d’avoir un patient, qui décrit des symptômes, et c’est à nous d’avoir un œil médical, de hiérarchiser les symptômes, de définir des examens, de trouver un diagnostic et un traitement adapté. Ce n’est pas de remplir tel ou tel papier, de chercher la bonne cotation
Benoît Coulon, généraliste à Besançon
Autre difficulté : les cotations. Il s’agit en quelque sorte du mode de facturation des généralistes. A la fin d’une consultation, lorsqu’il passe la carte vitale de son patient, le médecin renseigne les actes médicaux réalisés, selon la nomenclature de la sécurité sociale. "Ça se complexifie de plus en plus, affirme Benoît Coulon, il y a sans cesse des nouveaux actes". "Il faudrait presque avoir un dictionnaire à côté de soi pour être sûr de ce que l’on fait". Des outils pour déterminer la ou les cotations auxquelles correspondent la consultation que l’on vient de réaliser existent, mais ils prennent du temps, et laissent entrevoir la complexité de la nomenclature.
Des conditions d’exercices qui découragent les jeunes médecins
Pour le médecin bisontin, ces conditions d’exercice participent à la multiplication des déserts médicaux. "50% des internes actuels en médecine générale regrettent leur choix de spécialité et ne veulent pas s’installer" affirme-t-il, amère. "On estime que seulement 10% des internes en médecine générale s’installent dans l’année. C’est très peu. Comme ils font des remplacements, ils voient comment ça se passe et ils sont dégoûtés à l’avance". Benoît Coulon explique qu’il ne connaît "pas un seul médecin qui n’ait pas fait un burn-out".
Il s’interroge : "Comment redonner envie aux jeunes de rentrer dans un métier avec un stress pareil ? Il faut repenser la façon d’exercer de manière globale". D’ailleurs, il l’assure, "beaucoup de médecins remplaçants nous disent, ‘si on vous donne gain de cause, je m’installe, mais pas pour l’instant, pas dans les conditions actuelles’ ".
Une consultation à 50 euros ?
Rejoint par les syndicats de médecin, le mouvement de grève des 1er et 2 décembre réunit des revendications très variées. Mais pour le collectif "Médecins pour demain", deux revendications prévalent : une simplification administrative, et une revalorisation du prix de la consultation de base. "Le mouvement voudrait 50 euros par consultation" expose Benoît Coulon.
"Ce serait un prix unique de consultation, avec une consultation plus longue". Actuellement, une consultation auprès d’un médecin généraliste dure en moyenne 16 minutes. "On voudrait se donner une demi-heure par patient, et donc, à coût quasi-constant, faire de la meilleure médecine" explique le généraliste. "La prévention, c’est fondamental". Le médecin estime qu’en donnant plus de temps aux généralistes pour faire ce travail de prévention, la sécurité sociale ferait à terme des économies. Mais aussi, que cette revalorisation permettrait d’engager du personnel pour gérer l’administratif, et pourrait de nouveau rendre l’installation en libérale attirante aux yeux des jeunes médecins. Car, pour le collectif, c’est bien cette question de l’attractivité de l’installation en libéral qui est aujourd’hui essentielle pour lutter contre les déserts médicaux.