« Je ne disais même plus bonjour à mes enfants », les soignants en unités Covid-19 face à la souffrance psychique

Patients épuisés, décès en nombre, journées de 11 heures, tenues de protection bricolées...les soignants qui ont exercé en unités Covid racontent, pour ceux qui en sont capables, toute la souffrance psychologique qu'ils ont éprouvée et continuent de ressentir.

Sandra*, 37 ans, aide-soignante en chirurgie orthopédique à la clinique Saint-Vincent de Besançon s’est portée volontaire pour intégrer l’unité Covid dès son ouverture en mars. La plus grande épreuve de sa vie.

« Le plus dur était de savoir que les patients quittaient la vie seuls et qu’ils avaient nos yeux pour dernière vision, témoigne la jeune femme. Je me souviens de chaque nom, dans chaque chambre. De chacun de leurs mots. Un monsieur m’a dit avant de mourir : 'S’il-vous-plaît, gagnez cette guerre…' Ce sont des choses qui marquent, qui vous reviennent sans cesse.

Nous étions à la fois le dernier contact, l’aide psychologique et le lien avec la famille, frustrée de ne pas être présente. Même si les proches comprenaient cette impossibilité et n’ont jamais posé de souci.

Nous avons fait des toilettes mortuaires et participé aux mises en bière qui se faisaient directement dans la chambre du patient pour plus de sécurité sanitaire. J’ai d’ailleurs été choquée parfois par l’inhumanité de certains personnels des pompes funèbres qui laissaient tomber les corps dans les cercueils alors que nous étions prêts à les déposer délicatement, les considérant toujours comme nos patients. Ce bruit sourd me hante encore… »

Je mangeais Covid, je dormais Covid, j’étais épuisée. Je ne parlais plus à mes enfants et je ne m’en rendais pas compte. Sandra, aide-soignante en Unité Covid.


Travaillant 11 heures d’affilée durant deux jours, puis alternant deux jours de repos, pendant des semaines, Sandra ne vit plus que pour lutter contre la Covid-19. « Je ne pouvais pas entendre les gens se plaindre du confinement, que le jardin était trop petit ou que tel magasin n’était pas ouvert. Je n’étais plus ouverte à ce genre de discussions.
 

L'écriture pour se soulager


Un soir, au bout d’un mois et demi, un de mes fils m’a dit « bonjour maman ! » et cela m’a fait l’effet d’un électrochoc, avoue Sandra. J’ai compris dans quel état j’étais. Alors je me suis mise à écrire pour évacuer. J’ai noirci des cahiers entiers, écrit des poèmes, toujours avec humour, car c’est dans ma nature. Je me mettais par exemple à la place de l’ascenseur qui, faute de pouvoir distinguer deux chemins entrant et sortant, voyait parfois se côtoyer un nouvel admis et un cercueil. Toutes ces scènes surréalistes….»
 


Un traumatisme


Pour le Pr Sylvie NEZELOF, chef du pôle des liaisons médico socio-psychologiques au CHRU Jean Minjoz, les personnels soignants au cœur des unités Covid ou autour, ont vécu des choses traumatiques qui commencent seulement à s’exprimer ou ne s’exprimeront que dans plusieurs semaines ou plusieurs mois.

« Il y a d’abord la charge émotionnelle, devant l’afflux massif de gens très mal, dont l’état se dégrade très vite, précise la psychiatre. De gens jeunes auxquels les soignants peuvent s’identifier. De décès à la chaîne.

 Il y aussi la peur, pour soi, mais souvent surtout pour sa famille, la peur de contaminer ses proches.

Et puis il y a le stress lié à l’hyperadaptabilité dont les soignants ont dû faire preuve. Ils ont dû passer d’un service à un autre, très rapidement, chaque fois que le CHRU se réorganisait par exemple.  Cela a bien fonctionné, mais au prix d’une grande énergie et de réajustements.

