Ces derniers jours, près de Besançon (Doubs), les habitants des petites communes de Vorges-les-Pins et Busy ont reçu un courrier des plus étonnants. Il vise sans le nommer un ancien instituteur qui, selon la lettre, se serait livré pendant des années à des actes pédophiles. Nous avons retrouvé deux personnes ayant déposé plainte dans cette affaire. Elles témoignent.
C’est une lettre qui a surpris plus d’un habitant. Tapée à la machine, et non signée, elle informe qu’un habitant fait l'objet d'une enquête de gendarmerie pour des faits de pédophilie. Elle vise, selon le courrier, un ancien directeur d’école, qui était aussi responsable de colonies de vacances et d’une association de football.
“Gardons à l'esprit que cet individu s’est mis en marge de la morale et de la société par ses méfaits et que nous ne pouvons pas faire comme si rien ne s’était passé. Nous le devons pour ses victimes qui porteront toute leur vie ce fardeau incommensurable. Pour elles, il n’y aura pas de prescription”.
Extrait de la lettre
“J’avais 11 ans, j’étais en CM2”
Ghislaine Girardet fait partie des personnes qui ont déposé plainte. Après des années de silence et de mal-être, elle détaille ces heures douloureuses de son enfance. “Tout est ressorti après le décès de ma mère, j’ai eu plein de flashes, tout est revenu” dit-elle au micro de nos journalistes Emmanuel Rivallain et Antoine Laroche.
“J’avais 11 ans en 1975. J’étais en CM2, j’ai subi des attouchements sexuels” résume cette ancienne élève. “Il me faisait rester à la fin des cours pour finir un exercice. Il avait son logement de fonction dans l’école. Je montais pour lui montrer que mon exercice était fini. Et là, il me faisait s’asseoir sur ses genoux, il avait des gestes déplacés” détaille la sexagénaire. Elle se souvient avoir été emmenée dans les toilettes. “Il a mis sa main dans ma culotte, et m’a touché les parties intimes, m’a caressée. Je n’en ai jamais parlé, ça s’est passé plusieurs fois. J’ai occulté, mon cerveau a dit stop”.
Comment faire pour vivre avec ça ? Je ne sais pas. Ça va faire partie de nous, c’est encore dur.
Ghislaine, victime présumée
Cette habitante estime que les anciens du village savaient. Mais personne n’a parlé à l’époque. “À l’époque, on ne nous aurait pas cru. Mais en tout cas, moi, ça ressort, avec des mots d’adulte. Je n’ai plus de frein. Il faut que les mentalités changent, il faut faire savoir aux enfants que leur corps leur appartient, qu’ils ont le droit de dire stop” dit-elle.
Trois plaintes ont été déposées à l’encontre de l’ancien instituteur, a confirmé le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux. “Je fais tout ça, pas pour moi, mais pour d’autres victimes potentielles. Elles ont le droit de parler. Maintenant, le tabou, c’est fini. Au niveau des lois, il faut que la prescription soit abolie. Pour nous, ce sont des choses qui resteront à vie” estime Ghislaine Girardet.
“Il venait à l’école avec des pipettes de sperme”
Ghislaine Girardet, n’est pas la seule à avoir déposé plainte fin 2022 à la gendarmerie de Saint-Vit. Olivier Maître a ressenti le besoin de libérer lui aussi la parole. Il avait 8 à 10 ans dans les années 1978-1980. “Souvent, on faisait des sorties dans les bois autour de l’école, on se cachait. Il venait derrière nous, il baissait son pantalon ou son short, et nous faisait s’asseoir sur ses genoux. Il y avait aussi les retenues. On était souvent seul comme par hasard. Il fermait alors les volets. Il se passait des choses du même genre” confie l’homme qui n’a parlé de tout cela à sa famille qu'à l’âge de 31 ans. L’ancien instituteur serait selon lui allé plus loin, un jour dans un cabanon.
“Ce jour-là, vous avez un adulte qui est à genoux devant vous, ce jour-là, il m’a dit qu’il me faisait ça parce qu’il m’aimait. Ça restera marqué à vie, je n’oublierai jamais”.
Olivier, victime présumée
Olivier et Ghislaine se souviennent d’autres détails. “Il venait avec des pipettes de sperme à l’école. Il nous racontait quand il avait fait l’amour avec sa femme”.
Une enquête, mais des faits prescrits
Olivier Maître, victime présumée, déplore que cet homme ait commis des choses graves sans jamais être inquiété. “Aujourd’hui, moi, ce que j’aimerais, c’est qu’il soit condamné, reconnu. Je ne veux rien d'autre”.
Le procureur de la République a indiqué à France 3 Franche-Comté que, du fait de la prescription de 30 ans, l’enquête à ce stade ne pourrait aller plus loin. L’homme, aujourd’hui âgé de 76 ans selon nos informations, a contesté les faits devant les enquêteurs. Le travail mené par la gendarmerie n’a pas permis d’identifier des victimes pour lesquelles les faits n’étaient pas prescrits, mais si de nouveaux faits voient le jour, cela réouvrirait le dossier, précise le procureur. L’homme a été enseignant jusqu’en 2005.
Nos journalistes ont pu parler brièvement à l’homme mis en cause par ces anciens élèves. Il n’a pas souhaité s’exprimer. Son avocate Me Françoise Péquignot n'a pas apprécié la méthode. "Il s'agit dans cette affaire d'une instrumentalisation de nos systèmes d'information. Mon client a été auditionné, la justice travaille. Il faut laisser les enquêteurs travailler sereinement dans cette affaire. Je relève surtout que le moyen utilisé est tout sauf le souci de la manifestation de la vérité. C'est à visée uniquement polémique" note l'avocate.
“Le fait qu’il n’y ait pas de poursuite judiciaire amène certains à avoir une forme de justice par ces biais” estime le procureur en référence à la lettre distribuée dans les boîtes aux lettres des deux communes du Doubs.
Pour certains habitants de ces villages de près de 600 âmes chacun, le dépôt de cette lettre anonyme a du mal à passer également. La méthode choque. “À part jeter la discorde au milieu du village, je ne vois pas ce que ça peut faire… Ce n’est pas grâce à ce tract que les parents vont être vigilants. C’est nauséabond. S’il y a des histoires, que la justice fasse son travail” réagit un habitant de Vorges-les-Pins.