Des locataires d'un immeuble du quartier Planoise à Besançon (Doubs) s'estiment victimes d'un plan de rénovation urbain. Ils s'opposent à la destruction de leur immeuble programmée en 2024 et surtout à leur déplacement dans d'autres quartiers de la ville.
C’est une longue ligne d’immeubles devenue emblématique de la rue de Champagne à Besançon. Au gré des bâtiments des n°2, 4, 6, 8, on aperçoit des volets parfois clos. Des pigeons viennent même trouver un nouvel abri sur les rebords des fenêtres. Signe de quelques habitations délaissées. Pas la majorité.
« Si je refuse l’appartement, alors je me retrouve à la rue à 70 ans ? »
D’ici fin 2024, tous ces appartements seront démolis. C’est ce qui est prévu dans le programme de rénovation urbaine (NPRU) lancé en 2019. 183 millions d’euros seront investis pour rénover et verdir le quartier de Planoise : 1 200 logements seront ainsi détruits et 700 réhabilités. Au niveau de la rue de Champagne, sur les 100 familles qui occupent ces logements, 83 sont encore là. Deux femmes retraitées confient ainsi leurs craintes au micro de Catherine Schulbaum.
« J’ai 78 ans et on nous traite comme des animaux », lance l’une, dans un éclat de détresse. Si des solutions de relogements ont été proposées, beaucoup ne s’y retrouvent pas. « Je vais payer plus cher alors que je ne gagne que 800 euros de retraite. Même avec les APL, je vais payer 300 et quelques », s’énerve la seconde femme. Les habitants de la rue de Champagne sont invités à s’installer dans d’autres quartiers de Besançon. Pas à Planoise donc, celui dans lequel ils ont vécu depuis plusieurs années. De quoi susciter l’inquiétude de cette locataire : « Si je refuse l’appartement, alors je me retrouve à la rue à 70 ans ? Normalement, les gens comme nous doivent être protégés. Ils n’ont pas le droit de nous mettre devant les faits accomplis comme ça. »
« Réinventer Planoise » sans ses habitants ?
Un départ d’autant plus difficile à concevoir pour Dalila. Elle vit depuis 16 ans dans ces lieux « impeccables », chargés de souvenirs. « J’habitais avec ma fille, j’avais deux chambres, un salon, une salle à manger. On n’attendait rien de plus. C’était propre », explique-t-elle. Dès janvier, l’annonce soudaine de la démolition a surpris tous les voisins, mais la situation s’était empirée depuis bien plus longtemps. « Depuis l’année dernière, c’est Loge.GBM qui a repris, explique la Planoisienne. On n’avait plus de contacts avec le logeur. Pour avoir Loge.GBM, j’ai compté une fois, j’ai appelé toute la journée, et je n’ai pas réussi. »
Pas de doute pour Dalila, l’objectif est de « réinventer Planoise », comme l’indique le slogan du plan de rénovation urbaine, sans les habitants de la rue de Champagne. « On m’a proposé un appartement qui est plus petit et plus cher, en dehors de Planoise. Bah non, je reste là. Je reste là, martèle-t-elle. Chacun voit son porte-monnaie aussi. À Planoise, il y a des appartements qui sont bien. Mais on veut nous faire sortir de Planoise. »
Entre locataires, on communique. Ma voisine, on veut lui faire quitter Planoise et on lui propose d’aller habiter à L’Amitié. Dans les tours. C’est pareil. On connaît tous L’Amitié, on sait qu’il y a du deal, des problèmes.
Dalila, une habitante de la rue de Champagne
D'autres sont en faveur de cette démolition à l'instar de Catherine Babey, résidente de 42 ans. « Il faut dire que l'immeuble est insalubre, encore plus depuis ces dernières semaines », raconte-t-elle. Elle vit avec sa mère, 73 ans depuis plus de 20 ans. Cette dernière, en situation de handicap, a été témoin de la dernière fusillade de Planoise. « Ma maman reste traumatisée, souffle-t-elle. Elle veut absolument partir ». Toujours en l'attente d'une proposition de logement, Catherine Babey espère que « le bailleur ait un peu de dignité » et lui obtienne un appartement « décent ».
La Confédération Nationale du Logement soutient les habitants dans cette lutte. « La démolition, cela veut dire d’abord, on éjecte les gens de leur appartement », dénonce Michel Boutonnet, représentant de la CNL. L'enjeu est bien dans les propositions de relogement - quitter un quartier dans lequel on a vécu 30 voire 40 ans semble, à bien des égards, un « déracinement » pour l'association. « Quand on fait des rénovations, on peut normalement les reloger dans d’autres quartiers, indique Michel Boutonnet. Mais ici, non. Il est exclu qu’on les remette à Planoise. C’est contre ça que nous nous opposons. On ne veut pas déraciner les gens. Ce ne sont pas des pions que nous pouvons déplacer. Ce sont des êtres humains. »
Des logements squattés ?
Dans cette barre d’immeubles, les logements qui ont été quittés, restent, semble-t-il, encore habités. De manière illégale cependant. « J’ai vu des gens qui occupaient, qui faisaient un peu la fête, raconte Dalila. Je me suis quand même renseignée et c’est là que je me suis aperçue que c’étaient des squatteurs, des gens sans papiers, des dealers, et puis en quelques mois, cela s’est complètement dégradé. » Le bailleur Loge.GBM Besançon a décidé d’enlever toutes les portes des appartements, laissés à l'abandon. À l’intérieur désormais, des murs dégradés, des déchets au sol, voire des excréments et des rats, autant d’indicateurs de possibles squats.
« Nous avons fait le choix d’enlever les portes des logements vacants ainsi que des sanitaires pour éviter des squats, des installations illégales de façon durable et pour garantir la sécurité de nos locataires », explique Carine Michel, Présidente de Loge.GBM. Elle affirme être « quasi-sûre que les logements auraient été squattés » si les portes n'avaient pas été retirées. Les locataires dénoncent qu'à l'inverse, le retrait de ces portes faciliterait l'occupation des appartements.
Si les habitants pointent ainsi une stratégie pour rendre l’immeuble peu vivable, là encore, le bailleur s’en défend : « Nous n’avons pas laissé le patrimoine à l’abandon, nous maintenons le même niveau d’entretien et des prestations des ménages, affirme la Présidente de Loge.GBM. Nous maintiendrons ce même niveau, jusqu’au relogement. » Et de souligner : « Les familles sont accompagnées par des travailleurs sociaux qui regardent avec eux leurs perspectives de relogement. » Les habitants comptent, quant à eux, créer une association. « On va se défendre, lance Dalila. On va se défendre, c’est tout. »