Ils ont tenu à présenter un candidat dans chaque circonscription. Lutte Ouvrière, organisation communiste Trotskyste, est parfois même le seul parti face au trois grandes alliances, d'extrême droite, de majorité gouvernementale et de gauche. Mais qu'est-ce qui motive ses candidats ? Nous leur avons posé la question.
Ils sont souvent ouvriers, parfois enseignants, assistantes sociales ou employé sur service public. Aux élections législatives de 2024, le parti communiste "Trotskyste" Lutte Ouvrière a réussi le tour de force de présenter en quelques jours seulement un candidat dans chaque circonscription de France métropolitaine. Cette organisation, qui clame que les élections ne changeront rien au devenir des Français, met pourtant un point d'honneur à participer à chacun de ces scrutins.
Notre truc, c'est que les travailleurs doivent renverser le capitalisme
Cédric Fisher, candidat LO dans la 1ère circonscription de Haute-Saône
Ce petit parti, fondé en 1968 et qui revendique un peu moins d'une dizaine de milliers d'adhérents, a, comme les autres, dû s'organiser dans la précipitation : "Franchement, on est pris de court" reconnaît Cédric Fisher, candidat dans la 1ère circonscription de Haute-Saône, à Vesoul et Gray. "C'était précipité" concède également François Fruitet, militant de longue date dans le Doubs. "Mais on s'est donné les moyens !".
Dans les faits, "on a reconduit beaucoup de candidats de 2022" glisse le retraité. C'est souvent le cas : la grande majorité des candidats de Lutte Ouvrière à ces élections anticipées sont loin d'en être à leur première campagne. La candidate pour laquelle il tracte, dans la 1ère circonscription du Doubs, Nicole Friess, en est à sa 18e campagne électorale. Municipales, départementales, régionales, européennes... Cette retraitée de l'administration hospitalière a été de tous les scrutins. Ses résultats ont oscillé entre 0,74% et 4,71%.
Des campagnes voix après voix
Lors de la dernière législative, en 2022, le petit parti "communiste révolutionnaire" a réuni 1,04% des suffrages, pour un peu moins de 230 000 voix. Des bulletins acquis circonscription par circonscription : les candidats Lutte Ouvrière avaient rarement obtenu plus de 2% des suffrages. "La plupart de nos candidats travaillent, ont fait campagne dans la mesure de nos moyens" raconte François Fruitet, "on milite autour d'entreprises, on sort des bulletins, et il y a des jeunes qui militent dans des lycées, des facs et des foyers de jeunes travailleurs".
"C'est un effort militant. On est un parti de militants" explique Cédric Fisher. En 2022, il avait réuni 848 voix, soit 1,87% des suffrages de sa circonscription. Ouvrier, "opérateur polyvalent et cariste" à Stellantis, où il est également délégué syndical, il milite dans son entreprise. "J'essaie de réunir des petits groupes d'ouvriers pour avoir des discussions politiques".
Pour cette campagne, il s'est aussi rendu à une manifestation contre le Rassemblement National. "C'est ça les travailleurs, on n'a pas les mêmes armes, on n'a pas les mêmes moyens" glisse-t-il en souriant. La priorité des candidats pour ces législatives : "on a un gros travail pour coller les affiches officielles" déclare François Fruitet. Les militants cherchent à être visibles.
"Les élections, ça ne change pas la vie des gens"
À Lutte Ouvrière, les élections, "on ne compte pas dessus" affirme François Fruitet. "Si on avait des élus ce seraient des lanceurs d'alerte, on dénoncerait les trahisons et les mauvais coups" expose le militant du Doubs. Mais les militants n'attendent pas une victoire : "Ça ne nous dérangerait pas, mais sans donner l'illusion qu'il suffit de voter".
Car, à Lutte Ouvrière, on est très loin de considérer les élections comme l'alpha et l'oméga de la vie démocratique : "pour nous travailleurs, il n'y aura ni bon gouvernement, ni bonne majorité à l'issue de ces élections" déclare le dépliant de campagne du parti. "Les élections, ça ne change pas la vie des gens" estime Cédric Fisher.
C'est par la lutte des classes en créant un rapport de force qu'on pourra obtenir ce qu'on veut. Les élections… Quel qu'il soit, le gouvernement s'en prendra aux travailleurs.
François Fruitet, militant Lutte Ouvrière
Mais alors, pourquoi consacrer autant d'énergie dans ces campagnes électorales ? Pour obtenir les financements, dédiés aux partis en fonction de leurs résultats ? "C'est pas ça qui fait vivre le parti" balaie Cédric Fisher. Si les résultats aux législatives 2022 assuraient un financement de 370 000 euros par an, il assure que la somme couvre à peine les frais engagés à l'époque pour la campagne. "Les européennes, on n'est pas remboursé" donne-t-il comme exemple.
Ce sont les dons des adhérents et des sympathisants qui financent ces campagnes : "On a toujours compté sur nos propres forces, et c'est ce qu'on continue de faire" rapporte François Fruitet.
"Se faire connaître"
La clé de cet engagement électoral, c'est la visibilité : "Arlette Laguiller, vous savez qu'elle était dans les comités des grandes grèves de 74 du Crédit Lyonnais ? Qui s'en rappelle ? Par contre, tout le monde se rappelle d'Arlette Laguiller, la première femme à s'être présentée à une élection présidentielle" résume Cédric Fisher. "Les élections, c'est l'occasion de se faire connaître" confirme François Fruitet.
"C'est à ce moment-là qu'il faut parler, on a un auditoire plus large" continue Cédric Fisher. Comme ses camarades, il prône avant tout la révolution : "on construit notre parti petit bout par petit bout, et il sera là au moment où les conditions insurrectionnelles seront là".
Loin des barrages
Dans bien des circonscriptions, comme Lons-le-Saunier ou à Dole dans le Jura, le candidat de LO sera seul face aux trois grands blocs politiques : RN, alliance de la majorité présidentielle "Ensemble" ou Nouveau Front Populaire. Mais la perspective de diviser les voix de gauche n'émeut guère le parti : "le front électoral ça ne marche pas, ce qui marche, c'est la lutte de classes" tranche Cédric Fisher.
Moi, personnellement, je ne me sens pas de la gauche, encore moins de la droite, mais je me sens du camp des travailleurs. La bourgeoisie, elle, utilise la gauche comme la droite pour exploiter les travailleurs
Cédric Fisher, candidat LO dans la 1e circonscription de Haute-Saône
"L'arrivée de l'extrême droite, c'est un danger, notamment pour les travailleurs d'origine étrangère, mais nous, ce qu'on pense, c'est que ça n'est pas dans les urnes qu'on peut le combattre" complète François Fruittet. Tous deux pointent du doigt la responsabilité des élus de gauches dans la montée de l'extrême droite. Mais font tout de même une distinction entre leurs opposants. "Le RN, c'est le pire ennemi des travailleurs" avance le candidat à Vesoul.
Quand on regarde les listes RN, on comprend tout de suite que, c'est pas un parti du camp des travailleurs. On n'a pas les mêmes intérêts
Cédric Fisher, candidat LO 1ère circonscription de Haute-Saône
"Il y a beaucoup de travailleurs qui ont l'impression de taper un pied dans la fourmilière en votant RN, mais c'est une erreur qu'ils font" estime Cédric Fisher, "suffit de regarder la liste des idées qu'ils véhiculent, et la principale, c'est de diviser les travailleurs face à la bourgeoisie".
L'un comme l'autre, les deux militants se refusent cependant à jouer le jeu des barrages, une autre des "illusions" électorales.