Enfin, il y a les images très dures qui restent en tête quand on rentre à la maison… »

Pour toutes ces raisons, un numéro d’assistante pyschologique a été mis en place au sein du CHRU Jean Minjoz. Mais il n’a reçu que peu d’appels. « Les gens n’ont pas le temps de réfléchir, ils font au mieux dans l’urgence, explique Sylvie Nezelof. Ce qui a mieux fonctionné, ce sont les « maraudes » mises en place par les psychologues disponibles alors, dans les services au moment des transmissions d’une équipe à une autre. Là, la parole pouvait mieux circuler.

Je pense d’ailleurs que le travail psychologique, quand il se fera, en même temps que d’autres bilans de cette crise, devrait se faire de préférence de manière groupale. Parler avec ses collègues, avec son/sa cadre, au sein d’un collectif.

En attendant, les services de "la santé au travail" restent disponibles. Il faut veiller aussi sur les nombreux étudiants appelés en renfort et qui ont assumé beaucoup de choses sans avoir jamais pu être habitués à une telle situation… »

Même dispositif à la Clinique Saint-Vincent. Un numéro d'appel H24 a été mis en place en partenariat avec leur mutuelle et deux psychologues, externe et en interne, peuvent être consultés de manière individuelle. "Nous prévoyons un debriefing collectif dans les mois qui viennent, car il faut toujours capitaliser sur ce genre d'expérience, explique Valérie Fakhoury, directrice de la Clinique Saint-Vincent. Que chacun puisse exprimer ses émotions. En attendant, nous faisons en sorte que les personnels puissent prendre leurs congés ou du moins, des temps de repos."
 

Parler avec ceux qui ont vécu la même chose



Sandra ne s’est pas confiée à un psychologue, parce qu’au début elle n’avait pas le temps, parce que c’est plutôt elle « l’épaule » sur laquelle on s’épanche d’ordinaire, et puis parce qu’elle ne se sentait pas évoquer le sujet avec des personnes qui n’avaient pas vécu cette situation. « Il n’y a que les collègues qui peuvent comprendre. On a le même ressenti, les mêmes mots. On comptait par exemple « nos petites licornes » = les patients décédés. Notre thérapie, c’était l’humour. Les fous-rires lorsqu’on découvrait la tenue et les couleurs de masques du jour en ouvrant un carton de dons – très nombreux d’ailleurs, des entreprises et des particuliers, que je remercie infiniment. On disait « un jour = un costume ! » lorsqu’on se retrouvait avec un masque de plongée teinté… »

L’une des leçons positives de cet épisode fut le rapprochement entre tous les corps de métiers. Aides-soignants, infirmières, ASH (agents des services hospitaliers), médecins, chirurgiens…nous étions tous dans le même bateau. Cela nous a fait nous connaître et nous a soudés. C’est difficile à partager avec ceux qui ne l’ont pas vécu d’ailleurs. »
 

Malgré ta jolie Couronne
Tu es un roi morbide
vicieux et orgueilleux !
- extrait d'un poème de Sandra, aide-soignante en unité Covid


« Je ne parlerais pas de guerre, analyse Sandra. Je n’ai d’ailleurs jamais craint pour ma vie, j’avais plus peur au début de le transmettre à ma famille. On a toujours mangé à notre faim. On circulait. Non, ce n’était pas une guerre, plutôt un épisode douloureux, à la limite de l’irréel et qui m’a énormément marquée… »

Quant aux médailles ou aux primes, Sandra n’en rêve pas et ne compte pas dessus. Payée, selon elle, 200 euros de moins que ses homologues aides-soignantes du secteur public, elle accepterait volontiers un alignement et une revalorisation salariale. « Mais déjà la direction de la clinique nous rappelle qu’aucune rentrée d’argent n’a eu lieu pendant la crise, alors… », conclut-elle dans un sourire. Un sourire qui, malgré tout, ne la lâche jamais.

* le prénom a été modifié
 
L'actualité "Société" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Bourgogne-Franche-Comté
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité